Synopsis
Un soir, dans un commissariat d’une ville américaine où il a été conduit en état d’ivresse, le jeune Jim Stark remarque deux autres adolescents : Judy, qui a fait une fugue parce qu’elle souffre d’un manque d’affection de la part de son père ; et Plato qui, accompagnée d’une domestique noire qui supplée l’absence d’une mère divorcée, vient de tirer un coup de pistolet sur un chiot. Interrogé par l’inspecteur Ray, Jim Stark explique qu’il est perturbé par le manque d’autorité de son père, et que sa famille qui déménage sans cesse vient de s’installer dans cette ville. L’inspecteur lui propose son aide.
Le lendemain matin, Jim, en partant à l’université, rencontre Judy et constate qu’elle est la petite amie de Buzz, un étudiant qui règne sur une bande de voyous. Dès le premier cours au planétarium, Jim se fait remarquer par la bande de Buzz. Plato lui dit de se méfier d’eux. Et dehors, Buzz crève un pneu de la voiture de Jim, et provoque le jeune homme dans un duel au couteau. Le combat est interrompu par l’arrivée d’un gardien. Buzz propose alors de le reprendre d’une autre manière, une course dite de «la poule mouillée» : chacun, dans une voiture lancée à tombeau vers une falaise surplombant la mer, doit s’éjecter le plus tard possible. Jim accepte.
Le soir, à bord de voitures volées, Buzz et Jim s’élancent, mais la manche du blouson de Buzz s’accroche à la poignée de sa portière et il tombe dans le vide et se tue. La bande s’enfuit. Jim reste seul avec Judy et Plato.
Les membres de la bande de Buzz le soupçonnent de vouloir les trahir et le recherchent. Jim et Judy se réfugient dans une maison abandonnée, découverte par Plato. Mais les amis de Buzz les retrouvent. Plato en tue un avec son pistolet et s’enfuit vers le planétarium.
Alertée, la police cerne le bâtiment. Jim rejoint Plato, décharge secrètement son arme et le fait ensuite sortir du planétarium. Effrayé par les lumières de la police, Plato s’affole. Un policier l’abat. Jim pleure en montrant que l’arme de Plato était vide, puis il présente Judy à ses parents.
Distribution
Jim Stark
Dès les premières images, nous le sentons fragile, tendre et émouvant. Nous sommes avec lui. Mais c’est presque un piège, car nous ne le verrons jamais plus dans cet état au cours du film.
Il est le contraire de ses parents : il refuse de fuir ses responsabilités, quitte à se créer les pires ennuis. De son récent passé, on sait seulement qu’il a eu des problèmes dans d’autres villes, mais nous ne saurons jamais lesquels. Nous remarquons simplement qu’il sait se battre au couteau et qu’il sait décharger une arme à feu. Nous constatons aussi qu’il s’habille comme ceux de la bande à Buzz pour aller faire la course en voitures (blouson et blue-jean). Il est dans une zone intermédiaire entre ces rebelles sans cause et le milieu bourgeois dont il est issu.
C’est un adolescent fasciné par la marge, écartelé entre ses pulsions, mais toujours désireux de ne pas traverser le miroir vers la délinquance, le nihilisme ou la sauvagerie.
Plus le film avance, plus il devient le seul adulte du film (au sens moral du terme) — avec l’inspecteur Ray et la nurse noire de Plato. Ce trajet du personnage est régi également par la découverte de l’amour avec Judy. Il quitte ainsi la zone trouble de son ambiguïté pour revenir aux conventions sociales.
Judy
C’est une adolescente de seize ans qui souffre du fait que son père est incapable de la reconnaître en tant que femme. Elle veut punir ce père en se punissant elle-même. Elle fait une fugue la nuit, flirte avec Buzz, le chef de la bande, et affiche une attitude désabusée. Avant tout, elle triche avec elle-même. Elle transpose son besoin d’affection en une comédie de la marginalité où elle ne trouve aucune satisfaction profonde.
C’est quand Jim devient l’image du père pour Plato qu’elle se met à l’aimer. Elle quitte alors la bande et accepte une autre forme de vie que celle où elle s’aveuglait avec des sensations fortes et gratuites. Elle devient femme et accepte toutes les conventions sociales liées à ce statut.
Plato
C’est le personnage du film qui est le plus défini dans sa psychologie, et même dans sa psychopathie.
Chez lui, le manque d’affection est devenu maladif par l’absence totale du père et quasi totale de la mère qui se contente de lui envoyer de l’argent. Il se cherche un père, un grand frère, et le trouve dans Jim Stark.
Mais il est incapable de faire le départ entre la réalité et sa mythomanie. Il n’est heureux que dans la comédie de l’enfance, quand il fait visiter la maison abandonnée au jeune couple.
Sa solitude est totale. Il ne peut appartenir à une bande et n’accepte pas les rapports amoureux entre Jim et Judy. Il ne les comprend pas. Ses réactions ne sont pas celles d’un gamin jaloux, mais celle de quelqu’un qui se sent trahi parce que ses amis ne jouent plus un jeu où il se sentait enfin une existence normale.
Son parcours le conduit à une mort qu’il ne cesse de porter en lui. Fils de personne et ami de personne, il n’a plus qu’une pulsion destructrice des autres pour rester logique avec son choix de révolté absolu.
Buzz
Il ne cesse de jouer la comédie. Ce n’est que le chef d’une bande de gamins en mal de sensations. Le combat au couteau le prouve. Là aussi, il joue avec le danger et ne désire pas tuer son adversaire. Ses provocations cachent peut-être une blessure secrète.
D’ailleurs il donne son amitié à Jim avant la course ; puis il redevient le cabotin du groupe en se peignant soigneusement afin de peaufiner son image de Marlon Brando caricatural.
Les parents
Deux trios sont mis en place :
La nurse
Cette grosse femme noire est le seul personnage du film à se conduire comme un véritable parent. Mais elle n’est que nurse et elle est femme de couleur, ce qui l’empêche d’agir autant qu’elle le voudrait. Avec l’inspecteur Ray, c’est le seul personnage positif en permanence du film.
On aura remarqué que Nicholas Ray pulvérise ainsi deux conventions : le policier borné gardien de la loi et de l’ordre ; la nounou noire qui a peur de tout.
Générique
Titre original : Rebel without a Cause
Réalisation : Nicholas Ray
Scénario : Stewart Stern, Nicholas Ray, David Weisbart, d’après une histoire originale de Nicholas Ray, adaptée par Irving Schulman et Léon Uris
Assistants-réalisateur : Don Page et Robert Farfan
Image : Ernest Haller
Son : Stanley Jones
Décors : Malcom Bert et William Wallace
Costumes : Moss Mabry
Maquillage : Gordon Bau
Montage : William Ziegler
Musique : Leonard Rosenman
Conseiller : Frank Mazzola
Photographe : Floyd McCarty
Production David Weisbart pour Warner Bros
Film Couleurs Warnercolor
Format CinémaScope (1/2,35)
Durée 111 minutes
Sortie 27 octobre 1957 (U.S.A.)
Interprétation
Jim / StarkJames Dean
Judy / Natalie Wood
Plato / Sal Mineo
Buzz / Corey Allen
Goon / Dennis Hopper
Ray / Edward Platt
Père de Jim Stark / Jim Backus
Mère de Jim Stark / Ann Doran
Grand Mère de Stark / Virginia Brissac
Mère de Judy / Rochelle Hudson
Père de Judy / William Hopper
Nurse de Plato / Marietta Canty
Mil / Steffi Sidney
Helen / Beverly Long
Crunch / Frank Mazzola
Le professeur / Ian Wolfe
et Robert Foulk, Jack Simmons, Tom Bernard, Nick Adams, Jack Grinnage, Clifford Morris, Robert B. Williams, Louise Lane, Jimmy Baird, Dick Wessel, Nelson Leigh, Dorothy Abbott, House Peters, Gus Schiling, Bruce Noonan, Almira Sessions, Peter Miller, Paul Bryar, Paul Birch, David McMahon.
Autour du film
Le cinéma de Nicholas Ray ressemble à sa vie. Il est flamboyant, désespéré, lyrique, moral et écartelé entre les passions excessives et la probité idéologique.
Chez ce cinéaste, la beauté règne avec les déferlements de la violence dans les vertiges d’une tragédie de l’échec. Les parfaits travellings ou les fébriles plans-séquences emprisonnent des personnages effarés dans une logique éperdue ne débouchant que sur le pathétique. Le style de Nicholas Ray oblige à réfléchir sur des effets de réel inhabituels au langage cinématographique, en tant que mouvance stylistique et travail structurel sur l’utilisation des couleurs, de la lumière et des ombres.
Pour celui qui aime ses films, des images fantômes persistent longtemps après leur vision : le couple perdu dans l’opacité de l’aube des Amants de la nuit, les incroyables couleurs de Johnny Guitar, Robert Mitchum retrouvant son enfance sous le plancher d’une ferme dans Les Indomptables, le combat au ceinturon clouté des deux frères gitans dans l’Ardente gitane, l’argent et le revolver liés dans la main de James Cagney pour À l’Ombre des potences, James Dean et son petit clown automate au générique de La Fureur de vivre, l’image de James Mason reflétée dans le miroir brisé de Derrière le miroir, les numéros de danse de Cyd Charisse et la baignoire ensanglantée dans Traquenard, Curd Jurgens épinglant sa médaille sur la poitrine d’un pantin de caoutchouc au dernier plan de Amère victoire… Autant d’instants qui participèrent à l’invention du cinéma moderne… Car Nick Ray a bouté le feu à ses films. L’incendie ravage ses histoires de passation de savoir entre jeunes et vieux, ses pamphlets douloureux en éloge de la révolte et son désespoir face à l’impossibilité de vivre ses rêves dans la réalité.
Toujours défendu par des réalisateurs comme Jean-Luc Godard, François Truffaut, Jacques Rivette ou Rainer-Werner Fassbinder, Nicholas Ray est un cinéaste indispensable, tant pas la pureté fébrile de son style que par l’obsession de ses thèmes principaux : autodestruction, marginalité, absence et besoin du père, quête d’identité, violence et éthique de la violence.
Son œuvre n’est pas celle d’un humaniste, d’un militant, d’un esthète exigeant ou d’un philosophe, c’est une œuvre de moraliste où la forme et le fond sont toujours intimement liés en un même matériau qui a pour nom : le cinéma.
Noël Simsolo
Le sens de la tragédie
« Ce que j’aime dans ce film, c’est que ces gamins […] ne sont pas tout à fait coupables, mais non entièrement innocents, tachés, ne serait-ce que par la faute de leur siècle… Il appartient aux politiques, aux philosophes de montrer à l’humanité des horizons plus clairs que ceux où elle a décidé de s’enfermer, mais c’est la mission du poète de ne pas croire tout à fait à cet optimisme là, d’extraire de la lie de son temps la pierre rare, de nous apprendre à aimer sans nous interdire de juger, d’entretenir toujours vif en nous le sens de la tragédie. »
Éric Rohmer, in Cahiers du Cinéma, n° 59 – mai 1956
Tout n’est qu’illusion, sinon l’amour
« En osant montrer un fils qui frappe son père par amour (un amour où se mêlent déception et rancœur), nous songeons invinciblement à certaines pages des Frères Karamazov […] rien n’y peut mettre fin que la fureur et le délire. Ce que Jim condamne en son père, c’est moins sa lâcheté, sa vaine sollicitude que l’image veule de lui-même qu’il renvoie. Obligé de se contrefaire, de jouer à l’homme fort, Jim n’en rejette pas moins la mièvrerie insipide de l’amour paternel. Il aspire à la vérité et tout n’est qu’illusion. Tout, sinon l’amour par lequel cette conscience déchirée, crucifiée retrouve le calme et pourra dilapider les inépuisables réserves d’une tendresse jusqu’ici sans emploi. Nous avons donc affaire moins à l’amour fou qu’à l’amour médiation par laquelle la conscience apaisée se réconcilie avec le monde. »
Jean Domarchi, in Cahiers du cinéma, n° 59 – mai 1956
Le seul cinéaste de la Beat Generation
« Pour ne pas tuer ses pères qui l’ont conduit à cette place étouffante dans la société, le héros de Ray s’auto-détruit. Il rend ainsi le père coupable de sa mort et nie l’omniprésence divine. Ray attaque ainsi ses pères et par cela même s’attaque. Mouvement perpétuel et douloureux qui cherche dans la nature, la quiétude que la vie lui refuse dans la société. Cette sorte de folie, ce déséquilibre fiévreux est-il seulement lamentable ? Certains événements récents (sociaux ou politiques) montrent à quel point Ray sentait tous les mouvements qui allaient enflammer les années soixante. Sur ce point, il est peut-être le seul cinéaste de la Beat Generation. »
Noël Simsolo, in La Revue du cinéma, n°140 – juin/juillet 1970
Pistes de travail
Le conflit des générations
Étudier la manière dont les adultes sont mis en scène par Nicholas Ray : les différents policiers du début (la policière muette, les simples agents, l’inspecteur qui interroge Plato, celui qui interroge Jim et Judy), les parents de Judy, de Jim et des hommes de la bande à Buzz (scène en face du commissariat après la mort de Buzz), la nurse noire, le conférencier et le gardien du planétarium, ainsi que les policiers qui pourchassent Plato ; puis étudier la manière dont sont présentés les différents jeunes et chercher l’axe que décide chaque fois le cinéaste devant ces deux générations, avec les variations, les heurts, les communications et les ruptures. Insister sur la responsabilité (ou l’irresponsabilité) de chacun et chercher les moments forts qui définissent le conflit existant entre les adultes et les adolescents.
Le temps et les décors
La linéarité du récit qui se déroule en 24 heures dans très peu de lieux permet une étude de la circulation des personnages, ainsi que la description de la manière dont ils s’y introduisent pour occuper l’espace. Insister sur les moments de calme et les moments de tension, ainsi que sur l’alternances des lieux qui reviennent au cours de l’action. Étudier les métamorphoses de comportement dans ces lieux selon l’évolution de la situation générale, mais aussi selon l’évolution individuelle de chaque personnage. Tenir compte du travail sur la couleur et de la manière dont elle voyage de l’un à l’autre tout au long du film.
Représentation de la violence
Comparer les différents types de violence intervenant dans le film : violence morale, violence de situation, violence latente, violence contrôlée, puis incontrôlée. Chercher la manière dont le cinéaste justifie cette violence dans sa mise en scène. S’interroger sur la pertinence de la violence.
Le cadre et la cadence
Le choix du CinémaScope permet une construction architecturale des images. Suivre la musique des lignes géométriques et le rythme interne à chaque séquence. Mettre en évidence l’aspect théâtral des lieux et l’impression de clôture qu’ils procurent, même en plein air.
Mise à jour: 17-06-04
Expériences
En 1955, s’amorce le dégel des relations internationales après dix années de « guerre froide ».
Aux États-Unis, si le chômage baisse et la consommation augmente, la population noire vit encore en majorité dans la misère ; et la récente guerre de Corée et la « Chasse aux sorcières » contre les Américains soupçonnés de communisme marquent encore la majorité des esprits. Les classes moyennes se replient alors sur les notions familiales (c’est encore le Baby Boom) et bénéficient de réels progrès urbains (cité jardin) ou sociaux (facilités de crédit). Cependant l’alcoolisme se développe autant dans ces classes moyennes que dans les minorités ethniques ou sociales.
À Hollywood, pour lutter contre le succès grandissant de la télévision (plus de 60 % des foyers possèdent un téléviseur), le format CinémaScope se généralise. Pourtant, les grands succès de 1955 ne sont pas les superproductions sur écran large, mais des films adaptés du théâtre contemporain : Marty, filmé par un homme de télévision, Delbert Mann, et la transposition d’une pièce de Tennesse Williams par Daniel Mann, La Rose tatouée, raflent les oscars de 1955.
Dans une troisième voie, une nouvelle génération de cinéastes s’impose en contrepoids par son sens lyrique de la violence (Robert Aldrich, Samuel Fuller, Nicholas Ray, Donald Siegel), un humour insolent sur la sexualité (Frank Tashlin, Blake Edwards) et une volonté d’indépendance contre les grands studios.
Graine de violence et La Fureur de vivre
Sur le plan sociologique, la criminalité traditionnelle prospère dans tous les états : racket, trafic de drogue, jeux clandestins, prostitution, grand banditisme. Mais l’âge d’or du capitalisme américain porte un autre cancer en lui : la jeunesse délinquante.
Deux films connaissent un succès international en abordant cette question : Graine de violence de Richard Brooks, qui va d’ailleurs lancer le « Rock and Roll », et La Fureur de vivre de Nicholas Ray, avec James Dean qui va, lui, lancer la mode du « blue-jean » dans le monde entier.
Moins humaniste que Richard Brooks, Nicholas Ray tourne La Fureur de vivre dans un autre esprit que celui de Richard Brooks qui a centré son film sur l’instituteur — incarné par Glenn Ford — et poussé l’allégorie jusqu’à montrer le ralliement d’un adolescent immigré qui utilisait le drapeau américain pour mettre hors d’état de nuire le chef de la bande des jeunes écoliers délinquants. Nicholas Ray refuse aussi bien le manichéisme moralisateur que la mise en fiction selon les codes du film noir. Ce qui le passionne d’abord, c’est que ces délinquants provenaient de famille bourgeoise ou petite-bourgeoise ordinaire.
Il en résulte que l’œuvre ne donne pas une amorce de solution au problème de la délinquance. C’est une analyse de forme poétique qui exprime une difficulté d’être, un mal de vivre et une absence d’idéal ; donc quelque chose en totale rupture avec le cinéma d’alors, car c’est un film qui tend un miroir à chacun sans lui permettre de détourner la tête pour éviter de voir le reflet de sa propre situation. C’est une mise en crise, très éloignée des œuvres à message ou des interrogations de type psychanalytique qui se développent à cette époque dans les adaptations des pièces à thèses de Broadway.
Par un paradoxe typiquement américain, le succès de La Fureur de vivre déclenchera une profusion de films sur le sujet aux États-Unis, en Europe et au Japon. En 1957, la comédie musicale West Side Story sur scène à Broadway est un immense succès. La peur de la jeunesse délinquante fait vendre. Le cinéma l’exploite pour le meilleur et pour le pire.
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Cahiers des Ailes du Désir n°8 - "Revoir La Fureur de vivre", par B.Nave