Synopsis
Dans un ironique prologue au pas de charge, sur fond de Hey Jude, une voix off raconte l’enfance des trois rejetons Tenenbaum, tous précocement célèbres : Chas l’aîné, pour son sens des affaires, Margot, la cadette, pour ses dons littéraires, et Richie, le benjamin, pour ses exploits en tennis. Vingt-deux ans plus tard, patatras : trentenaires, les ex-prodiges ne partagent plus qu’une dépression et un même sentiment d’échec…
Générique
Titre original : The Royal Tenenbaum
Réalisation : Wes Anderson
Scénario : Wes Anderson, Owen Wilson
Image : Robert Yeoman
Montage : Dylan Tichenor
Musique : Mark Mothersbaugh
Décor : David Wasco
Production : Touchstone Pictures
Distribution : GBVI
Format : 35mmm, couleurs
Durée : 1h49
Interprétation
Gene Hackman / Royal
Anjelica Huston / Etheline
Ben Stiller / Chas
Gwyneth Paltrow / Margot
Autour du film
Composition du cadre : des personnages désespérément seuls
Les choix de réalisation racontent la profonde solitude des personnages. Le prologue qui présente l’enfance des personnages en flash-back accorde une séquence à chaque enfant, de sorte qu’ils nous paraissent déjà très seuls, cloisonnés dans leur propre univers. Les enfants sont définis par rapport à des lieux annoncés par des cartons (Bibliothèque théâtrale, Poste de travail), des objets collectionnés (magazines financiers, décors de théâtre, petites voiture) et des épisodes marquants vécus avec leur père (la trahison sur la maison de campagne, la mauvaise appréciation de la pièce de théâtre par Royal, les sorties privilégiées de Royal et Richie). En germe, on trouve dans cette présentation tous les éléments fondateurs du récit : les peintures de Richie qui représentent toutes Margot, leur relation complice ; la relation distante de Margot et son père, sa culture du secret, les épisodes énigmatiques comme la fugue et le doigt coupé ; les rapports problématiques de Chas et son père, son talent pour la finance ; l’existence de Eli Cash, un voisin envieux et parfois rejeté par Margot.
Ce dispositif de présentation très elliptique et rigide sera conservé dans la suite du film : 22 ans plus tard, on retrouve les même personnages, toujours présentés frontalement dans leur propre cadre, précisément centrés. Cette composition du cadre est en rupture avec les règles d’harmonie classique : pour créer une représentation visuellement harmonieuse, il faut normalement placer les éléments sur les points d’or de l’image, c’est à l’intersection des lignes de force qui divisent le cadre en tiers horizontaux et verticaux. C’est ce qu’on appelle la règle des tiers.
La centralité des personnages, instaure un cadrage solennel et enferme le personnage dans son espace. En effet, pour filmer un dialogue, le cinéma place généralement chacun des personnages sur le premier tiers de l’écran, légèrement de biais afin que le personnage donne l’impression de regarder l’autre hors champ. Le montage alterne chacun des plans ainsi composés : c’est la figure classique du champ/contre-champ qui donne l’illusion que les regards se croisent. Une autre composition courante consiste à placer les personnages dialoguant dans le même cadre : celui qui écoute est de dos en amorce du cadre de celui qui parle.
Ici, le procédé adopté par Wes Anderson (le réalisateur fait alterner chacun des personnages filmés frontalement au centre de son propre cadre) emprisonne non seulement les personnages mais donne aussi l’impression d’un affrontement, d’un face à face (voir par exemple à 26 minutes 24 quand Royal annonce à ses enfants son désir de rattraper le temps passé ou à 11 minutes 16, Raleigh et Dudley au travail).
Il arrive cependant que deux personnages soient réunis dans le même cadre pour discuter. Dans ce cas, Wes Anderson les place alors côté à côté créant une symétrie très marquée donc peu naturelle, maniérée (voir à 46’46 par exemple, Margot et son mari) et qui empêche par ailleurs toute connexion visuelle entre les personnages.
Humour loufoque et burlesque
Le cadrage renseigne sur la situation psychologique des personnages mais est également une des sources de l’humour burlesque et loufoque qui caractérise le cinéma de Wes Anderson.
En effet, la répétition de la rigidité des cadrages est si peu commune et si artificielle qu’elle en devient drôle. Lorsque Raleigh révèle les mensonges de sa femme à l’hôpital, la rigueur symétrique de la composition fait sourire (1’08’55 à 1’12’00)… Mais également, lorsque, à 15 minutes 15, le réalisateur choisit de mettre en scène un dialogue entre Pagode et Royal selon le même système de frontalité/centralité, il fait varier le fond de chaque plan. Pagode se trouve devant une rivière tandis que Royal se trouve devant un parc : ces décors qui ne se raccordent pas font naître l’amusante sensation que les deux personnages ne partagent pas le même espace. Il faudra que le plan 5 les rassemble enfin pour mettre fin à ce décalage.
Les personnages secondaires ont un rôle primordial dans la création du loufoque. Dudley, Pagode, les enfants de Chass …Atypiques par leur physique et leur mutisme, ils sont souvent à l’image. Leur présence injustifiée dédramatise les situations qui semblent alors pathétiques et dérisoires… Et la dérision est un autre trait typique du cinéma de Wes Anderson. Dérision de l’histoire tardivement révélée du doigt coupé de Margot. Dérision des dialogues : à 1’08’53, quand Margot débarque à l’hôpital pour voir Richie qui vient s’ouvrir les veines, elle demande précipitamment à Dudley « Where is he ? ». Et Dudley de répondre, interloqué « Who ? ».
Le réalisateur n’exclut pas non plus le comique visuel. Il utilise une mise en scène burlesque à maintes reprises : la chute de Henry Sherman dans un trou du chantier de fouille quand il annonce son amour à Etheline, sa cravate coincée dans le clip d’un support rigide à l’hôpital, l’accident de voiture de Eli au moment du mariage…
Ainsi, l’air de rien, Wes Anderson s’amuse à faire sourire. Mais si son humour loufoque et désabusé peut naître, c’est grâce à un contrepoint, celui de la mélancolie lascive qui émane du film.
Désespoir, tendresse et mélancolie
Comme analysé précédemment, la difficulté des personnages à communiquer entre eux rend ces ex surdoués particulièrement seuls. Déprimés ou névrosés, ils se consument sur les cendres d’une gloire révolue.
En effet, la symétrie des cadrages s’accompagne d’une rigidité des personnages : ils n’ont pas vraiment changés depuis la scène de flash-back où Margot apparaissait déjà avec son carré géométrique et ses robes à rayures, Richie portait déjà son bandeau en éponge autour de la tête et son t-shirt de sport. Malgré le changement des saisons, Chess conservera le même survêtement et Margot le même manteau de fourrure. Seul Richie évoluera physiquement à la fin du film.
Le temps ne semble pas avoir de prise sur ces personnages trop isolés et autocentrés pour évoluer (la construction personnelle exige un enrichissement de l’extérieur).
La bande-son joue un grand rôle dans l’installation de l’ambiance mélancolique du film. Constituée de morceaux d’une époque révolue, elle porte en elle une certaine nostalgie. Par ailleurs, les morceaux choisis : Needle in the hay d’Elliott Smith, Stephanie says de Lou Reed, Wigwam de Bob Dylan ou encore These days chanté par Nico sont eux même emprunts de mélancolie.
Cependant, ils n’accompagnent pas systématiquement une scène triste. Cet emploi a priori paradoxal permet, comme l’explique Michel Chion dans L’audio-vision, (Ed. Armand Colin), de « redoubler [l’émotion] en l’inscrivant sur un fond cosmique. ». C’est précisément ce qui se passe dans la séquence du retour de Chess et ses deux enfants chez sa mère. La tristesse de « Look at me » de John Lennon ne convient pas à la situation plutôt rythmée. Mais en instaurant une certaine distance avec le spectateur et lui donne une lecture mélancolique de la scène.
Cécile Paturel, le 26 août 2008
Vidéos
Famille Tenenbaum (la)
Catégorie : Extraits
« Je vais mourir » de 20’38 à 22’48
Situation de l’extrait : Royal annonce in extremis à sa femme qu’il est sur le point de mourir afin de l’attendrir et d’accéder à nouveau à sa maison pour quelques semaines. Le temps de se sortir d’une situation financière au plus bas.
– Analyse : une mise en scène loufoque
La caméra accompagne prestement Etheline sortant de chez elle, puis l’ancien couple marchant dans la rue avec un de ces travellings|154 rectilignes dont le film abonde. Le quatrième plan s’immobilise en plan moyen jusqu’à la fin de la séquence. Ni l’annonce de Royal, ni les larmes de Etheline, ni le retournement mensonger de Royal ne viendront perturber la stabilité de ce plan qui durera 1 minute 40.
Refusant le champ/contrechamp, la caméra nous tiens à distance des personnages, permettant ainsi au spectateur de les examiner personnages dans leur confrontation. La mauvaise fois et l’infantilisme démesuré de Royal en sont comiques, tandis que la composition du cadre rend la scène tout à fait loufoque. En effet, le réalisateur déséquilibre les masses de son cadre : Royal se trouve à l’extrémité droite du cadre et, lorsque Etheline quitte le cadre à deux reprises, il ne reste plus qu’un grand vide. N’importe quel réalisateur aurait recadré le personnage pour rééquilibrer la composition. Mais, Wes Anderson recherche cette perturbation visuelle : Royal semble tout simplement s’adresser à un arbre.
Cécile Paturel, le 26 août 2008
Pistes de travail
- Analyse d’une séquence
Imaginer votre propre façon de mettre en scène l’annonce par Etheline de la mère de la maladie grave de leur père à son entourage (prendre en compte les relations du père et de son entourage). Comparer ensuite avec les choix de mise en scène du réalisateur (22’49 à 23’30). Comment les personnages se tiennent ils informés de l’événement ? Qu’est ce que ces choix racontent sur les personnages ?
Répétez ce travail pour la séquence du tribunal (36’57) en vous intéressant précisément à la construction du comique.
- Evolution du cadrage
Le cadrage évolue à mesure que la famille apprend à communiquer. A la fin du film, ils ne sont plus seuls dans leur cadre mais sont inclus dans le même espace temps, c’est-à-dire dans le même plan, grâce à de complexes mouvements de caméra. Repérer ces mouvements. A quel moments interviennent ils ? Que véhiculent ils ? En quoi unifient ils la famille ?
- L’humour : l’amour du détail
Repérez tous les détails rigolos que le réalisateur intègre dans les séquences l’air de rien comme le Gp sur le message reçu par le médecin à 43’11’, les souris dalmatiennes qui apparaissent régulièrement dans le cadre…
- Du livre à l’écran
Dans une interview au journal Le Monde daté du mercredi 13 mars 2002, Wes Anderson explique l’origine du film « Je voulais faire un film sur New York, Francis Scott Fitzgerald, J.D Salinger, Edith Wharton. Le New york que j’avais appris à connaître dans les livres était plus important que celui que j’avais vu dans la réalité (…) je réarrange la réalité afin qu’elle se conforme à mon idée préconçue. »
Le réalisateur n’adapte donc pas un livre. Et même si il s’inspire notamment de La famille Glass créée par Salinger (l’histoire new yorkaise d’une famille d’origine juive irlandaise dont les enfants sont précoces) pour son film, il ne travaille pas à donner une fidèle adpatation visuelle d’un livre mais il s’atèle plutôt à retranscrire son propre ressenti d’une ville qu’il a découverte par la littérature. Cette importance de l’écrit pour la stimulation d’un imaginaire et la capacité évocatrice d’un récit littéraire est sans cesse rappelée dans le film : structure chapitrée bien sûr mais aussi importance des livres et des visuels fixes. Repérez ces récurrences (couvertures de livres, photos, faire part) et établissez leur valeur pour les personnages.
Cécile Paturel, le 26 août 2008
Expériences
La saga de la « famille » Anderson
Wes Anderson aime travailler avec la même équipe devant et derrière la caméra. Côté acteur Bill Murray, Jason Schwartzman, Luke, Andrew et Owen Wilson, Anjelica Huston sont des habitués. De l’autre côté de la caméra, on retrouve des cousins et des frères : l’assistant de Wes Anderson est Roman Coppola (fils de Francis Ford Coppola), cousin de Jason Schwartzman et Owen Wilson, est également son scénariste. Cette troupe met en scène des histoires de famille d’un film à l’autre qui, sans qu’il s’agisse clairement de la même famille, comporte de nombreuses similitudes. On retrouve Richie dans le dernier film de Wes Anderson, A bord du Darjeeling limited en chef de fratrie jouant les patriarche après la mort de son père. Ainsi, il semble prolonger le rôle qu’il avait commencé à adopter dans le plan à 00’41’12 de La Famille Tenenbaum. Anjelica Houston y joue le rôle d’une mère retirée dans un monastère indien.
Outils
Web
Un site internet en anglais dédié aux films de Wes Anderson