Portefeuille (Le)

Belgique, France (2003)

Genre : Comédie

Écriture cinématographique : Film d'animation

Archives CAC, Collège au cinéma 2007-2008

Synopsis

Un homme qui vient de se voir refuser du travail trouve sur son chemin un portefeuille. Une part de lui-même le ramasse tandis que l’autre part continue son chemin avec indolence. En rentrant chez lui, la partie qui a ramassé le portefeuille découvre dans celui-ci une grosse liasse d’argent. Le personnage se divise encore une fois. Une partie de lui-même va dépenser l’argent tandis que l’autre va à la recherche de son propriétaire. Arrivé chez ce dernier, un autre événement inattendu provoquera encore une division du personnage.

Générique

Six courts métrages Collège au cinéma 2007-2008

Réalisation : Vincent Bierrewaerts
Scénario : Vincent Bierrewaerts
Image : Vincent Bierrewaerts
Son : Fred Meert
Décor : Vincent Bierrewaerts, Gilles Cuvelier, Gabriel Jacquel
Montage : Serge Kestemont
Production : Les Films du Nord, avec Arnaud Demuynck
Distribution : Suivez Mon Regard
Dessins animés papier et mine de plomb Durée : 10 mn

Autour du film

  • Entre exercice de style et expérimentation

 Dans ce film, l’histoire passe au deuxième plan : c’est avant tout l’originalité avec laquelle on nous la raconte qui retient l’attention. Le scénario sert de prétexte à plusieurs expérimentations visuelles et questionne certains aspects fondamentaux du cinéma.

En effet, le réalisateur Vincent Bierrewaerts prend non seulement le parti de raconter plusieurs histoires avec plusieurs personnages princiapaux dans le même film (c’est ce qu’on appelle le film Choral) mais il décide surtout de superposer ces quatre histoires dans le même cadre. Depuis Short cuts de Robert Altman, le cinéma a prisé ce type de films (voir aussi Magnolia de Paul Thomas Anderson) où les histoires s’entremêlent grâce à un montage parallèle (Intolerance de Griffith) ou alterné. Le split screen (littéralement « écran éclaté ») permet quand à lui, de dérouler plusieurs histoires ou plusieurs points de vues simultanément grâce à la division du cadre en plusieurs autres : le déroulé linéaire de la durée du film concentre la durée de plusieurs histoires ou points de vue (voir Time Code de Mike Figgis ou le film d’animation Le Garçon qui a vu l’iceberg de Paul Driessen). Le split screen condense le temps mais préserve l’espace car chaque histoire possède son cadre respectif. Dans Le portefeuille, Vincent Bierrewaerts réalise quelque chose d’encore inédit au cinéma : il concentre le temps et l’espace.

Ce  film accomplit également un fantasme très cinématographique, celui de la déclinaison des diverses possibilités scénaristiques à partir d’un événement. Que se serait il passé si le personnage avait fait un autre choix ? Ce jeu sur les possibilités mis en œuvre, entre autres, par Alain Resnais dans ses films Smoking/ No smoking en 1993 rappelle d’une certaine façon le processus d’écriture d’un scénario. Pour écrire une histoire, le scénariste doit envisager la multitude de destinées qui découlent des décisions qu’il fera prendre à son personnage. En un sens, la forme du film mais aussi son graphisme ébauché qui exhibe sa fabrication,  met en abyme le cheminement qui mène à la construction d’une histoire.

Enfin, le film s’empare avec plaisir de la question du dédoublement du personnage. Ce véritable tour de magie est impossible à réaliser avec des personnages en chair et en os sans avoir recours aux effets spéciaux. Georges Méliès a réalisé avant bien d’autres plusieurs films dans lesquels le personnage (joué par lui-même) se démultiplie : dans L’homme orchestre 1900 par exemple, il assume à lui seul la direction et l’exécution des morceaux de musique en se dédoublant. Le cinéma d’animation, lui, permet facilement cette jubilation visuelle qui rappelle le processus d’animation d’un personnage dessiné : il faut assembler plusieurs « clones » d’un même personnages pour pouvoir recomposer le mouvement. Lorsque les personnages se superposent avant chaque dédoublement, nous avons l’impression d’assister à la phase de création du mouvement.

  • Une mise en scène au service de la lisibilité de l’histoire

Ce dispositif singulier mis en place par le réalisateur a pour inconvénient de complexifier la compréhension du film. En effet, plus le film progresse, plus le réseau de personnages se densifie en déployant une nouvelle trame narrative à chaque dédoublement, sans compter que les différents protagonistes sont physiquement identiques. Pour ne pas perdre le spectateur, la mise en scène va alors se mettre au service de la lisibilité de l’histoire.

La division colorée des personnages en deux couleurs complémentaires (Vert/ magenta, cyan/ orangé)  – couleurs diamétralement opposées sur le cercle chromatique – insiste sur la divergence des choix du personnages. Mais ce parti pris agit aussi comme un efficace repère visuel car les couleurs complémentaires contrastent fortement entre elles et permettent donc au spectateur d’identifier les histoires qui se superposent dans le même espace. Sur un décor gris, le personnage transmet sa couleur aux éléments qu’il utilise, traçant ainsi avec précision l’espace propre à son histoire.

Le souci de clarté du réalisateur l’amène aussi à épurer le décor. Une poubelle et un feu de signalisation pour représenter une rue, un bureau pour suggérer les locaux de l’éditeur au début du film : les lieux sont à peine esquissés, mais pourtant nous les identifions sans peine grâce aux sons.  

La bande son ne comporte aucune paroles car si les images se superposent en restant identifiables, la même opération se révèle impossible avec des voix car leur étagement produirait un brouhaha incompréhensible. Ce sont donc les bruits qui peupleront cet univers muet et complèteront efficacement la sobriété du décor. Les klaxons, le ronron des moteurs, le piaillement des moineaux suggèrent un espace hors champ et donnent de l’amplitude à l’espace de la rue qui est représentée,  tandis que la musique désignera immédiatement le magasin comme étant un disquaire. Le bruit aigu nous restitue la matière métallique lisse et dure de la corbeille dans laquelle atterri le portefeuille et nous savons que les escaliers gravis par le personnage sont en bois car le bruit des pas est plutôt grave et sourd. Il est intéressant de remarquer que le réalisateur offre ici une alternative au travail visuel de la matière et de la texture dans Au premier dimanche d’août. Ici, c’est la bande son  qui assume ces paramètres.

  • Graphisme et qualité d’animation

Ce court métrage est réalisé selon la méthode d’animation traditionnelle : l’animation sur papier qui consiste à animer un personnage dessiné.

Comme pour toute animation, 24 images par seconde sont nécessaires pour donner l’illusion d’un mouvement. Chaque dessin représente une phase du mouvement du personnage : plus le nombre de dessins sera important (autrement dit, plus le mouvement sera décomposé en dessins), plus l’animation sera réaliste.  Si l’animation requiert théoriquement 24 dessins par secondes, les animateurs peuvent gagner du temps en multipliant les prises de vues d’une même image. Par exemple, si chaque dessin est capturé deux fois, le rendu est réalisé ainsi : 12 x 2 images = 24 images, pour une seconde de film. C’est le nombre de dessins qui détermine la fluidité d’une animation.

Dans Le portefeuille, le graphisme élémentaire réalisé aux crayons (papier et couleur) et la fixité du cadre valorisent la fluidité de l’animation de certaines scènes (la course dans les escaliers par exemple) ainsi que la qualité de représentation des  gestes et des attitudes. Le réalisateur travaille les déplacements selon la physionomie des personnages : agilité du (des) personnage(s) principal (aux) contre course pesante et essoufflée du gros chef de bande, balancement d’épaules du gros-bras  et raideur maniéré du serveur…

Pistes de travail

  • Animation et mise en scène

Ce programme composé de 6 films d’animations met en valeur la diversité des styles graphiques (peinture, gravure, crayon à papier) et l’inventivité des techniques d’animation (volume, animation traditionnelle). Ce corpus permet aussi, par la comparaison, de mettre en relief différents choix de mise en scène.

Si il paraît indispensable de s’intéresser au graphisme et à l’animation dans un programme aussi spécifique, il ne faudrait pas s’y restreindre. Le « dessin animé » fait partie intégrante du cinéma et c’est pour expliciter cette idée qu’on préfère employer aujourd’hui le terme « film d’animation ».

Comme dans un film avec des personnages en chair et en os, le réalisateur met en scène ses personnages. Techniques d’animation et graphisme complexifient l’exercice car ils s’ajoutent aux paramètres déjà existant dans le cinéma mettant en scène de véritables acteurs : taille de plan, mouvements de caméra, déplacement des personnages, axes de prise de vue, montage, traitement du son… Ce dernier élément est souvent oublié.

S’il est vrai que, par définition, le son ne se voit pas, c’est justement pour cela qu’il joue un rôle déterminant au cinéma. Il agit souvent de façon beaucoup plus subtile que l’image en structurant un film, en caractérisant des personnages, en complétant des décors, etc … Ainsi, invitons les élèves à regarder mais aussi à tendre l’oreille. 

  • Initiation à l’analyse de film en 3 étapes
  • Formuler sa réception du film, son ressenti (Dans ce film on dirait que …, On a l’impression que…) afin de dégager des pistes de travail.
  •  Se questionner sur les moyens mis en œuvre pour produire l’effet repéré. Autrement dit, dégager les notions de fond et de forme (choix de réalisation : cadre fixe, rythme du montage, traitement du son…) afin d’examiner les rapports entre les elles. 
  • Hiérarchiser les choix dans un texte rédigé.
  • Questions sur le chemin de l’analyse

– les spécificités du film :

Qu’est ce qui est frappant dans ce film ? En quoi est il innovant ?   

Combien d’histoires sont racontées ? Combien y a t il de personnages ?

Quels sont les jeux visuels produits par la surimpression (mélange des couleurs, réunification provisoire des corps) ?

Quelles sont les implications sonores de ce choix

– Le graphisme et l’animation

Le dessin évoque le crayonné : avec quels outils sont dessinés les personnages ? Avec quel degré de précision sont ils dessinés ?

Qu’est ce qui les caractérise (attitudes, déplacements) ?

Autour du film

 

  • Les couleurs 

Comme dit la fiche technique du film http://www.lesfilmsdunord.com/catalogue/bonus/leportefeuille_bonus1.pdf le Portefeuille « explore la physique des couleurs ». En effet, le réalisateur a utilisé des couleurs proches des couleurs complémentaires lors de la division des personnages. Les couleurs complémentaires, jaune et violet, vert et magenta, orangé et cyan, sont celles qui s’opposent diamétralement sur le cercle chromatique. Elles se valorisent mutuellement car elles contrastent fortement entre elles. Les couleurs ont cependant été ajustées afin de rendre du noir lors de leur superposition des quatre à la fin du film mais pas lors des croisements des personnages.  

  • Les bifurcations du scénario

Hasard, libre arbitre et déterminisme sont traités en virtuose par Alain Resnais qui utilise ce principe dans les films Smoking, No smoking, qu’il réalise en 1993. Il y déploie l’éventail des possibles liés à une situation initiale : que va-t-il se passer si le personnage joué par Sabine Azéma fume la cigarette qui se trouve devant elle ? Et si elle ne la fumait pas ? Six histoires vont engendrer de son choix.  

Cécile Paturel, le 25 août 2008

Outils

Bibliographie

Les oscars du film d'animation, secrets de fabrication de 13 courts-métrages récompensés à Hollywood, Cotte Olivier, Editions Eyrolles, 2006
Le cinéma d’animation, Denis Sébastien, Editions Armand Colin, Paris 2007

Web

La fiche technique du film
Extrait du film
Interview du réalisateur 
Association française du cinéma d’animation (afca)

DVD

En matière d’animation, collection Cour(t)s de cinéma : présente les 6 films du programme et leurs analyses. 

Filmographie

Smoking et No smoking, 1993, Alain Resnais