Synopsis
La guerre de 14-18. Sur le front, un soldat de Tomanie, le barbier juif, qui a tout de Charlot, et rien d’un héros, sauve pourtant le colonel Schultz puis perd la mémoire dans un accident à ses côtés. Toujours amnésique, il s’échappe de l’hôpital et réussit à retrouver sa boutique dans le ghetto. Ignorant tout de la politique antisémite de son sosie, le dictateur Hynkel, il entreprend d’effacer une inscription « juif » sur sa vitrine et est arrêté par deux S.S. Malgré le secours d’Hannah armée d’une poêle à frire, il est sur le point d’être pendu quand passe le colonel Schultz. Le reconnaissant, il le fait libérer et l’assure de sa protection. Ayant besoin d’un prêt du banquier juif Epstein, Hynkel fait momentanément cesser les persécutions dans le ghetto où une idylle naît entre le barbier et Hannah. Après s’être heurté au refus du banquier juif, Hynkel est, furieux et les pogroms reprennent. Schultz, ayant manifesté sa désapprobation, est condamné au camp de concentration et va se cacher… dans la cave de Monsieur Jaeckel, patron d’Hannah. Le barbier, réfugié sur les toits, voit sa boutique brûler. Schultz propose en vain aux amis de Monsieur Jaeckel de mettre une bombe au palais. Schultz et le barbier sont pris ; on les retrouve en camp de concentration.
Lors de la visite du dictateur de Bactéria (Napaloni), Hynkel finit par signer le traité de ce dernier pour tromper sa méfiance… Schultz et le barbier s’enfuient du camp en costume de l’armée tomainienne. Pris pour Hynkel, le barbier est salué par l’armée en train d’envahir l’Osterlich… Poussé à la tribune, Charlot/barbier/Chaplin lance alors un vibrant appel aux hommes de bonne volonté pour s’unir afin de sauver les valeurs humanistes. Hannah l’entend et, se détachant sur un ciel chargé de nuages, sourit.
Générique
Titre original The Great Dictator
Production : Chaplin – United Artists
Producteur exécutif :Charles Chaplin
Scénario : Charles Chaplin
Réalisation : Charles Chaplin
Dir. Photo : Karl Struss, Roland Totheroh
Décors : J. Russel Spencer
Montage : Willard Nico
Musique : Chaplin, Wagner, Brahms
Direction musicale : Meredith Willson
Assistants-réalisateurs : Dan James, Wheeler Dryden, Bob Meltzer
Son : Percy Towsend, Glenn Rominger
Interprétation :
La cour de Tomania :
Hynkel / Charles Chaplin
Napaloni / Jack Oakie
Schultz / Reginald Gardiner
Garbitsch / Henry Daniell
Herring / Billy Gilbert
Madame Napaloni / Grace Hayle
Ambassadeur de Bacteria / Carter de Haven
Le ghetto :
Le barbier juif /Charles Chaplin
Hannah / Paulette Goddard
Monsieur Jaeckel / Maurice Moscovich
Madame Jaeckel / Emma Dunn
Monsieur Mann / Bernard Gorcey
Monsieur Agan / Paul Weigel
Film : 35 mm – Noir et blanc
Format : 1/1,37
Durée : 2h
Distribution : MK2
Visa : N° 76 035
Début de tournage : 9 septembre 1939
Sortie pays d’origine : 2 octobre 1940
Sortie à New York : 16 octobre 1940
Sortie en France : Mars 1945
Autour du film
Le Dictateur ne correspond pas aux normes traditionnelles du film comique. En effet, le ton y est parfois non seulement grave mais prophétique. Or le film comique, même s’il traite de sujets très sérieux, ne s’autorise en général pas le premier degré pour les envisager.
Dans Le Dictateur, plusieurs moments correspondent à ce type de premier degré : certains plans de foule semblent sortis d’actualités de l’époque, et deux scènes, au moins – le travelling initial de découverte du front et le pogrom final –, sont traités dans un style hétérogène au reste du film. Par son côté descriptif, le premier évoque la guerre qu’ont connue les États-Unis au même titre que l’Europe, celle de 14-18 ; le second traite des pogroms sur les ghettos juifs.
Prenons la razzia finale : aucun des personnages impliqués n’a été montré auparavant dans le film, ce qui accentue le côté « documentaire » de la scène. En outre, pour la première fois dans le film, apparaissent des inscriptions hébraïques qui ancrent les faits dans un groupe ethnique. Dans cette scène, grâce à la profondeur de champ, Chaplin montre, en un seul plan, à la fois ceux qui se soumettent et ceux qui se révoltent. Et, comble d’audace cinématographique pour l’époque, le plan se termine par un regard caméra qui prend le public à témoin. Autant d’éléments qui ne correspondent pas au système comique traditionnel.
Ces scènes sont d’autant plus étonnantes que le reste du film fonctionne sur deux tonalités complémentaires : la charge contre le « grand » dictateur (cf. titre original du film) et la nostalgie à la fois humoristique et douce qui caractérise le personnage du barbier. Chaplin réussit à y jouer musicalement le contrepoint entre les deux (Rappelons que Chaplin compose lui-même la musique de ses films) : le montage parallèle lui permet de gérer deux tonalités, deux préoccupations différentes. En alternant caricature et poésie, Chaplin passe aussi de la charge contre le nazisme à l’abandon progressif de sa créature muette, Charlot, qu’il tue en la faisant parler. Cette tonalité nostalgique n’est pas seulement liée aux circonstances de la dernière apparition de Charlot. Elle est constitutive de tout l’art de Chaplin, surtout dans ses longs métrages.
On lui demandait quelle était sa conception de la beauté : “Je [lui] dis qu’à mon avis, c’était une omniprésence de la mort et du charme, une tristesse souriante qu’on discerne dans la nature et en toutes choses, une communion mystique qu’éprouve le poète : elle peut s’exprimer par une poubelle sur laquelle tombe un rayon de soleil, ou ce peut être une rose dans le ruisseau” (in Ma Vie). Bien sûr, une telle conception ne fait pas passer le comique chaplinesque au second plan, mais si l’on y insiste ici, c’est bien parce que, généralement, on passe sous silence cette composante de l’art de Chaplin, et peut-être aussi parce que, même si on rit beaucoup au Dictateur, la négation des droits d’un groupe d’humains, quelles que soient sa religion, sa couleur, etc., est trop grave pour que l’on se contente d’en rire.
Chaplin lui-même a réfléchi a posteriori à ce problème : “[…] il fallait faire rire de Hitler. Si j’avais connu les réelles horreurs des camps de concentration allemands, je n’aurais pas pu réaliser Le Dictateur ; je n’aurais pas pu tourner en dérision la folie homicide des nazis » (in Ma vie).
Carole Desbarats
Autres points de vue
L’œuvre la plus complète de Chaplin
“Le Dictateur n’est pas le chef d’œuvre de Chaplin mais c’est, croyons-nous, son œuvre la plus riche et la plus complète. Elle joue perpétuellement sur deux plans antagonistes :un plan ironique et poétique, qui est celui de Charlot, un plan satirique et burlesque qui est celui de Hynkel, l’un et l’autre se compénétrant dans une harmonie discordante qui est au cinéma ce que sont les dissonances en musique et d’où Chaplin tire des effets parfois insolites qui n’ont pas été sans déconcerter le public habitué à des harmonies plus souples.”
Jean Mitry, in Tout Chaplin, Ed. Atlas, 1987
Satire un peu grosse
“La satire est un peu grosse et ses arguments ne sont guère convaincants. Il y a incompatibilité entre la bouffonnerie de cette parodie outrancière et la cruauté du drame qui l’inspire. Il y a discordance entre la pitrerie de certains personnages et les cris de souffrance de leurs malheureuses victimes. Trop souvent on retrouve le Charlot des tartes à la crème de ses débuts et cela détonne dans ce film.”
Didier Daix, in Ce Soir, 6 avril 1945.
Symphonie…
“Pour qui accorde à Charlot, dans l’ordre de la mythologie et de l’esthétique universelle, une importance au moins égale à celle d’Hitler dans l’ordre de l’histoire et de la politique ; pour qui ne trouve pas moins de mystère à l’existence de cet extraordinaire insecte noir et blanc, dont l’image hante depuis trente ans l’humanité, qu’à celle de l’homme au poignet cassé qui obsède encore notre génération, Le Dictateur est d’une signification inépuisable.”
André Bazin, in Esprit, 1945 (repris in Qu’est-ce sur le cinéma ?, Ed. du Cerf).
Vidéos
Regards caméra
Catégorie : Analyses de séquence
Avant que les conventions du cinéma classique l’interdisent, le regard à la caméra était courant, notamment chez les burlesques. Chaplin l’a souvent utilisé, y compris dans Le Dictateur, pourtant réalisé pendant l’âge d’or du cinéma classique hollywoodien. Ce montage réunit la plupart des regards caméra du Dictateur. À noter :
– les regards caméra justifiés par l’action (les discours) / les adresses au spectateur du film.
– la variété des regards du barbier, dans leur expression et leur durée.
– Hynkel regarde peu la caméra (sauf quand il est filmé), exprime surtout le défi et la violence mais mis en position de faiblesse il sollicite comme le barbier la compassion du spectateur.
– d’autres personnages semblent contaminés par l’attraction qu’exerce le spectateur sur Chaplin.
– Hannah ne regarde jamais vraiment la caméra mais son regard dans le vague est souvent juste à côté.
– deux scènes : celle des puddings (multiplication des regards caméras) et celle du discours final (le barbier s’adresse de plus en plus directement au spectateur).
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Réalisation : Ciclic.
Le Dictateur : un film sonore, un film parlant
Catégorie : Analyses de séquence
Malgré son refus d’entrer dans l’ère du parlant à la fin des années 1920, Charlie Chaplin prend le son à bras le corps dans Le Dictateur. La variété des utilisations du son (paroles, bruits, musiques) en fait un véritable manuel des effets sonores.
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Cette vidéo a été conçue en complément de la rubrique TECHNIQUE en page 16 du livret enseignant Lycéens et apprentis au cinéma.
Texte : Charlotte Garson / Voix : Claire Serizay / Réalisation : Ciclic.
Pistes de travail
Sur le comique
Comique et inversion : la séquence de l’avion « le monde à l’envers » ; ou comment le travail de montage est indissociable de l’évolution de la narration. Une étude précise de cette séquence peut préluder à une extrapolation sur l’ensemble du film : Chaplin montre un monde à l’envers dans lequel les valeurs qu’il croit justes sont bafouées. Quid du traitement du Bien et du Mal dans le film ? Que faire du Mal radicalisé (Hynkel) dans le rapport à une incarnation plus nuancée, plus humanisée des valeurs du Bien (le barbier) ? In fine, quels sont les aspects du comique imputables au film de combat ?
Comique et scatologie
La Grosse Bertha : travail sur l’espace filmique ou comment le canon apparaît après cet immense travelling initial ;travail sur l’anthropomorphisme de l’objet, le rapport de taille machine /humain, puis, sur le traitement du rapport hiérarchique de l’armée. Place de la scatologie (visuelle et sonore) dans le système ainsi mis en place.
Jeux de mots
Discours de Hynkel :rapport à la résistance de la matière (micros flexibles-chaises brisées…) et à celle des hommes (raideur ou rondeur de la servilité).Recherche de mots reconnaissables parmi les sons gutturaux. Effet comique dans la distorsion entre la longueur du texte et celle de la traduction. Comparer, si possible, avec d’autres films de Charlot, muets de préférence. Pourquoi une mise en scène aussi sophistiquée de la prise de parole ?
Quelques exemples de sons dans le premier discours de Hynkel (sans garanties quant à l’orthographe !) :
“Wiener Schnitzel, lager beer und sauerkraut, shtunk !”
“Democratie shtunk ! Liberty shtunck ! Frei sprachen shtunk !”
“Soldiers, vor Hynkel !”
a : Le générique de début avec répartition des rôles palais/ghetto : quel sens produit par deux éléments juxtaposés ? A mettre en relation avec l’avertissement ironique qui suit.
b : A partir de cet exercice qui concerne non le montage cinématographique strict mais le collage de textes, on peut passer à des exercices :quelles sont les séquences en montage alterné ? Quelle est l’utilité narrative du procédé ? Quand intervient le montage parallèle et pourquoi ? Quel est l’enjeu moral, idéologique de l’emploi qu’en fait Chaplin dans sa mise en scène ?
c : Ces questions peuvent amener à repenser différemment la séquence où pour la seule fois Hynkel et le barbier sont réunis dans un même espace cinématographique : celle où le barbier s’apprête à sortir avec Hannah à son bras et où il est terrorisé par la voix de Hynkel diffusée par les hauts parleurs. Pourquoi Chaplin y refuse-t-il le montage et montre -t-il les deux adversaires dans le même espace ?
Autre exemple : le défilé militaire. Chaplin n’y donne jamais le contrechamp. Ou encore l’inverse : étudier les contrechamps dans les discours de Hynkel et dans le discours du sosie /barbier.
Le son et le comique
Réflexion sur le son chez Chaplin, sur ses réticences cinématographiques à l’utilisation de la parole : de la différence entre la pantomime et d’autres formes de comiques (à comparer par exemple avec Laurel et Hardy, Jacques Tati, Keaton, Jerry Lewis, Louis de Funès…).Mais aussi de tout ce qui dans le comique de ce film relève des bruits : du corps, des objets, de la musique (Wagner/mappemonde ou Brahms/rasage, par exemple).
La radio comme moyen de propagande
Dans un cadre plus historique, on peut ouvrir un champ de recherches sur l’utilisation des médias, (passage sur les photos à la gare) et en particulier de la radio par le régime nazi. On rappellera ici que, dans un discours fait au téléphone et diffusé lors d’un meeting pour l’engagement des États -Unis dans le conflit mondial, en 1942, Chaplin avait dit à propos des nazis : “Nous serons asservis. Ils nous priveront de notre liberté d’agir et de penser. Le monde sera sous le joug de la Gestapo. Ils nous gouverneront par la radio. Oui, c’est cela le pouvoir de l’avenir.” (Ma vie).
Mise à jour: 16-06-04
Expériences
Un film en décalage avec son temps
Le Dictateur, aujourd’hui considéré comme un chef-d’œuvre, a été mal accueilli à sa sortie : malgré le succès public, la précision du message a gêné les États-Unis qui n’étaient pas encore entrés en guerre. D’ailleurs, au début des années 50, cette pièce a été rajoutée au dossier instruit par la Commission des activités anti-américaines contre Chaplin.
Que le film ait irrité Hitler ne saurait étonner. Le gouvernement italien, lui, a émis une protestation auprès de Washington, par voie diplomatique, en s’indignant de la charge parodique sur le Duce. En France, le film est sorti en 1945 ; il n’a pas fait rire et a été jugé à la fois « déplacé » et « dépassé ».
Plus tard, on a pu juger de l’importance de ce film. Mieux, des cinéastes, eux-mêmes, lui ont rendu hommage. En 1963, dans Docteur Folamour, Kubrick reprend le système de dédoublement mis en place par Chaplin, mais en le compliquant : Peter Sellers y interprète à la fois un capitaine allié, le président des États-unis et un ancien nazi, le docteur Folamour.
François Truffaut retrouve dans le vieux Polonais d’Au feu les pompiers de Milos Forman (1967), un héritier du barbier juif qui voit brûler sa maison.
En 1970, dans Ya, Ya, Mon Général, c’est au tour de Jerry Lewis de reprendre le dédoublement réalisateur/acteur et donc de jouer lui-même l’homme le plus riche du monde et le général préféré d’Hitler dont il prend la place à la fin du film. Par les ralentis qui décomposent la marche en chorégraphie, par l’utilisation de la musique, la séquence où le faux général rencontre Hitler dans le bunker renvoie explicitement à la séquence de la mappemonde. Ce ne sont là que des exemples, l’influence du Dictateur n’a pas fini de se faire sentir.
On notera pour terminer que deux écrivains contemporains, la romancière-cinéaste Marguerite Duras et le philosophe Gilles Deleuze proposent la même ouverture à la réflexion par l’association de deux personnages créés et joués par Chaplin : Hynkel et Verdoux, inspiré par Landru. M. Duras : “Chaplin a vu le nazisme comme un cirque atroce mais comme un cirque, Hitler comme un clown sanglant, Landru comme un travailleur de force du crime. Il ne voyait rien en soi, Chaplin. L’humanité, il la concevait comme une damnation à laquelle il se laissait aller. Il flottait avec, il dérivait avec.” (« Les Yeux verts », n° spécial des Cahiers du cinéma, juin 1980).
G. Deleuze : « Ce que les discours disent dans Le Dictateur et dans Monsieur Verdoux, c’est que la Société se met elle-même en situation de faire de tout homme de pouvoir un dictateur sanglant, de tout homme d’affaires, un assassin, littéralement un assassin, parce qu’elle nous donne trop d’intérêt à être méchant, au lieu d’engendrer des situations où la liberté, l’humanité se confondraient avec notre intérêt ou notre raison d’être. »
(« L’Image-mouvement », Ed. de Minuit, 1985)
Outils
Bibliographie
Ma vie, Charles Chaplin, Ed. Presses Pocket n° 3330.
Charlie Chaplin; André Bazin et Eric Rohmer, Ed. du Cerf, 1972.
Charlot, entre rires et larmes, coll. Découvertes Gallimard, 1995.
Charlie Chaplin, coll. sous la direction de Joël Magny, Cahiers du cinéma, 1987.
L'art d'aimer, Ed. Cahiers du cinéma, 1987.
Vie de Charlot : Charles Spencer Chaplin, ses films et son temps, Ed. Ramsay, 1991.
L'Amérique de Roosevelt, Claude Fohlen, coll. Notre siècle, Ed. Imprimerie nationale, 1982.
Histoire parallèle, André Maurois, Ed. Presses de la Cité, 1960.
Les fascismes, Pierre Milza, Ed. du Seuil.
L'abandon des juifs, les Américains et la solution finale, David S. Wyman, Ed. Flammmarion.
Le cinéma américain 1895-1980, Jean-Loup Bourget, Ed. PUF.
La chasse aux sorcières à Hollywood, Francis Bordat, in L'Histoire spécial janvier 1992.
Les pleins pouvoirs de Roosevelt, in Témoignage de notre temps n°7, 1934.
Films
Le Kid et Le Dictateur - Edité par le CNDP, collection l'Eden cinéma (libre de droits pour un usage en classe.