Hiver Nomade

Suisse (2013)

Genre : Autre

Écriture cinématographique : Documentaire

Prix Jean Renoir des lycéens 2012-2013

Synopsis

Carole et Pascal partent pour leur transhumance hivernale avec trois ânes, quatre chiens et huit cents moutons. Pour la nuit, une bâche et des peaux de bête comme seul abri.
Une odyssée hivernale au cœur des montagnes, de la nature et du monde rural.

Distribution

Les bergers : Pascal Eguisier et Carole Noblanc
L’éleveur de moutons : Jean-Paul Peguiron

Générique

Documentaire – Durée 1h25

Scénario : Claude Muret et Manuel von Stürler
Réalisation : Manuel von Stürler

Image : Camille Cottagnoud
Son : Marc von Stürler
Montage : Karine Sudan
Assistantes montage : Prune Jaillet et Jessica Dayan
Montage son et mixage : Étienne Curchod
Étalonnage : Patrick Lindenmaier
Régie : Raymond Vonnez
Musique originale : Olivia Pedroli
Mixage musique : Bernard Amaudruz

Production : Louise Productions, Lausanne
Producteurs délégués : Elisabeth Garbar et Heinz Dill
Assistante de production : Vanda Rodrigues

Autour du film

Article « La Croix » du 5 février 2013 par Arnaud Schwartz :

Présenté au 62e festival de Berlin, Prix du Meilleur film suisse au Festival visions du réel de Nyon, Meilleur documentaire européen 2012, Hiver nomade est une de ces œuvres dont le mince argument – deux bergers partent pour une transhumance d’hiver – ne laisse pas deviner la profonde richesse humaine. Trois ânes lourdement chargés, quelques chiens, un troupeau de huit cents têtes : s’il ne s’agissait d’ovins et de paysages du canton de Vaud précocement recouverts de neige, le spectateur pourrait se croire un instant plongé dans un western contemporain. Emmitouflés dans leurs lourdes houppelandes, Pascal et Carole s’aventurent à travers champs, disputent les routes vicinales aux automobilistes peu satisfaits de cet envahissement laineux, traversent les villages en un long bêlement accompagné du tintement des cloches, trouvent refuge sous les ponts d’autoroute ou en lisière des banlieues pavillonnaires… Au gré des découvertes, ils laissent moutons et brebis gratter la croûte glacée pour mettre au jour un insoupçonnable eldorado d’herbe plus ou moins grasse. Le soir venu, ils délestent les ânes, allument un feu et passent la nuit sur un matelas savamment constitué de couvertures et de peaux de bêtes, à l’abri de bâches raidies par le gel.

Il faut courir voir Hiver nomade

En quelques mois, s’ils travaillent bien, leur « patron » aura de quoi contenter les boucheries pour les fêtes de fin d’année.

Mais le propos n’est pas là. Pour Pascal, la cinquantaine, qui a appris le métier à 20 ans avec d’âpres bergers bergamasques, pour Carole qui découvre la rudesse de la vie qu’elle a décidé d’embrasser (elle est la seule femme en Europe à exercer cette activité), chaque jour est une aventure pleine de rencontres, où les déconvenues succèdent à de beaux mais rares moments d’apaisement. L’émerveillement béat de riverains très urbains s’oppose parfois à l’hostilité de paysans inquiets à l’idée que leurs terres soient foulées par la horde.

Rapport de l’homme à l’animal, relation à la fois rudoyante et bienveillante du berger expérimenté à la jeune bergère apprenante, confrontation de deux caractères forts dont on comprendra qu’ils ne sont pas seulement unis par un choix professionnel, collision entre le temps propre à cette lente odyssée pastorale et le temps frénétique des véhicules vrombissants… Nulle nostalgie antimoderne dans ce voyage-là, mais une expérience de nomadisme toute simple, riche d’enseignements et – cela ne gâche rien – souvent très drôle. Il faut courir voir Hiver nomade, et prendre son temps en revenant.

Pistes de travail

Définition de la transhumance

S’il n’use d’aucun commentaire off comme la plupart des documentaires contemporains, Hiver nomade n’est pas pour autant un film muet. Il sait même être bavard, soit en laissant la parole (certes parcimonieuse) aux bergers, soit en laissant causer les quelques intervenants qui apparaissent incidemment durant la blanche odyssée. Aussi est-il même discrètement pédagogique quand il offre à Pascal le soin de définir lui-même son métier en réponse à une question que lui pose une jeune femme : « Transhumance, ça veut dire un déplacement d’un point à un autre… C’est un voyage… Le but, c’est de les [les moutons] engraisser, de les faire manger, et après, ils sont destinés à la consommation. Ça dure quatre mois, pendant que la végétation est au repos. On glane tous les résidus, tout ce qui n’a pu être fauché ou récolté. »
À l’encontre de l’élevage intensif qui prévaut en Europe et ailleurs, la transhumance est un mode d’élevage traditionnel extensif garant d’une agriculture durable. Respectueuse de la biodiversité des espaces traversés (non modifiés pour accueillir le bétail), elle offre une alimentation naturelle et variée, gage d’une viande de qualité. Mais au-delà de ces spécificités biologiques que le film n’aborde guère qu’en filigrane, la transhumance apparaît comme la survivance culturelle d’une pratique traditionnelle régionale, un mode de vie viscéralement attaché à la terre, un état d’esprit, une « passion », un désir de liberté et d’union avec les éléments. Le troupeau de nos deux bergers est en vérité composé d’agneaux du printemps qui, jugés trop maigres à la fin de l’estive, sont emmenés en transhumance pour engraisser. Seuls les « guides », portant clochette et fréquemment nourris de pain sec par Carole, sont des brebis ou moutons qui reviennent d’une année sur l’autre.

Éloge de la lenteur

Hiver nomade est un documentaire qui raconte une histoire, scrute un travail et observe une expérience de vie qui doit beaucoup à la terre nourricière. Cette histoire, c’est celle d’un (vrai) couple à la belle silhouette, vêtu de la houppelande traditionnelle des bergers bergamasques. Il y a là le Corrézien Pascal (54 ans, dont 33 de transhumance) et la Bretonne Carole (28 ans, quasi novice dans le métier) qui, durant quatre mois, partagent les duretés d’une transhumance hivernale en pays vaudois.
Tout débute par le harnachement des trois ânes destinés à transporter le matériel nécessaire à la longue équipée (vêtements chauds, bâches, peaux de bêtes pour bivouaquer, nourriture, ustensiles de cuisine, etc.). Les conditions de travail sont rudes. En plus de la neige qui a commencé à tomber très tôt (et abondamment) en cet automne 2010, la pluie, le brouillard, le vent et le froid sont autant d’ennemis redoutables pour les organismes. La progression des bergers dans l’épais manteau neigeux s’avère vite difficile. La nourriture pour les bêtes est rare, les lieux pour bivouaquer aussi. Quelques arbres en lisière de forêt, une haie recouverte d’une bâche suffisent souvent pour la nuit. On se sustente debout dans la neige à la mi-journée, le soir un feu de camp est allumé pour se réchauffer et concocter un repas chaud. Quelques mots disent le soulagement, le bien-être après une journée harassante ou le passage assourdissant près d’une autoroute. Un anneau du harnais perdu (puis retrouvé), quelques curieux qui s’informent de l’activité des bergers ou qui les photographient, d’autres qui les accueillent chez eux pour passer la nuit ou d’autres encore qui leur interdisent de traverser leur champ, une petite dramaturgie avec ses péripéties, ses personnages et sa tension se met peu à peu en place. L’apparition rituelle de la bétaillère de l’éleveur Jean-Paul en martèle le rythme et apparaît peu à peu comme le compte à rebours de sa temporalité, à mesure que le troupeau se vide de ses têtes pour être envoyées à l’abattoir. C’est là l’occasion d’une double pause souvent drôle dans le récit et dans la marche. Le moment de quelques mots échangés, et d’un précieux retour pour Pascal sur son travail dont la qualité s’évalue à l’aune de la satisfaction de son patron et des bouchers à qui sont vendues les bêtes.

Un travail pénible et complexe

Le travail (l’homme au travail) donc – que le cinéma peine souvent à nous montrer avec justesse car trop réducteur, fait d’ellipses et de raccourcis, oublieux de l’aspect répétitif et des patients efforts nécessaires à sa concrétisation – nous est ici montré avec précision et souci du temps dans lequel il s’inscrit. En suivant ainsi la transhumance dans sa durée, Hiver nomade nous en révèle la complexité, les difficultés de manœuvre (« avoir des yeux dans le dos ») mais aussi la répétition monotone scandée par le retour des mêmes images, le crissement des pas dans la neige, la blancheur imperturbable du paysage. Car loin de l’image d’Épinal, la transhumance est un métier pénible à vivre, constamment soumis aux aléas de la météo, de la nature des terrains parcourus, de l’urbanisation et de la logistique (une simple bouilloire mal placée sur le dos d’un âne peut être source de problèmes). Il faut apprendre à composer avec la « los-angelisation » des espaces, selon le mot du réalisateur, comprendre le grignotage progressif des zones urbaines sur le territoire. Il faut savoir aussi accepter de détourner son chemin quand des agriculteurs récalcitrants refusent le passage sur leur terre.
« La transhumance, rappelle von Stürler, est réglementée par les autorités qui attribuent des zones aux propriétaires de troupeaux, mais rien n’oblige les paysans à accepter les moutons sur leurs terres. »
Guider l’immense troupeau le long d’une route peut s’avérer dangereux (surtout quand les automobilistes sont pressés) ; cela requiert une précision et une vigilance de chaque instant. Cela exige une expérience que Pascal tente avec plus ou moins de patience d’inculquer à Carole. Car Hiver nomade, c’est aussi cela, une histoire de transmission, où Pascal adresse régulièrement à Carole conseils, explications, et admonestations quand celle-ci ne contrôle pas le chien qui détourne une partie du troupeau par exemple.

Les bergers entretiennent avec les animaux un rapport complice et protecteur (de leur santé). Il leur faut sans cesse veiller sur le travail des chiens, veiller à ce qu’ils soient soumis à leurs ordres et qu’ils ne mordent pas les bêtes, que les ânes (toujours à l’arrière du troupeau) ne souffrent pas de leur charge. L’un d’entre eux est-il blessé qu’il est aussitôt remplacé. Aussi, à mesure que le pas s’allonge, le temps s’étire et l’humanité des caractères émerge (comme dans une fiction). On chasse l’ennui du voyage par la lecture (Carole lit Cantique de l’apocalypse joyeuse d’Arto Paasilinna) ; on répare le matériel ; on dresse Léon, le chiot porté dans le dos de Carole, qui travaillera aux côtés des bergers l’année suivante. On se regarde, on se sourit, on échange encore quelques mots avant de voir partir les dernières bêtes (les « guides ») dans la bétaillère. Car c’est la fin… Au terme d’un petit jour glacial, les bergers sont soudain seuls, le cœur gros. Nous aussi. La transhumance est terminée, mais le film, souvent instructif, parfois contemplatif, invite déjà à refaire le voyage. Mentalement.

Extrait du dossier pédagogique du réseau Canopé