Honeyland

Macédoine (2019)

Genre : Documentaire

Écriture cinématographique : Documentaire

Lycéens et apprentis au cinéma 2023-2024

Synopsis

Vivant seule avec sa mère de 85 ans quasiment aveugle dans un village de montagne reculé au centre de la Macédoine, sans eau courante, ni électricité, Hatidze Muratova est une petite femme d’un âge indéterminé, bossue et dont la peau est tannée par les heures passées au soleil à s’occuper amoureusement de ses abeilles. Hatidze est en effet apicultrice mais pas n’importe quelle apicultrice. Elle est l’une des dernières en Europe à récolter le miel d’abeilles sauvages, dans des ruches cachées dans des murs en pierre ou dans les parois d’abruptes falaises. Un miel d’exception qu’elle vend pour quelques euros à Skopje, à quatre heures de train de son village…

La vie pourrait continuer telle quelle indéfiniment… Jusqu’à ce que débarquent, dans la joie et la bonne humeur, Hussein, sa femme Ljutvie et leurs sept enfants, une famille de nomades turcs bien décidés à se lancer dans l’agriculture, emmenant à leur suite chiens, chats, vaches, cochons… Intrigué par l’activité d’Hatidze, le quinquagénaire décide de se lancer, lui aussi, dans l’apiculture… Sauf que le bonhomme se montre beaucoup plus gourmand qu’elle, ne respectant pas la règle que s’est fixée sa voisine : « La moitié du miel pour moi, la moitié pour les abeilles… »

Générique

Réalisation : Ljubomir Stefanov, Tamara Kotevska
Écriture : Ljubomir Stefanov, Tamara Kotevska
Image : Fejmi Daut, Samir Ljuma
Son : Rana Eid
Montage : Atanas Georgiev
Musique originale : Foltin

Autour du film

En Europe du Sud, dans le fin fond de la péninsule des Balkans subsistent quelques territoires oubliés des hommes, où la nature n’a jamais perdu ses droits. Aucune route n’y mène. C’est pourtant là, dans une masure sans eau ni électricité, que vivent Hatidze et sa mère handicapée et aveugle.

La séquence d’ouverture nous invite à la suivre dans cette campagne rude, mais intacte, à la beauté époustouflante. A l’heure où les habitants des mégalopoles grouillantes se pressent vers des activités plus ou moins aliénantes, elle escalade, comme tous les jours, chemins pentus et massifs pierreux, avec l’aisance du cabri. Son visage précocement buriné arbore un éternel sourire et elle chantonne, heureuse de retrouver ces abeilles bien protégées, au creux des murs de pierre. Ces travailleuses acharnées représentent le pivot de son existence et elle respecte scrupuleusement leur rythme de vie. Comme le faisait avant elle son père, son grand-père, son arrière-grand-père et toutes les générations qui l’ont précédée, Hatidze ne prélève qu’une partie de la production de miel, laissant l’autre à ces insectes zélés qui, l’hiver venu, quand le pollen manquera, pourront s’en nourrir. Parfois, elle va jusqu’à Skopje, la capitale éloignée d’une vingtaine de kilomètres, pour vendre une partie de sa récolte dont tout le monde s’accorde à vanter la qualité. Ainsi, se déroulent les jours simples, mais paisibles, de cette femme toute auréolée de cette sérénité dévolue à ceux qui savent se contenter de peu.

Mais ce fragile équilibre est brutalement rompu par l’arrivée intempestive d’une famille nombreuse, accompagnée de ses animaux et de ses engins agricoles. Le tempérament doux et généreux d’Hatizde l’incite à faire contre mauvaise fortune bon cœur. Elle s’immerge dans ce joyeux tohu-bohu, tisse des liens d’amitié avec les enfants et entreprend même d’enseigner au père les gestes primordiaux pour une récolte optimale, dans le respect des traditions. Cependant, celui-ci mesure vite toute l’importance du profit que des productions intensives pourraient lui permettre de réaliser. Il s’adjoint les services d’un apiculteur rompu aux méthodes modernes, installe des ruches et exhorte tous les membres de sa famille à participer activement au ramassage du miel. Sa cupidité associée à la maladresse des différents intervenants provoque une succession de catastrophes (dont la destruction des abeilles d’Hatidze) et de conflits, donnant lieu à une crise du miel, qui se cristallise à la fois sur la force du lien entre nature et humanité et sur le risque que nous courons à continuer de faire semblant de l’ignorer.

Mandatés pour réaliser une vidéo environnementale pour la Macédoine, Ljubomir Stefanov et Tamara Kotevska découvrent par hasard, dans des lieux abandonnés depuis des années, des nids d’abeilles qui les conduisent jusqu’à Hatidze. Fascinés par l’authenticité et la joie de vivre de cette femme soumise à un extrême dénuement, tant sur le plan financier que moral (les conversations avec sa mère sont souvent inouïes), ils filment avec une infinie délicatesse celle dont ils font le symbole d’un monde voué à disparaître. Afin de nous immerger au plus près de cette nature intacte et de ces personnages sans faux-semblants, ils évitent tout verbiage inutile et font le choix d’une narration visuelle, riche des émotions et des réactions spontanées de chacun des protagonistes. Un regard subtil que l’on retrouve dans la photographie. Qu’il s’agisse des scènes extérieures éclatantes de lumières chaudes ou de l’intérieur de la cabane d’Hatidze, éclairé à la bougie, entre ombre et lumière, tout concourt à faire de cette réflexion sur le monde un tableau poétique. Une histoire riche d’humilité, qui plaide sans ostentation pour un partage équitable des richesses entre les fournisseurs de ressources et leurs utilisateurs.

Claudine Levanneur
avoir.alire.com

Pistes de travail

Analyse thématique

Dans ce documentaire macédonien, le duo de cinéastes dépeint le quotidien d’une apicultrice quinquagénaire turque de Macédoine du Nord. L’occasion d’évoquer les questions de changement climatique, de biodiversité ou d’exploitation des ressources naturelles.




L’ouverture de Honeyland est somptueuse : une femme seule traverse les herbes hautes d’une immense plaine de Macédoine, son petit fichu vert sur la tête, un grand panier dans le dos, caressée par une lumière mordorée. Elle grimpe sur un rebord escarpé jusqu’à des hauteurs rocailleuses, descelle une pierre au-dessus d’un précipice pour recueillir des abeilles à la main, lesquelles abeilles ont une manière tout bonnement fascinante d’occuper l’écran en bourdonnant. On aurait pu les observer pendant des heures, la femme et les abeilles, en haut de la montagne, entièrement livrée à notre contemplation de cette nature sauvage et de cette Macédonienne à la peau tannée et aux doigts si agiles, qui parle et chante aux pollinisatrices, se protège à peine et ne se fait pas piquer.

Bagout

Elle est fascinante, Hatidze, et tout autant lorsqu’elle se rend en ville, à Skopje (dont on est abasourdie d’apprendre dans le dossier de presse qu’elle se situe à seulement 20 kilomètres de là), pour vendre son miel, négocier avec un joyeux bagout (15 euros le pot avec un morceau de rayon dedans) et s’acheter de la teinture pour cheveux châtains (2,50 euros) avant de rentrer dans la maison qu’elle habite depuis sa naissance, en 1964, avec sa mère, désormais aveugle et invalide, qu’elle nourrit à la cuillère dans leur ruine de pierre sans eau ni électricité.

Mais la contemplation, c’est ce qui finit par faire un peu défaut dans ce docu aux visées plus volontaristes. Les deux réalisateurs macédoniens, Tamara Kotevska et Ljubomir Stefanov, ont exprimé le souhait que l’histoire d’Hatidze puisse «provoquer chez les gens un changement de point de vue, leur rappeler ce qu’ils savent déjà de la relation entre la nature et l’humanité» et l’intégralité du film a été orientée dans ce sens. A l’origine, le duo devait tourner une vidéo environnementale pour le Nature Conservation Project en Macédoine et a finalement filmé quelque 400 heures sur Hatidze, réparties sur trois ans, dont ils ont extrait Honeyland, deux fois nommé aux oscars et auréolé de trois prix à Sundance. Car, entre-temps, Kotevska et Stefanov sont tombés sur cet autre nectar prisé par les scénaristes hollywoodiens : un conflit.

Pressions

L’écosystème fait de respect réciproque où se meut Hatidze, qui prend toujours soin de «laisser la moitié du miel aux abeilles» et prendre l’autre pour elle-même, se fendille puis vole en éclats lorsque débarque dans cette région désolée et désertique un nouveau voisin, Hussein, sa femme et sa petite famille de sept enfants, sa caravane, ses vaches et ses aspirations capitalistes.

«Comment le miel rapporte-t-il donc autant d’argent ?» le devine-t-on s’étonner. Ni une ni deux, Hussein achète de grosses ruches en kit et, avec toute la délicatesse d’un énorme frelon, va peu à peu rompre le bel équilibre hors d’âge qui composait l’existence de Hatidze. C’est totalement rageant de le voir ainsi faire tout ce qu’il ne faut pas, à commencer par éviter d’écouter les conseils judicieux de Hatidze et se soumettre à la place à toutes sortes de pressions. Hussein s’active à surconsommer et surproduire en ne pensant surtout pas au lendemain, et ce malgré les admonestations de l’un de ses fils, rompus à l’apiculture par Hatidze.

Le chaos est total, familial autant qu’écologique, et la fable aussi édifiante qu’au goût du jour. Hélas, entre-temps, l’on a un peu perdu Hatidze, dont l’ébauche de portrait a fait place à son érection en symbole. La main lourde de la réalisation se fait sentir, y compris lorsque meurt la mère de Hatidze, et que les lamentations de sa fille se déploient sur fond de nuit étoilée. Le son a d’évidence été rajouté après, le plan peut-être aussi, et ce genre de raboutage a quelque chose de distancié, fabriqué et un peu désagréable.

Elisabeth Franck-Dumas
Libération