Synopsis
Daniel, jeune adolescent élevé par sa grand-mère à la campagne, retrouve sa mère qui vit dans une ville du Sud de la France, avec un ouvrier agricole espagnol, José. Le jeune garçon se voit refuser par sa mère le droit d’aller au collège. Il est confié au frère de José, qui en fait un apprenti mécanicien. Daniel passe les loisirs que lui octroie cet emploi au café ou au cinéma. Il essaie de procéder comme ses aînés pour effectuer ses premières expériences de séducteur. Mais il regarde plus qu’il n’agit, et ses essais ne sont pas la concrétisation d’une nécessité absolue. De ce fait, il se force souvent à entreprendre les filles. Il réussit à intéresser une adolescente cependant, mais sait que leur rencontre n’aura pas de suite…
Générique
Réalisation : Jean Eustache
Scénario : Jean Eustache
Assistants réalisateur : Luc Béraud, Denys Granier-Deferre, Bertrand Van Effenterre
Image : Nestor Almendros assisté de : Jean-Claude Rivière et Dominique Le Rigoleur
Son : Bernard Aubouy, Bernard Ortion
Montage : Françoise Belleville
Chanson du générique : Douce France, par Charles Trenet
Production : Elite Films avec Pierre Cottrell
Durée : 2 h 03
Interprétation
Martin Loeb / Daniel
Ingrid Caven / la mère
Jacqueline Dufranne / la grand-mère
Dionys Mascolo / José Ramos
Henri Martinez / Henri, le patron de l’atelier
Jean-Noël Picq, Maurice Pialat / les amis du patron
Autour du film
Un film a-dramatique
Film âpre où « il ne se passe rien », sinon du temps.
Ce qui intéresse Eustache c’est « la description du cours normal des événements sans le raccourci thématique de la dramatisation cinématographique ». Les événements se succèdent, mais ne s’enchaînent jamais, au sens où il n’y a pas de progression dramatique, pas d’éléments qui fasse rebondir l’action et une identité de traitement de chaque scène. On assiste à une juxtaposition de saynètes qui se concluent la plupart du temps par des fondus au noir.
La voix off de Daniel commente froidement, sur un ton informatif, les événements passés.
Le récit est rigoureusement chronologique mais marqué par l’absence de repères temporels. Le temps s’écoule, mais de façon indéfinie.
Le réalisme
Caméra à hauteur d’homme ou d’œil, Eustache filme ce qui est : peu de plongées, pas de contre-plongées. Les mouvements de caméra les plus fréquents sont les travellings qui traduisent le regard de Daniel. Le point de vue est dominé par une force neutre, une forme de constat permanent.
Eustache se concentre sur « la façon dont les actions importantes s’insèrent dans la continuité d’actions anodines ». L’observation du quotidien, qui renvoie à une démarche quasi ethnographique, fait la matière de l’image.
Habité par le cinéma de Robert Bresson, Eustache est aussi inspiré par les néo-réalistes italiens, Rossellini en particulier, pour qui le réel est déjà mis en scène avec ses rituels propres. Alors, à quoi bon le manipuler ?
« L’action c’est le regard » *
Le regard orchestre l’ensemble du film en conduisant les mouvements de la caméra. Toutes les scènes commencent et finissent par un gros plan de Daniel. Celui-ci regarde la caméra et la caméra regarde ce qu’il voit. Puis, ce qu’il a vu. C’est à dire son visage, et l’expression de son visage quand il a vu.
Le point de vue alterne avec d’un côté, une mise à distance du réel ; qui traduit la problématique de Daniel : comment s’approprier le réel ? Comment y jouer un rôle ? Et de l’autre côté, une appropriation subjective du point de vue de la caméra par Daniel, à travers les travellings notamment.
*Jean Eustache d’Alain Philippon (Ed. cahiers du cinéma 1986)
Le statut de la parole
Au même titre que le regard, la parole conduit le récit ; au point qu’il semble parfois qu’Eustache cherche à donner à la parole un statut d’image.
Le ton monocorde (qui rappelle celui des « modèles » de Bresson) peut déconcerter. Détaché, déchargé d’émotion, il s’appuie une fois de plus sur l’absence d’attente dramatique du réalisateur, qui justifie la neutralité de ce ton.
Ce ton monotone, sans attente, voire sans espoir, renvoie aussi à «l’épopée de la désillusion » que vit Daniel. Ses expériences ont toujours quelque chose d’avorté (par exemple la rencontre avec la petite amoureuse ne mènera qu’à un faux rendez-vous).
A travers ce ton mécanique qui peut donner le sentiment d’un discours appris, Eustache montre que les personnages agissent sous la pression du jugement de l’autre, et que leurs amours appartiennent, elles aussi, au jeu social.
Un récit initiatique ?
Classiquement, les films sur l’adolescence riment avec récit initiatique. On pourrait également être tenté de l’affirmer pour Mes petites amoureuses, surtout si on se réfère à la scène de la traversée du canal, qui peut être interprétée comme un passage symbolique.*
Cependant, il n’y a pas « d’heureux inachèvement » dans ce film, le champ des possibles ne reste pas ouvert. On peut s’essayer à la mise en perspective avec d’autres films sur la fin de l’enfance ou l’adolescence. Mais ici, l’expérience n’est pas vécue de l’intérieur, Eustache ne montre pas l’enfance pour la faire revivre mais pour la tenir à distance.
Son scénario, qui mêle éducation sentimentale et sociale, est finalement à l’opposé du scénario classique de l’initiation ou de l’apprentissage.
*Sur ce thème voir aussi l’analyse de la scène de la kermesse : seul moment d’auto-initiation, qui renvoie à la majorité des conduites adolescentes actuelles (voir rubrique « ouvertures »)
Pistes de travail
Thèmes à developper en classe
– Le statut de la parole
La tchatche. Dire n’importe quoi pour draguer : la parole pour la parole.
En contrepoint, voir le dialogue de Daniel avec la petite amoureuse : « vous ne dites rien? »
Thème de la parole convenue/ le silence.
– L’adolescence
L’image du corps. (Observer la démarche de Daniel)
Moment du passage progressif du moi à l’autre, de l’individuel au collectif, temps de socialisation. Phase initiatique.
Passage symbolisé par la traversée du canal.
– L’argent
Voir film de Catherine Huet. DVD Sceren CNDP. Analyse adaptée aux primaires.
– La place et l’image de la femme : un film machiste ?
Pistes pédagogiques
En fançais
La construction du récit
Il s’agit d’un récit où les personnages ne sont pas soumis au mouvement dramatique, le spectateur n’a jamais d’avance, reste en dehors de toute connivence avec eux.
Lien avec le Nouveau Roman.
Double niveau de récit avec la voix off qui vient commenter un passé se déroulant sous nos yeux.
En histoire
Le contexte sociologique :
La France des années 50-60.
Vers la société de consommation.
Les mentalités : le mariage reste la règle. Pas de contraception, avortements clandestins.
1956 : création du planning familial. 1967 : pilule
Sexualité, amour et engagement ne peuvent être séparés.
Voir aussi séquence 51 :
« D’abord il faut sortir ensemble, se fréquenter pour se marier, alors après… »
Ouvertures
– Mise en perspective avec d’autres films sur l’enfance et l’adolescence :
Par exemple, Les quatre-cents coups de François Truffaut.
Différences d’intentions et de traitements
– Réflexion sur « les nouveaux rites de passages ». Quels sont-ils aujourd’hui ? Peut on grandir sans eux ? Voir comment est traité la scène de la communion solennelle, rite de passage important pour les catholiques.
Aborder les formes d’auto-initiation (drogue, comportements à risque…)
Annexes des pistes de travail
Sur le statut de la parole :
Extrait du dialogue de la séquence 51- Sur la route de Salinas
Daniel : « Qu’est ce qu’on va dire ? »
L’adolescent : « Tu parles de la pluie et du beau temps, l’important c’est de les faire rire. »
….
La petite amoureuse : « Il fait très beau aujourd’hui. »
Daniel en Off : « que fallait-il répondre ? Je ne savais pas. »
Daniel : « Oui »
La petite amoureuse : « Vous ne dites rien ? »
Daniel : « Je ne sais pas, je n’ai rien à dire »
La petite amoureuse : « Pourquoi ? Vous n’avez pas de conversation, vous êtes bête ? »
Daniel : « Mais vous pouvez parler vous, peut être que je trouverai quelque chose à répondre si vous ne parlez pas du temps qu’il fait. »
La petite amoureuse : « D’habitude ce sont les garçons qui parlent. »
Daniel : « Ce sont peut être de mauvaises habitudes. »
….
Daniel en Off : « J’entendais ce qu’ils disaient, cela semblait marcher. Voilà donc ce qu’il fallait faire. »
A propos du regard :
Extraits de la séquence 52 :
Daniel en off : « Je voulais la regarder en silence, mais aussitôt elle m’embrassait »
Daniel : « Allonge-toi. »
La petite amoureuse : « Pourquoi ? »
Daniel : « Pour rien. Je veux te regarder. »
Outils
Bibliographie
Une boussole pour la vie. Les nouveaux rites de passages. Fabrice Hervieu-Wane, Tobie Nathan (Préfacier), Maryse Delarue (Postfacier)
DVD
Mes petites amoureuses, édité par le Sceren CNDP
Films
Du cinéma à la télévision, propos d'un passeur, Serge Daney de Philippe Roger
Cinéma, une histoire de plans (Le) de Alain Bergala
Peine perdue de Jean Eustache (La) de Angel Diez
Françoise Lebrun, les voies singulières de Emmanuel Vernières