Synopsis
Un savant, Jack Griffin, a découvert une formule qui l’a rendu invisible. Tandis qu’il recherche l’antidote qui lui rendra son apparence normale, son état mental se dégrade. L’effet de la » monocaïne » décuple en lui une délirante volonté de puissance qu’il décide de satisfaire en » semant la terreur « . Il multiplie les crimes et exactions, déjouant par son invisibilité toutes les forces lancées à ses trousses… Cerné par la police il sera trahi par la trace de ses pas dans la neige et abattu, son cadavre redevenant alors visible.
Générique
Titre Original : The Invisible Man.
Scénario : R.C. Sheriff, d’après le roman homonyme de H.G. Wells
Photographie : Arthur Edesson
Photo des truquages et des maquettes : John Mescall
Effets spéciaux optiques : John P. Fulton
Effets spéciaux mécaniques : Bob Laszlo
Maquillage : Jack Pierce
Direction Artistique : Charles D. Hall
Montage : Ted Kent, Maurice Pivar
Producteur : Carl Laemmle, Universal
Interprétation :
Jack Griffin, l’homme invisible / Claude Rains
Flora Cranley /Gloria Stuart
Dr Cranley, son père/ William Harrigan
Dr Kemp/ Henry Travers
Jenny Hall, la femme de l’aubergiste/ Uma O’Connor
l’aubergiste/ Forrester Harvey
(Milly, l’employée /Merle Tottenham
(l’inspecteur Lane /Donald Stuart
(le chef de la police/ Homes Herbert
(le chef des détectives /Dudley Digges
(l’inspecteur Bird/ Harry Stubbs
(un reporter /Dwigt Frye
(un villageois /John Carradine
(le vélocycliste/ Walter Brennan
(le vieux fermier/ Robert Brower 68 mn, Noir et Blanc
Autour du film
Ce film tranche par son originalité. Choix d’un héros invisible dans un médium fondé sur la vision et un genre voué à l’apparition de monstres particulièrement spectaculaires. De même les chemises ou pantalons qui se promènent tout seuls, les objets volants sans support identifié appartiennent plutôt à un merveilleux surréaliste comme l’a souligné Paul Gilson -on pense au fameux Fantômes de la matinée de Hans Richter (1927) où de facétieux chapeaux prennent leur envol.
Autre singularité remarquable, son humour (plutôt rare dans les films de terreur sauf dans les parodies du genre venues plus tard). Humour qui va d’une ironie assez subtile-comme le parallèle implicite introduit entre deux voix » désincarnées » : celle de l’homme invisible et celle des autorités radiodiffusée, jusqu’au burlesque le plus pur , celui qui veut que les » cops » (policiers) soient ridiculisés et grotesques (héritage d’une longue tradition) et à la farce, telle celle de la petite saynète où une femme terrorisée s’enfuit devant un pantalon cavalcadant et ricanant. Dès le début du film la satire des » honnêtes gens » (aubergiste, villageois) donne le ton nous rappelant que le britannique Whale comme son compatriote Hitchcock, ne saurait manier la terreur qu’avec une certaine excentricité distanciée. C’est cette ironique distanciation à l’égard des conventions du genre, de son manichéisme opposant radicalement l’humain et l’inhumain, le normal et le monstrueux, le ludique et l’horrifique qui donne à ce film sa modernité.
France Demarcy
Autres points de vue
De tous les films à la charnière du muet et du parlant, L’Homme Invisible est le plus riche et le plus profond. C’est dans le regard qu’il porte sur ce changement de nature technique que le film est, à proprement parler, fantastique. Dans le muet, le corps est visible mais la voix inaudible. Dans le parlant traditionnel, le corps gagne sur les deux tableaux : on continue de le voir et on l’entend parler.
Dans la version que propose le film, il en va tout autrement. Ce que le corps gagne d’un côté avec la voix, il le perd en raison de sa soudaine invisibilité. Soit on voit le corps sans l’entendre (le muet), soit on l’entend sans le voir. Problème de transfert par conséquent, la qualité du report optique s’accompagnant d’une déficience dans l’enregistrement des images. La voix de l’Homme Invisible émane d’un corps réel qui a l’avantage ou le défaut d’être imperceptible à l’oeil. Ce corps vocal présent (le lieu de la voix) et absent, invisible, redouble la condition de la voix radiophonique. Le début du parlant, en plus de s’inspirer du théâtre, a surtout été subjugué par la puissance de la radio. En ce sens, l’homme invisible est le contemporain du dispositif sonore de Mabuse du Testament et il annonce les dispositifs sonores explorés par Orson Welles, aussi bien à la radio (son adaptation de La Guerre des Mondes, d’après H.G. Wells) qu’au cinéma.
Charles Tesson, Cahier de notes sur… L’Homme Invisible, école et cinéma, les enfants du deuxième siècle.
Vidéos
Puissance de la voix
Catégorie : Extraits
par Charles Tesson
Pistes de travail
Comme on l’a vu la réussite du film tient en grande partie dans la fusion du fantastique et du comique qui dédouble la lecture. A cet égard l’homme » aux bandelettes » avec sa tête ronde et lisse dont n’émerge qu’une arête de nez comme un bec surmonté des deux globes noirs des lunettes, fait plutôt figure de » drôle d’oiseau » que de monstre. De même la voix tranchante et caverneuse de Claude Rains à l’élocution presque déclamatoire (un rien shakespearienne) et grandiloquente peut inspirer aussi bien le rire que l’effroi. On est bien dans la tradition britannique de l’étrange où le non sensique, la dérision et le grotesque le disputent au terrifique. Enfin sont remarquables les effets spéciaux où la présence de l’invisible ne peut se lire qu’en creux : voix, vêtements, objets flottant dans l’espace. Tout semble relever d’une prestigiditation où s’origine le cinéma de fiction : l’art du grand Méliès inventeur des premiers trucages cinématographiques grâce auxquels gambadaient déjà des corps sans tête…
Mise à jour: 17-06-04
Expériences
L’Homme Invisible, fidèlement adapté du roman homonyme du grand H.G. Wells, prend place au sommet de l’œuvre filmique de Whale, dont la première moitié fut consacrée à un fantastique d’épouvante où les savants fous ont la part belle. Ainsi de Jack Griffin qui expérimente sur lui-même sa découverte et dont » l’étrange cas » évoque ainsi celui du Dr Jekyll de Stevenson porté à l’écran par Rouben Mamoulian un an plus tôt. Il en va de même des deux Frankenstein fidèles à l’esprit du roman de Mary Shelley qui mêle à la science fiction le conte moral et philosophique. Issus des studios de l’Universal qui se fit une spécialité maison des films horrifiques dans les années trente et quarante, les films de Whale figurent au rang des meilleurs classiques du genre, auxquels le cinéaste apporte sa touche d’humour très britannique. Cet humour noir et sarcastique est particulièrement marqué dans cet Homme Invisible qu’aucun remake n’a égalé. Le film connut un immense succès international et notamment en URSS.
Civilisation et histoire
Plus que tout autre film américain de l’époque, L’Homme Invisible entretient d’étroites relations à son contexte cinématographique en ce début des années trente. Il s’inscrit remarquablement dans le double mouvement du passage au » parlant » et du développement du fantastique qui va alors connaître son âge d’or. Rappelons que le succès du Chanteur de Jazz (1927), premier film parlant, avait signé l’arrêt de mort du cinéma muet. Si les premiers parlants menacèrent un temps le 7ème art d’une régression vers le théâtre filmé, le film de Whale atteste au contraire, de la capacité du cinéma à faire un usage original et inventif de la parole. Usage articulé ici aux spécificités étranges voire surnaturelles du fantastique en mettant en scène une voix sans corps. Voix » acousmatique » selon Michel Chion (cf La Voix au Cinéma) seul signe perceptible de l’être invisible, voix surplombante, insituable et quasi divine.
Outils
Bibliographie
L'homme invisible, H.G. Wells, Le Livre de Poche n° 709, 1992.
"James Whale", Les Classiques du cinéma fantastique, Jean-Marie Sabatier, Balland, 1973.
"L'homme invisible", Dictionnaire du cinéma, Les Films, Jacques Lourcelles, Robert Laffont, 1992.
L'homme invisible, Jean-Claude Michel, L'Ecran fantastique n° 10, 1979.
"Le cinéma comme site de l'homme invisible", L'invention de la figure humaine, Le cinéma : l'humain et l'inhumain, Cinémathèque française, 1995.