Synopsis
Au collège de Saint-Agil, trois élèves, Baume, Sorgues et Macroy, ont constitué une société secrète, « les Chiche-Capons », dont le but est de partir faire fortune aux àtats-Unis. Quand tout le monde dort, ils se réunissent dans la salle de sciences naturelles afin d’organiser leur départ. Un soir où Sorgues y est resté seul, il aperçoit un mystérieux individu qui semble sortir du mur. En expliquant la chose à ses camarades, il provoque un chahut qui lui vaut d’être convoqué chez le directeur. à la sortie du bureau directorial’¦ il disparaît. S’agit-il d’une fugue ?
Quinze jours plus tard, une carte postale signée « Chiche-Capon » arrive de New York. C’est bien l’écriture de Sorgues. En classe de musique, Macroy dessine pendant le cours. Le professeur l’envoie chez le directeur⦠Il disparaît.
Puis, lors de la fête du collège, le professeur de dessin légèrement éméché, bascule par-dessus une rampe d’escalier, après une violente altercation avec le professeur d’anglais. Accident ou assassinat ? Baume simule sa disparition pour mener sa propre enquête.
Il découvre le repaire d’une bande de malfaiteurs, où Sorgues est retenu prisonnier et le délivre avec l’aide de ses camarades du collège. On découvre alors que « l’homme invisible » faisait partie d’un gang de faux-monnayeurs, dirigé par le directeur du collège.
Macroy, quant à lui, revient encadré par des gendarmes. Il a été arrêté comme passager clandestin sur le Normandie en partance pour New York !
Thème : Les enfants et l’aventure
Comédie dramatique
Distribution
Les Chiche-Capons : le rêve d’un espace de liberté
Dans l’univers clos du collège de Saint-Agil, trois gosses rêvent de l’Amérique. Sans doute leur « enfermement » rend-t-il plus fort encore leur désir d’évasion, sans doute aussi, dans ce contexte de l’avant-guerre, les États-Unis représentent-ils un espace de liberté dans une Europe menacée.
Si l’on voulait schématiser, on pourrait dire que Baume incarne le gérant, le gestionnaire de leur rêve collectif avec les qualités et les défauts inhérents à une fonction de ce type : le calcul, la stratégie, trop peut-être, c’est d’ailleurs le seul à ne pas quitter le collège, mais c’est aussi celui qui résout l’énigme.
Macroy est plus instinctif. Le rêve lui tient aux tripes davantage qu’à la tête. Il a besoin de le réaliser physiquement, concrètement, il ne peut plus attendre. C’est d’ailleurs le seul qui tentera l’aventure.
Sorgues se doute bien, sans le savoir vraiment, que le rêve s’inscrit dans la fiction plus que dans la réalité ; son voyage à lui, c’est l’écriture, son bateau, c’est sa feuille de papier, son Amérique, c’est son roman. Il sera d’ailleurs le seul qui, vivant une véritable aventure, n’aura de cesse que de l’écrire.
Le professeur Walter : l’étranger
Celui dont on se méfie. Il pourrait être allemand bien sûr (surtout quand c’est Stroheim qui l’incarne) mais rien ne permet de l’affirmer d’autant qu’on le voit enseigner l’anglais et qu’on apprend qu’il est, de manière « généraliste », professeur de langues. Personnage ténébreux, il ne respire pas vraiment la joie de vivre. Taciturne, peu enclin à se confier, cet étranger-là a tout pour déplaire… sauf aux Chiche-Capons, qui l’introniseront président d’honneur à la fin de l’histoire. Le regard des enfants serait-il plus juste que celui des adultes ? Sans doute faut-il un certain temps pour que s’ancrent la xénophobie et les préjugés.
Monsieur Lemel : en porte-à-faux sur la vie
Il a raté sa vie, il le sait, il le dit. Lorsqu’il parle des artistes, et plus particulièrement des graveurs, l’admiration se mêle à la hargne, il n’enseigne le dessin et les arts graphiques que parce que lui-même n’a pu devenir un de ces artistes qu’il adule. L’enseignement n’est pour lui qu’un moyen de pallier sa médiocrité. Et c’est bien dommage car on le sent capable de dire (vraiment) et de faire partager sa passion. Pour oublier, il lui reste deux « voies de garage » : l’alcool et la fausse monnaie dont les revenus lui permettent d’acheter des vrais Dürer qu’il fait passer pour des faux. Il est en porte-à-faux sur la vie. Sa mort ne pouvait relever que de ce registre.
(Alain Carbonnier)
Générique
Titre Les Disparus de Saint-Agil
Production Dimeco
Scénario Jean-Henry Blanchon (d’après Pierre Véry)
Réalisation Christian-Jaque
Dialogues Jacques Prévert (non crédité)
Photo Marcel Lucien, André Germain
Décors Pierre Schild
Musique Henry Verdun
Interprétation
Le professeur Walter / Erich von Stroheim
Mazeau / Armand Bernard
César, L’homme « invisible » / Robert Le Vigan
Lemel / Michel Simon
M. Boisse, le directeur / Aimé Clariond
Philippe Macroy / Marcel Mouloudji
André Baume / Serge Grave
Mathieu Sorgues / Jean Claudio
Donadieu / René Génin
Miramont, le surveillant / Martial Rèbe
Planet / Jacques Derives
Le meunier / Albert Malbert
Robert Ozanne / Jean Buquet
Michel Retaux / Claude Roy
Martial Rebe / Pierre Labry
Film Noir et blanc
Format 1/1,37
Durée 1h40
No de visa 1 517
Distribution France Écran
Sortie en France 1938
Autour du film
La nostalgie de l’enfance
Sans être trop appuyée, l’évocation de l’imminence de la guerre et la xénophobie sont bien présentes dans le film, d’abord de manière explicite à travers trois répliques dont celle de Planet : « Et dire qu’il y a des gens qui s’obstinent à croire qu’il n’y aura pas la guerre », ensuite à travers la suspicion dont l’étranger, le professeur Walter, fait l’objet. Racisme ordinaire, hélas !
Enfin, le personnage du mouchard, toujours prêt à collaborer avec les autorités, contribue à créer une sorte d’atmosphère pesante. Dans cette perspective, l’intronisation du professeur Walter dans la société très fermée des Chiche-Capons est sans doute plus qu’un clin d’œil, il s’agit aussi d’une victoire sur le racisme.
Cela dit, le ton est plutôt à la bonne humeur, l’humour de Jacques Prévert, ses dialogues entre surréalisme et poésie populaire ne sont pas pour rien dans le charme des Disparus de Saint-Agil, et lorsqu’ils sont dits par un Armand Bernard merveilleux dans un rôle qui ne lui est pas habituel, comment ne pas être séduit ?
N’y résistons pas et, pour le plaisir, citons l’un des plus brillants et des plus loufoques : « Le jour où Sorgues a disparu, il m’a demandé de la salade, j’ai retrouvé la salade par terre ; aujourd’hui Macroy disparaît après m’avoir demandé de la salade ; je cherche la salade partout, je ne l’ai pas retrouvée. Pourquoi ? La question est posée: pourquoi la salade et pour qui la salade ? Mystère ! »
De manière générale, le casting n’est pas pour rien dans la création d’une atmosphère insolite, étrange : Le Vigan bien sûr , « La Vigue » comme l’appelait son ami Céline, le regard halluciné, il ne marche pas, il flotte dans les couloirs de Saint-Agil, le bras gauche à 45 degrés comme une sorte d’aileron. Quant à sa discussion avec Michel Simon sur les mérites comparés de la boîte d’allumettes, du couteau et des œuvres d’art, c’est un chef-d’œuvre de drôlerie. Que dire alors de Stroheim ? On le sent toujours prêt à en faire un peu trop, le cabotinage n’est pas loin, il le frôle, mais jamais n’y arrive, là est son génie. On pourrait presque en dire autant de Michel Simon campant somptueusement le personnage du professeur ivrogne. Tous ces êtres, pour le moins bizarres, contribuent également à alimenter les fantasmes et les peurs de gosses, à exciter leur imaginaire (et le nôtre en même temps). Sortent-Ils d’un rêve ou d’un cauchemar ?
Le film, dont l’action se déroule essentiellement la nuit (moment privilégié pour l’un comme pour l’autre) se situe délicieusement à la frange du réel et de l’imaginaire. Lequel de nous n’a pas rêvé dans son enfance de diriger une armée de gamins pour traquer des bandits dans leur repaire ? (Baume emploie d’ailleurs des termes empruntés à la stratégie militaire.) Où a-t-on vu un kidnappé tyranniser à ce point ses kidnappeurs ? De même est exaltante l’idée d’une société secrète sous la présidence du squelette Martin auquel on adresse un salut qui a vraiment marqué une génération d’enfants et qui continue à le faire. Rarement la petite poésie et l’univers magique de l’enfance ont été évoqués avec un tel brio et une telle aisance.
Alain Carbonnier
Autres points de vue
Une mauvaise histoire bien racontée
» L’histoire qu’on nous raconte est à la fois compliquée et molle. Les mystères du pensionnat de Saint-Agil ne nous passionnent pas. Disparition d’enfants, conciliabules nocturnes entre des personnages louches, trafic de faux-monnayeurs, tout cela reste gratuit. Ce n’est pas assez logique et précis pour faire une bonne aventure. Le film boîte. Seulement, par une espèce de miracle qui vient de l’habileté et de la gentillesse, il se trouve que cette mauvaise histoire est bien racontée. On ne s’ennuie jamais, on est même content. Il y a des trous, mais on en sort toujours par une espèce d’acrobatie. «
Pierre Post, 1938.
Franchir les frontières de la raison
» Esprit d’enfance, humour et mystère ont fait le succès du roman de Pierre Véry, dont on retrouve l’atmosphère caractéristique, malgré pas mal de modifications de l’intrigue. Ce film a résisté au temps et aux modes, parce qu’il traduit les impressions que reçoivent et renvoient les enfants imaginatifs dans l’univers clos d’un collège. En compagnie des trois « Chiche-Capons » qui ont pour « président » le squelette de la salle des sciences, Martin, nous franchissons les frontières de la raison. «
Jacques Siclier, » Télérama « , 2 mars 1988.
Un film magique
» Scrutée avec soin aujourd’hui, la vision sur pellicule jaunie de ce petit monde clos d’une institution de garçons révèlerait en fait de curieux éclairages. On y verrait surtout un film magique, mélange un poil désuet de drôlerie et de mystère, de suspens et de féerie, dialogué au noir par Jacques Prévert. «
Henri-Jean Servat, » Libération « , 24 décembre 1984.
Pistes de travail
Le rêve des Chiche-Capons : aller aux États-Unis, connaître le « pays de la liberté et des grands espaces », l’Amérique mythique (n’oublions pas que nous sommes en 1938)… Ce rêve, qu’en est-il aujourd’hui ? L’Amérique fait-elle encore rêver enfants et adolescents ? Quel pourrait être leur pays rêvé ? En existe-t-il un ?
Le goût du secret, du mystère est-il typique de l’enfance ? Est-ce un moyen de se préserver du monde des adultes ? Ont-ils eu ou ont-ils connu des expériences analogues à celles des Chiche-Capons ? L’univers de l’enfance est-il plus « magique » que celui des adultes ?
Aborder le problème de la xénophobie à travers le comportement des autres professeurs vis-à-vis de Walter (Stroheim). Ce débat peut être (hélas !) abondamment nourri par des références à l’actualité, y compris dans les lycées et collèges.
L’humour du film essentiellement à travers les dialogues de Jacques Prévert, le création d’une atmosphère drôle et poétique qui frôle le bizarre et le » non-sense « .
Inscrire le film dans une veine populaire, des romans de Gaston Leroux à Tintin, du feuilleton (du genre : Belphégor) à E.T., de Jules Verne à Jack London… Et, à travers ces références, déterminer les points d’accroche. Les développer.
Aborder le cinéma français des années trente : sont-ce des vieux films pour eux ? Comment ressentent-ils les comédiens (les célèbres et les moins connus) ? Il s’agit pour eux de camper un personnage sur un texte précis, ils frôlent parfois la caricature (au vrai sens du terme : développer et grossir deux ou trois traits). Leur souci est moins de réalisme que de bien jouer le comédie, et souvent d’accomplir un excellent « numéro d’acteur ». Tout cela leur semble-t-il un peu vieillot ou jubilatoire?
Mise à jour: 17-06-04
Expériences
Le parfum d’une époque
Interrogé à propos de son film, Christian-Jaque a pu dire : « Je l’ai réalisé avec huit ans de retard, mais sciemment, pour le bien faire. Les Disparus de Saint-Agil représentent pour moi toute la magie de l’enfance. Comme tous les gosses, j’ai rêvé de m’évader pour faire des voyages merveilleux : voilà sans doute pourquoi j’ai tant aimé faire ce film. »
De son côté, le romancier Pierre Véry a révélé que son histoire s’ancre dans une réalité bien précise, que les trois collégiens ont bien existé et qu’il était l’écrivain du clan.
Film novateur dans le contexte de l’époque : aucun personnage féminin n’intervient dans l’action qui se déroule en vase clos et se concentre dans le collège (sauf à la fin, plus factice). Ces murs, ces cours, ces classes permettent à Baume/Serge Grave de murmurer rêveusement : « Quelle curieuse pension que la pension de Saint-Agil », et de faire flamber par ces simples mots l’alchimie délicate qui amalgame la nostalgie de Pierre Véry à la poésie de Jacques Prévert.
Car Prévert, non crédité au générique, mais auteur des dialogues, se découvre à tout instant. Les élèves frappés d’angine souffrent de « rouge-gorge », nom d’un oiseau qui servira d’enseigne au cabaret des Enfants du paradis. Un gamin qui participe à l’encerclement du moulin s’écrie « Je ne peux pas m’en aller, j’ai peur des arbres… » Quant au concierge qui va de déduction en déduction, il constate : »Quand je me suis aperçu que Macroy n’était pas là, je me suis dit: il a disparu ».
Coq-à-l’âne à la Prévert, rêveries à la Véry, l’épopée des Chiche-Capons ravive le parfum d’autres films, dont deux sont allemands: Émile et les détectives et, pour la fête de l’école, Jeunes filles en uniformes. En France, Les Grands d’après une pièce de théâtre oubliée, développe un mélodrame caché entre les murs d’un pensionnat. Curieusement, Jacques Prévert dans la version muette signée Henri Fescourt, figure parmi les élèves . On trouve aussi des prolongements aux Disparus. Dans Les Anciens de Saint-Loup, Georges Lampin réduit à des bavardages larmoyants cette suite supposée à Saint-Agil, toujours écrite par Pierre Véry. Intrigue policière encore avec Les Gosses mènent l’enquête de Maurice Labro, dont le traitement fut ainsi épinglé dans l’Écran Français : « Après Les Disparus de Saint-Agil, les pendus de Saint Lambin ». Le folklore des genoux écorchés, des cours de récréation et des distributions de prix s’épanouit dans l’évocation douce-amère de La Vie en Rose de Jean Faurez, Wheeler et Jeanson : insouciance, inconscience et sourires tremblés.
La révolte et l’explosion de Zéro de conduite ont beau s’éloigner dans le temps, leur fureur reste exemplaire. Les flocons de plumes neigent toujours sur le dortoir et leur tempête choque les braves gens qui ne savent pas escalader les toits.
Christian-Jaque et Pierre Véry récidivèrent avec les enfants. L’Enfer des anges vaut par son reportage sur la banlieue de Paris en 1939, mais s’englue dans un mélo social où se débattent les trois protagonistes de Saint-Agil. En revanche, les émerveillements de l’enfance se reflètent dans le décor de neige, de guirlandes et de crèches qui encadre L’Assassinat du Père Noël.
(Raymond Chirat)