When the day breaks

Canada (1999)

Genre : Comédie dramatique

Écriture cinématographique : Film d'animation

Archives LAAC, Lycéens et apprentis au cinéma 2005-2006

Synopsis

C’est le matin. Un grille-pain, des mains qui tartinent nous font découvrir progressivement un homme à la tête de coq, qui inscrit consciencieusement une liste de courses. Habillé, il sort dans la rue, son chapeau crête sur la tête.

Dans un autre appartement, une femme à la tête de truie ouvre ses rideaux et entame la préparation de son petit-déjeuner en chantant. Mais son lait n’est pas frais. Elle sort un foulard sur la tête, file à l’épicerie. Elle heurte alors l’homme-coq qui en sort et qui, dans le choc, perd une clémentine qui roule dans une grille d’égout cassée.

Alors qu’elle est dans l’épicerie, elle entend un bruit d’accident. Dehors, gisent éparses les courses de l’homme : les citrons, un poisson… et aussi ses lunettes cassées, son chapeau. Par associations de diverses images, on voit par bribes la vie de l’homme défiler en accéléré à l’envers.

La femme court se réfugier chez elle, se calfeutre, ferme son rideau. Partant du fil électrique de la bouilloire, on parcourt différents intérieurs, différents animaux livrés à des occupations diverses : regarder la télévision, se raser. .

Par les canalisations, on revient à la maison vide de l’homme disparu, puis de nouveau en suivant un fil électrique, on est amené à un métro qui passe et disparaît dans un tunnel. On se retrouve dans la cuisine de la femme. Elle se décide à prendre son petit-déjeuner. Elle ouvre son rideau. Le soleil nous éblouit.

Fiche réalisée par Jacques Kermabon
Fiche mise à jour le 2 octobre 2006

Générique

Programme : Six courts métrages Lycéens 2005-2006

Réalisation, animation : Amanda Forbis, Wendy Tilby
Image : Wendy Tilby
Son : Geoffrey Mitchell, Gaëtan Pilon
Montage son : Marie-Claude Gagné
Mixage : Shelley Graig, Jean-Paul Vialard
Musique : Judith Grauber-Stitzer
Parole des chansons : Amanda Forbis, Wendy Tilby
Interprètes (voix) : Martha Wainwright, Chaim Tannenbaum
Producteur : David Verrall
Production : O.N.F
35 mm – couleur
Durée : 10 mn

Techniques diverses sous caméra

Palme d’or du court métrage, Cannes 1999

Autour du film

Mise en scène

Des corps qui associent hommes et animaux, il semble qu’une étrangeté plus inquiétante émane d’un corps d’animal surmonté d’une tête humaine comme le sphinx. Est-ce parce que l’autre greffe – tête d’animal sur un corps humain – est plus répandue, d’Anubis chez les Égyptiens au Minotaure grec en passant par la tradition des masques africains, qu’elle s’est imposée comme un des poncifs du cartoon ? Cette sorte d’anthropomorphisme n’est pas très éloignée de la tradition de la fable qui, d’Ésope à La Fontaine, délivre des morales aux humains en mettant en scène des animaux. Puisant à ce fonds commun, When the Day Breaks nous apparaît ainsi comme familier. D’autant plus qu’au lieu, comme dans le cartoon traditionnel, de distordre les corps, le choix consiste ici à demeurer au plus près de l’humaine condition en inscrivant les événements dans le quotidien le plus anodin et en conservant à la forme des corps et à leurs déplacements une forte proximité avec l’apparence humaine.

Le plus étrange finalement n’est-il pas que cela ne fasse en rien obstacle à l’émotion qui émane du film tandis que l’usage de têtes animales instille une dose d’humour pour un univers qui pourrait se cantonner au registre tragique. La caricature d’abord, induit des traits psychologiques : le coq fier et dédaigneux, l’épicier et le policier braves toutous, le bouc qui se rase en préservant soigneusement sa barbichette… Et il y a aussi comment la truie jette les pommes de terre pour se délecter de bon matin des épluchures accommodées comme des céréales. .

En même temps, il ne serait pas juste de résumer la représentation des êtres à des corps humains surmontés de têtes animales. Ainsi, les mains et les pieds de cette femme truie sont-ils bien ceux d’un artiodactyle. Par ailleurs, à côté des hommes canins, on aperçoit des chiens à quatre pattes qui courent autour de l’ambulance et aussi, à d’autres moments, des pigeons. En fait, ce qui caractérise ce film serait plutôt l’absence de système, mieux en phase avec ce dont, entre autres, il nous entretient : la fragilité de l’existence, l’incertitude de notre devenir. Un rien, un malencontreux croisement de hasards suffit pour qu’une journée, commencée le plus banalement qui soit, vire au tragique. La force du cinéma d’animation est de ne pas être condamné dans sa représentation du monde à la reproduction mécanique de la réalité. When the Day Breaks jouent ainsi pleinement de cette liberté pour raconter, ou mieux, suggérer un tissu urbain, la multitude, l’entrelacs de mille ramifications, l’impression d’une infinité de matières, d’êtres, d’événements isolés et restituer le sentiment que, pris dans un mouvement perpétuel, tout cela communique. .

Le film suggère en effet plus qu’il ne montre. Cela se manifeste dans sa façon de restituer le passage du temps au travers de brèves ellipses ou d’accélérés. Dès le début, après que l’image s’est attardée sur un grille-pain, c’est sur un élément du générique qu’on entend les tartines éjectées pour passer aussitôt à leur beurrage. Peu après, quand la truie se précipite pour acheter son lait, un balayage rapide de son immeuble vu de l’extérieur associé à ses bruits de pas dans l’escalier, signifie sa descente dans la rue. .

L’accident mortel est lui aussi suggéré. Un bruit lointain, des citrons qui ont roulé au sol, des objets épars, une voiture cabossée… suffisent à restituer le drame, se détournant ainsi du spectaculaire tout en exprimant la dislocation d’un corps, d’une existence. .

Le travail de suggestion passe aussi par le rendu du dessin. Parfois, des traits sommaires, sorte d’esquisses, de crayonnés suffisent pour signifier. Ces dessins ressemblent au layout, phase préparatoire du dessin animé, quand les traits personnages ne sont pas fermement définis, avant qu’on leur applique les couleurs. De l’esquisse type layout au dessin qui définit distinctement personnages et décors, le film joue d’une large palette. .

Cette souplesse du traitement permet aussi une labilité du propos, des glissements progressifs, des enchaînements qui procèdent plus de l’association sensible que de la progression logique. Ainsi, après l’accident, un accéléré d’images enchaîne des organes, des cellules, des os, des photos de la vie du personnage accidenté qui nous font remonter jusqu’à sa naissance : un œuf. L’effet évoque d’un certain côté ce qui se passe dit-on à l’approche de la mort quand on revoit sa vie en accéléré. Rien ne permet pour autant d’assigner cet enchaînement à la pensée de celui qui s’éloigne, emporté dans l’ambulance. Un regard de la femme-truie, témoin du départ du véhicule, pourrait laisser entendre qu’il matérialise sa pensée. Il est sans doute plus pertinent d’y voir à l’œuvre une pensée qui n’appartient à personne en particulier, mais qui, flottante, existe surtout dans la circulation qu’elle propose entre le film et nous, spectateurs. Ces images sonnent comme une vanité, remettant en mémoire notre statut d’être d’organes et d’os. Cette sorte de scanneur d’une vie qu’elles suggèrent, si elle évoque le statut d’un corps livré à des machines médicales, renvoie à toutes les vies et à leur dérisoire. .

Le film dit aussi que la vie continue et exprime dans un glissando et des effets d’échos comment le temps panse les blessures. Quand, après l’accident, la femme se claquemure dans son appartement, ferme son rideau, la chaise renversée, signe auparavant du désordre joyeux de ses pas de danse sortis d’une comédie musicale, évoque, dans son immobilité, une chute qu’on peut, dans le silence, associer à la mort. Ce meuble orphelin fait écho aux objets de l’homme qu’on découvrira peu après gisant, abandonnés dans l’appartement vide. Entre temps, la cité qu’on parcourt au travers de ses flux électriques ou de ses canalisations n’a pas cessé son mouvement. Chacun vaque à ses occupations, indifférent au drame dont il n’a pas eu connaissance. Le film avait commencé par du noir et le bruit du métro pour arriver à la prise électrique à laquelle était branché le grille-pain. La boucle se boucle, par la même prise, on repart, en sens inverse, dans les entrailles de la terre pour arriver jusqu’au métro où le sentiment de multitude de vies s’accélère. Haut/bas, lumière/obscurité, musique/silence, des jeux d’oppositions rythment When the Day Breaks. Nous sommes partis du noir, disions-nous. Quand nous revenons une ultime fois dans l’appartement, la vie reprend le dessus, la femme sort peu à peu de sa torpeur et se décide à rouvrir son store. Le soleil nous éblouit. Cette fois, c’est par opposition, entre le noir et la lumière vive, que le film se boucle véritablement sur lui-même.

Technique d’animation

Elle est dérivée de la rotoscopie, technique d’animation crée par Dave et Max Fleisher aux alentours de 1914 et consistant à dessiner les personnages ou animaux animés en les copiant sur une prise de vue réelle. Elle permet d’obtenir des animations plus fluides au rendu naturel. Concernant When the Day Breaks, Marcel Jean nous a apporté la précision suivante : le rotoscope, l’appareil inventé par Max Fleischer, n’a pas été utilisé. On a plutôt tourné, en vidéo, des acteurs qui accomplissaient les actions (certains avaient d’ailleurs des masques d’animaux). On a ensuite utilisé une imprimante qui pouvait être couplée à un magnétoscope. On a utilisé cette imprimante pour reporter sur papier les images, une à une. On a ensuite redessiné, à partir de ces images. Il s’agit donc d’une forme de rotoscopie puisqu’on utilise le mouvement réel, mais le procédé technique pour « saisir » ce mouvement et le « fixer » en une séquence « animée » est différent. Avec la rotoscopie traditionnelle, on tourne d’abord sur support film, puis un procède au « calque » du mouvement à l’aide d’une sorte de projecteur couplé à une table à dessin. Dans le cas qui nous intéresse, il s’agit d’un dispositif électronique.

Fiche réalisée par Jacques Kermabon
Fiche mise à jour le 2 octobre 2006

Pistes de travail

Qu’apporte de mettre en scène des corps quasi humains avec des têtes d’animaux ? Imaginez l’effet qu’aurait le film avec uniquement des personnages dessinés ? Comparez avec d’autres films d’animation, bandes dessinées et d’autres champs artistiques ou mythologiques où l’on trouve des êtres mi-humains mi-bêtes.

Un citron qui roule et chute, une chaise renversée, une bouilloire, des lunettes au sol… La présence des objets, leurs mouvements, leur inertie a un rôle déterminant. Essayez de décrire les effets produits par les objets dans le film en termes d’émotion, de rythme, de ponctuation, de suspension…

Le film est en partie rythmé par une alternance entre la chute et l’aspiration à l’élévation. Repérez comment ces mouvements opposés sont mis en scène. En quoi résonnent-ils ou non avec le balancement entre le sombre et la lumière ?

Film sans parole (hormis les chansons), When the Day Breaks n’en est pas moins véhicule d’une sorte de pensée. Comment celle-ci s’articule-t-elle ? Voyez comment sont suggérés les sentiments de la dame truie. Comment interpréter l’enchaînement des images qui suivent l’accident de Monsieur coq ? Comment nous sommes amenés à être envahis par des réflexions plus ou moins diffuses qui ont trait à des questions quasi existentielles ? Quel est le rôle des plages suspensives, de ces moments de pure contemplation ou du moins qui simulent de la contemplation ? Dans quelle mesure, ce sentiment est particulièrement entretenu par le mode d’animation choisi ?

Analysez en particulier toute la partie qui va de l’accident de Monsieur coq au retour de Madame truie chez elle. Comment est figuré l’accident ? Comment s’enchaînent les plans ensuite ? Quels sens donner à tout ce qui apparaît à l’image ? Que provoque cette succession d’objets inanimés ? Comment passe-t-on de la réalité à l’évocation d’une pensée ? Comment revient-on ensuite à la réalité et avec quels sentiments ?

Fiche réalisée par Jacques Kermabon
Fiche mise à jour le 2 octobre 2006

Outils

Vidéographie

Cour(t)s de cinéma 2
DVD. Programme comprenant les 5 films inscrits dans le dispositif Lycéens au cinéma 2005/2006, ainsi que des analyses, des interviews, des fiches pédagogiques téléchargeables, et des courts métrages complémentaires.
DVD disponible dans les boutiques des CRDP et sur le site : crdp.ac-lyon.fr.