Jeune fille à l’écho (La)

Lituanie (1964)

Genre : Drame familial, Romance

Écriture cinématographique : Fiction

Archives EEC, École et cinéma 2022-2023

Synopsis

C’est le dernier jour des vacances pour Vika. Vêtue de sa robe ample, les cheveux au vent, elle arpente le littoral déjà maintes fois foulé par ses pieds nus au cours de l’été. Libre de ses mouvements et de la présence des adultes, cette petite fille hardie, cor de chasse autour du cou, laisse son innocence et sa curiosité la guider, sans crainte. Vika s’amuse de tout ce qui lui est offert : les vagues deviennent pistes de danse, le sable immense ardoise et les coquillages une chorale marine. Entre plongeons et baignades, elle rend visite à ses amis, rochers anthropomorphes, dont elle seule détient les secrets du langage. De nature effrontée, elle ne se laisse pas impressionner par le groupe de garçons, autres résidents de cette plage hors du monde et du temps. Vika leur tient tête jusqu’à démonter leurs jeux de pouvoir. Romas, un nouvel arrivant intrigué par cette petite fille intrépide, obtient sa confiance et sa sympathie. Elle le conduit jusqu’au creux des regs pour lui confier son secret.

Distribution

Vika : Lina Braknytė
Romas : Valeri Zoubarev
Le père de Vika : Bronius Babkauskas
Le grand-père de Vika : Kalju Karmas

Générique

Réalisateur : Arūnas Žebriūnas
Scénaristes : Youri Naguibine, Arūnas Žebriūnas, Anatolijus Čerčenko
Chef opérateur : Jonas Gricius
Décors : Algirdas Ničius
Musique : Algimantas Bražinskas

Autour du film

La Jeune fille à l’écho, réalisé par Arūnas Žebriūnas en 1964 s’intitulait à l’époque «Le dernier jour des vacances». La première du film eut lieu le 23 Mars 1965 à Vilnius. Par la suite le film a été interdit de représentation après quelques séances. Les pédagogues les plus rétrogrades se sont offusqués de la nudité de l’enfant, y percevant un côté amoral. Cependant, quand le film a été récompensé par le Grand Prix au festival de Cannes dans la catégorie jeunesse, il fut de retour sur les écrans et accueillit plus de 6 millions de spectateurs. Il reçut également «La Voile d’Argent» au festival de Locarno pour « son atmosphère lyrique, la fraîcheur de ses sentiments et la beauté du paysage. ». Aujourd’hui, La Jeune fille à l’écho est l’une des œuvres les plus importantes du cinéma lituanien, fédérant plus d’une génération de spectateurs.

« En 1964, ayant ressenti un lien de plus en plus ténu avec la société et sa vie chaotique, je me suis enfui et je me suis assis sous un arbre. Ce n’était pas en Lituanie mais dans les montagnes du Caucase en Crimée à l’ombre du rocher surnommé le Doigt du diable. »

Ainsi a débuté le processus de création de La Jeune fille à l’écho, confie le réalisateur. Le film a été réalisé à plusieurs endroits de la péninsule de Crimée, dans les montagnes de Kara-Dak et sur les rives noires de la ville de Sudak. Il a été tourné en russe, pour que tous les habitants de l’URSS comprennent, puis il a été doublé en lituanien. La Jeune fille à l’écho, se distingue par ses aspects visuels et son esthétique épurée. Résultat du travail de l’opérateur Jonas Gricius et de ses assistants Jonas Tomaševičius et Algirdas Araminas.

La mobilité de la caméra, l’alternance complexe des plans, les angles tous différents des versants et des sommets de Kara Dag, les panoramas horizontaux, comme verticaux permettent non seulement de voir, mais aussi de ressentir la beauté des massifs montagneux en leur conférant des traits humains. Les longs plans créent la sensation d’un rythme lent, les plans larges la sensation de l’espace et d’une liberté rafraîchissante.

Le son joue également un rôle fondamental. Des rythmes saccadés, émis par les transistors  accompagnent les garçons s’entrainant sur la plage, indifférents à la beauté de la nature.

Vika (Lina Braknytė) est différente des autres, bien plus chaleureuse, bien plus naturelle, capable d’écouter la nature et d’appréhender ses secrets. La petite fille, à l’opposé des autres, ne collectionne ni les timbres, ni les poupées mais les échos des montagnes. Le réalisateur a affirmé lors d’une séance du conseil artistique de l’époque :

« La nature n’est pas uniquement le lieu de l’action, ni une composante du film, elle en est un sujet à part entière et Vika est l’hôte des montagnes et de la mer. »

Le groupe de garçons contraste avec les mélodies lyriques qui incarnent la vision du monde lucide et lumineuse de Vika. Arūnas Žebriūnas analyse avec subtilité les sentiments de la jeune héroïne, sa déception, causée par la trahison de Romas, qui engendre chez la jeune fille un détachement pour son père et son grand-père.

Textes : Lithuanian Film Center

Pistes de travail

Emergence du cinéma lituanien

L’émergence au cours des années 1960 d’un cinéma lituanien est considérée comme soudaine. Elle est portée par une génération dont de nombreux membres ont été formés au VGIK à Moscou avant de revenir «au pays» pour travailler au sein du Studio national, on retrouve notamment : Almantas Griškevičius, Raimondas Vabalas, Algirdas Dausa… Ces films se distinguent par leur visée poétique, le recours à la métaphore et au symbolisme dans des mises en scène amples et ambitieuses, virtuoses et lyriques, s’appuyant sur des commentaires sonores et musicaux sophistiqués. La Belle et La Jeune fille à l’écho représentent bien cette veine qui fait aussi part à l’introspection, comme pour percer le secret des âmes. On retrouve ce sens de l’introspection dans Sadūto Tūto (1974), où Almantas Griškevičius interroge l’anticonformisme dans un contexte où il vaut mieux ne pas l’être. Le ton est aussi plus nonchalant, parfois franchement badin, prenant place dans une forme énergique et un montage dynamique. Les années 1970 voient aussi surgir le film historique du cinéma lituanien : Velnio nuotaka (The Devil’s Bride, 1973). Arūnas Žebriūnas se trouve aux commandes de cette curieuse – euphémisme ! – comédie musicale bariolée aussi bien inspirée par le folklore que par les seventies «endiablées» – il s’agit du récit d’un règne satanique terrestre particulièrement licencieux.

Les enfants au cinéma

Sous l’ère soviétique, toute création se devait de correspondre aux règles de l’idéologie imposée par le régime. Le réalisateur astucieux, afin de contourner la censure et d’éviter les sujets établis par la propagande de l’époque a choisi délibérément de tourner des films « d’enfants ». Arūnas Žebriūnas précise son choix :

« J’ai commencé à faire des films pour les enfants à cause de la censure. Je n’ai pas fait des films pour les enfants, mais avec des enfants. L’atmosphère, qui régnait dans le monde de l’art en Union Soviétique, était répugnante, je ne voulais pas me retrouver embourbé dans le Parti. Quand j’ai commencé à tourner des films avec des enfants toutes les exigences du parti se sont volatilisées. »

Quelques-uns de ses contemporains ont adopté le même stratagème – comme Andrei Tarkovski (L’Enfance d’Ivan) ou encore Kira Mouratova (Longs adieux, Parmi les pierres grises) -, en réalisant des films avec des enfants, sur des enfants, pour aborder des sujets écartés par la politique officielle de l’époque et avoir ainsi la possibilité de formuler les valeurs d’une nouvelle génération se formant au sein des années stalinistes d’après-guerre. La figure de l’enfant au cinéma était déjà présente dans les films néo-réalistes italiens pendant les années troubles. Rossellini ou encore Vittorio De Sica, pour n’en citer que deux, ont réalisé des films sur des enfants pour sortir des contraintes imposées par le régime de Mussolini, et ainsi créer un réalisme poétique. Adopter la vision d’un enfant permet de s’interroger sur les décisions des adultes tout en incarnant un espoir pour l’avenir. Gilles Deleuze appuie également :

« On a souligné le rôle de l’enfant dans le néo-réalisme, notamment chez De Sica (puis en France chez Truffaut) : c’est que, dans le monde adulte, l’enfant est affecté d’une certaine impuissance motrice, mais qui le rend d’autant plus apte à voir et à entendre. »

La petite fille à la robe ample est devenue l’héroïne traversant l’un après l’autres les films d’ Arūnas Žebriūnas. Cette figure est devenue emblématique de ses films, elle apparaît sous différents noms : Laima, Vika, ou encore Inga dans La Belle. Elle confère à chaque film des significations différentes, elle devient la force motrice du récit qui permet de résoudre des dilemmes universels : le dialogue où les frictions entre le monde des enfants et des adultes, l’absurdité de la guerre et des conflits, l’usage de la force pour les plus faibles, les normes sociales et bien d’autres encore… Comme le souligne Truffaut, les enfants sont empreints d’honnêteté et de sérieux :

« Mais ce qui frappe, quand on les connaît, c’est la gravité des enfants par rapport à la frivolité des adultes. »