Interdit aux chiens et aux italiens

Belgique, France, Italie, Portugal, Suisse (2023)

Genre : Film historique

Écriture cinématographique : Documentaire, Film d'animation

Collège au cinéma 2024-2025

Synopsis

Début du XXe siècle, dans le nord de l’Italie, à Ughettera, berceau de la famille Ughetto. La vie dans cette région étant devenue très difficile, les Ughetto rêvent de tout recommencer à l’étranger. Selon la légende, Luigi Ughetto traverse alors les Alpes et entame une nouvelle vie en France, changeant à jamais le destin de sa famille tant aimée. Son petit-fils retrace ici leur histoire.

Distribution

Ariane Ascaride : Cesira
Stefano Paganini : Luigi
Diego Giuliani : Antonio et Alcide
Christophe Gatto : Giuseppe et Severino
Laurent Pasquier : Vincent
Laura Devoti : Louisa
Bruno Fontaine : Nino, Gérard et un ouvrier français
Thierry Buenafuente : Ré, un brancardier
Carlo Ferrante : le rebouteux
Gaia Saitta : une nonne
Aude Carpentieri : Giusepina et Marie-Cécile
Pascal Gimenez : un recruteur et un contremaître
Jacques Chambon : un brancardier, un contremaître et un géomètre
Moritz Korff et Martin Prill : les soldats allemands
Waléry Doumenc : un contremaître recruteur
Chiara Collet : une voisine de courge et une invitée au mariage
Luigi Butà : un invité au mariage, un homme et un ouvrier
Luca Bertogliati : le Curé et un fonctionnaire du Parti National Fasciste
Sara Cesaretti et Magali Nardi : les filles de la Masca
Tony Di Stasio : un fonctionnaire du Parti National Fasciste
Camille Gimenez, Johan Cardot Da Costa et Tom Guittet : les enfants
Alain Ughetto : lui-même (narrateur) et le photographe
Cécile Rittweger, Mikaël Sladden et Salomé Richard : voix additionnelles

Générique

Réalisation : Alain Ughetto
Scénario : Alain Ughetto, Alexis Galmot et Anne Paschetta
Animation : Juliette Laurent et Julien Maret
Décors : Jean-Marc Ogier
Montage : Denis Leborgne
Musique : Nicola Piovani

Autour du film

Le film est conçu comme un dialogue fictif avec Cesira, la grand-mère décédée du réalisateur, à qui ce dernier demande tout ce qu’il aurait aimé savoir, un témoignage du vécu de ces générations de migrants italiens et un hommage à leur courage. Avec poésie, le film confère à ce récit personnel une dimension universelle. C’est la “mémoire nostalgique” qui relie dans cette œuvre les éléments qui en émergent, du foyer originel, petite exploitation agricole à l’ombre du Mont Viso, aux multiples ancrages familiaux éparpillés en Ubaye, dans le Valais, la vallée du Rhône, l’Ariège et la Drôme. Le récit se nourrit des souvenirs de l’aïeul et de traces du passé, photographies ou correspondances. Au cours de cette expérience migratoire, la famille Ughetto a improvisé un nouveau foyer dont la mémoire est le ciment.

Point du vue de l’anthropologue Philippe Hanus

Interdit aux chiens et aux Italiens est une œuvre mémorielle, empreinte de fiction, qui raconte, sur près d’un siècle, les pérégrinations de la famille piémontaise du réalisateur Alain Ughetto à travers les Alpes, comme un pan de l’histoire des mobilités humaines. Luigi, le grand-père du cinéaste, est un homme au destin romanesque ayant franchi la barrière alpine à de nombreuses reprises (parfois en haute altitude, courant ainsi mille dangers !), traversé plusieurs frontières, affronté deux guerres, la misère et le fascisme. En chemin, il s’éprend de Cesira, avec qui il fonde une famille à cheval entre l’Italie et la France. Les descendants de ce travailleur nomade posent leurs valises au bord du Rhône et, comme bien d’autres petits français, se passionnent pour le Tour de France en vibrant au son de l’accordéon d’Yvette Horner. L’aventure de Luigi, si elle est singulière, n’en est pas moins représentative de l’expérience migratoire de quelque 25 millions d’Italiens ayant quitté la péninsule pour s’établir en Europe (et en particulier en France), en Amérique ou en Australie en l’espace d’un siècle. Essaimant aux quatre coins du monde, Ils ont emporté avec eux la culture de leur pays, leurs rêves et leurs espoirs, leur volonté de réussir sur une terre nouvelle. En retraçant les grandes étapes du parcours de Luigi, de Cesira et de leurs descendants, le film propose une lecture incarnée de l’immigration italienne. À l’échelle du monde alpin et rhodanien, celui-ci interroge l’articulation entre logiques territoriales et nationales. Le titre du film, Interdit aux chiens et aux Italiens, interpelle le spectateur. Celui-ci renvoie métaphoriquement à l’italophobie – littéralement « crainte de l’Italien » – présente au sein de la société française au cours des années 1875-1914, dans un contexte de montée des nationalismes européens, de tensions diplomatiques récurrentes entre la France et l’Italie et de crise sur le marché du travail hexagonal. L’immigrant italien faisait alors figure de bouc émissaire. L’italophobie s’est également manifestée lors de la période fasciste, puis durant la Seconde Guerre mondiale. À partir de 1945, la perception des Transalpins s’améliore progressivement au sein de la société française, mais demeure négative en Belgique, en Allemagne et en Suisse jusqu’au début des années 1970… De nos jours l’italianité est à la mode dans les villes du Sud-Est, de Chambéry à Nice en passant par Grenoble, qui revendiquent « un air d’Italie » ! En articulant mémoire intime et mémoire collective de l’immigration, le film transfigure les récits de l’exil pour leur permettre de faire sens au-delà des seuls cercles d’immigrés italiens et leurs descendants. Cette œuvre émancipatrice, à portée universelle, exprime l’idée que les personnes en situation migratoire, hier et aujourd’hui, participent d’un mouvement inépuisable à travers l’espace, consubstantiel d’une humanité en marche pour vivre mieux, ou simplement vivre.

Pistes de travail

Migrations italiennes

La frontière dite « naturelle » entre la France et l’Italie que constituent les Alpes a toujours été franchie pour passer d’un pays à l’autre. Des siècles durant, le col alpin est un lieu de rencontres et d’échanges, un espace de circulation reliant deux territoires complémentaires. La mobilité est essentielle dans cet espace et repose sur une culture villageoise du départ toujours possible et du retour jamais assuré. Aussi peut-on observer le mouvement de travailleurs saisonniers, de manœuvres agricoles, d’ouvriers forestiers ou d’artisans, auquel s’ajoutent les déplacements d’aristocrates, d’artistes, de fonctionnaires militaires et civils, de prélats.

Après 1870, alors que l’Italie est devenue un royaume unifié, la Grande dépression ébranle l’Europe et frappe durement les paysans. L’émigration italienne se densifie au cours du XXe siècle, alimentée par chaque nouvelle crise : chômage, fascisme, contrecoup des deux guerres mondiales. À cette époque, plusieurs régions du jeune État sont encore assez pauvres, poussant beaucoup de femmes et d’hommes sur les routes de l’exil. Une grande partie d’entre eux rêvaient de l’Amérique – à l’image de Luigi et sa famille – où il existe aujourd’hui une importante communauté italienne. Mais nombreux sont ceux qui choisiront d’autres destinations lointaines comme le Brésil et l’Argentine grâce à l’essor des moyens de transport. Plus près, en Europe, la France, la Suisse et la Belgique sont les destinations privilégiées des populations du nord de l’Italie. Le besoin de main d’œuvre est alimenté par le refus des nationaux d’occuper certains métiers, mais également par les répercussions de la Première Guerre mondiale, qui laisse en France un pays exsangue qui manque de bras pour le reconstruire.

Le travail des migrants italiens est lié aux activités agropastorales, forestières, et de plus en plus, au secteur industriel qui se développe dans la seconde moitié du XIXe siècle. Les jeunes transalpins sont ce que l’on appelle des « migrants économiques », en quête de meilleures opportunités professionnelles. Les hommes sont comme Luigi souvent les premiers de leur famille à partir pour exercer des métiers difficiles et mal payés. Ils deviennent vite indispensables dans les grands chantiers d’aménagement (routes, barrages, chemins de fer, etc.). Bâtiments et travaux publics deviennent ainsi des secteurs emblématiques de l’immigration italienne en France, mobilisant tous les corps de métier. Les femmes pouvaient quant à elles travailler dans la couture ou dans l’entretien, le ménage. Malgré son interdiction par la loi en 1882, le travail des enfants existait aussi. On surnommait les « enfants hirondelles » ces jeunes montreurs de marmottes, qu’incarne dans le film la petite soeur de Luigi, Costanza Ughetto.

La pancarte « Interdit aux chiens et aux Italiens »

Cette scène, au cours de laquelle la famille Ughetto souhaite entrer dans un café arborant cet écriteau, illustre le tragique de l’exil. Arrivés en France pour travailler et/ou fuir le fascisme, les Italiens, au même titre que d’autres étrangers, subissent le racisme et la xénophobie. Dans cette scène, la pancarte rabaisse les Italiens au niveau d’un animal. Cette scène montre les discriminations subies par les immigrés dans un espace de sociabilité normalement ouvert à tous. Lorsque les enfants demandent pourquoi les propriétaires ont écrit cela, Luigi trouve un subterfuge pour atténuer cette violence auprès des plus jeunes, et ainsi les préserver avec humour. Cette mention trouve bien évidemment un écho avec la question actuelle des migrants et de leur (non) accueil en Europe.

Expériences

L’univers artistique

Le film navigue entre grande histoire, souvenirs familiaux et morceaux de vie empruntés à l’imaginaire d’Alain Ughetto. Les voix off que l’on entend tout au long du film servent de fil conducteur, rythment les séquences et font le lien entre les épisodes de cette saga familiale. À la manière d’un conte, c’est la grand-mère qui relate à son petit-fils ce qu’elle a vécu. Avec beaucoup d’humour, le réalisateur insuffle ainsi la vie à ses marionnettes, comme le ferait un enfant qui créerait des histoires avec des figurines. Malgré cette grande proximité avec les personnages, jamais Alain Ughetto n’oublie de suivre le cours de l’Histoire, qui guide le destin de cette famille italienne jusqu’en France, où elle va prendre racine et trouver un nouveau foyer. La musique et les bruitages qui accompagnent le film jouent un rôle important : prendre de la distance face aux événements qui pourraient devenir tragiques, favoriser l’irruption du comique qui rappelle les comédies italiennes qui ont accompagné l’enfance du réalisateur. L’émotion affleure souvent, mais jamais le film ne sombre dans le drame : le second degré accompagne en permanence les épreuves que constituent la pauvreté, l’exil, la mort, le racisme… Des réalités que l’on côtoie tout au long du film, mais desquelles on peut rire aussi. C’est le plaisir de la transmission et le lien filial qui sont au cœur du film.