Gamin au vélo (Le)

Belgique (2010)

Genre : Comédie dramatique

Écriture cinématographique : Fiction

Collège au cinéma 2012-2013

Synopsis

Le gamin a 10 ans, les poings serrés dans les poches. C’est un bagarreur, insoumis, qui ne renonce jamais. Il a deux bonnes raisons d’être révolté : la première est d’avoir été placé dans un foyer, coupé de son père, confié à des éducateurs ; la seconde est l’explication qu’on lui a donnée, à laquelle il ne croit pas. Cyril, bonne bouille, boule de nerfs indomptable, refuse d’admettre que son père est parti, a déménagé, l’a abandonné, ne veut plus le voir. Comment faire confiance aux adultes, quand ils vous racontent de telles balivernes ?

Distribution

Samantha / Cécile de France
Cyril / Thomas Doret
Guy Catoul / Jérémie  Rénier
Le patron du bistrot / Olivier Gourmet

Générique

Réalisateurs : Luc et Jean-Pierre Dardenne
Scénario : Luc et Jean-Pierre Dardenne,
Image : Alain Marcoen
Son : Jean-Pierre Duret
Montage : Marie-Hélène Dozo
Décors : Igor Gabriel
Costume : Maria Ramedhan-Levi
Production : Les Films du Fleuve (Luc Dardenne), Archipel 35 (Denis Freyd).
Couleurs
Durée : 1h27.
N° de visa : 126391
Sortie en France : 8 mai 2011.
Distributeur : Diaphana Distribution

Autour du film

« Le Gamin au vélo » : la course effrénée à vélo d’un enfant insoumis

Le gamin a 10 ans, les poings serrés dans les poches. C’est un bagarreur, insoumis, qui ne renonce jamais. Il a deux bonnes raisons d’être révolté : la première est d’avoir été placé dans un foyer, coupé de son père, confié à des éducateurs ; la seconde est l’explication qu’on lui a donnée, à laquelle il ne croit pas. Cyril, bonne bouille, boule de nerfs indomptable, refuse d’admettre que son père est parti, a déménagé, l’a abandonné, ne veut plus le voir.

Comment faire confiance aux adultes, quand ils vous racontent de telles balivernes ? Cyril incarne le refus. Il fugue, cogne, mord, téléphone en douce, fonce sonner chez ce père dont il a, par principe, décidé d’excuser une absence et des défaillances qu’il espère provisoires. Il court, ici et là. Même la visite du logis où ils habitaient ensemble ne le convainc pas. Les faits sont têtus. Lui plus encore. Il ne veut pas les admettre.

Toute la force du cinéma des frères Dardenne, dont le nouveau film était présenté en compétition à Cannes, dimanche 15 mai, est là, d’emblée, dans cette scène d’inspection fébrile des pièces vides dont Cyril ouvre les portes avec rage et dont il fouille les moindres recoins. Pas un mot, juste des gestes, accomplis avec une telle détermination qu’ils proclament le désarroi du gamin. L’émotion est perceptible alors que la caméra est sur la nuque. Le sentiment se transmet par la violence avec laquelle sont scrutés, manipulés, choyés ou rejetés les objets.

Il en est ainsi du vélo, symbole du lien qui unit l’enfant au père, unilatéralement. Cyril y tenait plus qu’à tout, plus encore que les natifs du plat pays tiennent à cet emblème de la patrie d’Eddy Merckx. Le vélo était son ADN, et le père s’en est débarrassé, comme le père vendait le landau du nouveau-né dans L’Enfant (2005). C’est autour du vélo que se noue l’intrigue. Cyril n’a de cesse de le récupérer. Une certaine Samantha le lui retrouve, des voyous cherchent à le lui dérober. Le deux-roues véhicule l’idée d’une filiation brisée, d’une adoption possible, d’une délinquance potentielle.
Ce clin d’œil au Voleur de bicyclette, de Vittorio De Sica (1948), est à la fois esthétique (goût des extérieurs, des décors naturels, des acteurs dépouillés d’artifices, d’une mise en scène privilégiant la sécheresse stylistique et la perception de la solitude humaine) et thématique (combat contre l’injustice et obsession d’une solidarité familiale dans un contexte de misère sociale). Courir après son vélo, pédaler sont des actes existentiels, une façon de lutter contre le découragement, de refuser l’engrenage des marginalités, de s’accrocher à la communauté humaine.

Ce gamin, ce vélo, les Dardenne ne les quittent donc pas d’une semelle, accrochés à cet enfant sauvage et à son idée fixe. De Samantha (Cécile de France), qui accepte que l’enfant vienne passer les week-ends avec elle, nous verrons qu’elle tient un salon de coiffure mais nous ne saurons rien du passé, rien des motivations, ni pourquoi elle traite ce mal-aimé comme son fils. Elle l’a choisi.
Lorsque son amant, excédé par les « exploits » de Cyril, la somme de se débarrasser de cette tête de pioche d’un : « C’est moi ou c’est lui ! », elle n’hésite pas : « C’est lui ! » Réplique quasi mystique. Rien n’est souligné, non plus, de ce qu’endure Cyril, dévoyé par un caïd local qui le pousse sur un mauvais coup, Cyril que l’on croit un instant ragaillardi par la sérénité lors d’un pique-nique, avant que ne soit suggérée sa condamnation à endurer le mal à perpétuité.

La magie exemplaire du cinéma des Dardenne (deux Palmes d’or, pour Rosetta en 1999, L’Enfant en 2005) est celle d’un scénario et d’une mise en scène qui privilégient l’ellipse, font avancer l’histoire sans dialogues explicatifs, sondent la douleur en la filmant de biais. Elle est suggérée, plus que montrée, par des lieux, des objets – le vélo, une porte fermée, une vitre derrière laquelle se profile l’ombre d’un homme insensible, un téléphone portable qui sonne en vain -, mais aussi par de poignantes métaphores. Ainsi, un robinet qui coule à flots figure le chagrin de l’enfant, qui ne lâchera pas une larme.

Sans temps morts, sans psychologie, sans pathos, osant, pour la première fois chez les Dardenne, quelques lumineuses envolées musicales, Le Gamin au vélo suscite une émotion d’autant plus pure qu’elle échappe au discours édifiant. Les armes utilisées par les deux frères sont hitchcockiennes autant qu’humbles et humanistes, à l’affût d’une rédemption. La messe est rude, le héros est au désespoir, mais résonne en filigrane la soif avide d’un Pater noster.

Explorant l’âme en grattant l’os, ils orchestrent un thriller sentimental, et leur étude morale est digne d’Emmanuel Levinas. Le suspense sentimental est entretenu dans la certitude que « l’éthique est une optique ». Le gamin au vélo est cet « enfant pâle » dont parlait le poète Henri Michaux. L’enfant abjuré, tombé de haut, en coma affectif, au bord de la disparition. Du grand art.

Jean-Luc Douin / Le Monde 17/05/2011

Vidéos

Le contrechamp absent

Catégorie :

 “Le Gamin au vélo” est l’histoire d’un conflit. Cyril est typiquement un personnage qui s’oppose à tout ce qui l’entoure. Pour rendre compte de cette situation où un personnage est systématiquement contre un autre, le cinéma classique utilise une figure de style très répandue, le champ-contrechamp. Cette figure naturelle du champ-contrechamp apparaît bien dans “Le Gamin au vélo”, elle y est rarissime. Nombreuses sont les scènes qui pourtant appelleraient le champ-contrechamp que refusent systématiquement les frères Dardenne. Ce refus confirme largement la signification profonde de telles scènes.
Quelques exemples de ce refus du champ-contrechamp.


Analyse : Joël MAGNY
Réalisation : Jean-Paul DUPUIS

Dardenne Luc

Catégorie :

À l’occasion des 20 ans de Collège au cinéma, une série d’interviews de 20 réalisateurs français, parrains de cette manifestation, ont répondu à une série de questions autour des « premiers souvenirs de cinéma » et de « conseils à donner aux jeunes ».

Conçus par Pierre Forni, responsable du département de l’éducation artistique du CNC, réalisés et montés par Jean-Paul Dupuis en collaboration avec Bernard Kuhn, responsable national du dispositif.