Planète sauvage (La)

France, Tchécoslovaquie (1973)

Genre : Science-fiction

Écriture cinématographique : Film d'animation

École et cinéma 2005-2006

Synopsis

Les Draags, humanoïdes de douze mètres de haut, vivent sur la planète Vgam. Ayant atteint les plus hauts sommets de la connaissance, ils mènent une existence de loisirs et de méditation. Ils possèdent de minuscules animaux familiers humanoïdes, les Oms qu’ils ont ramenés d’une planète dévastée. Un jour Tiwa, fille du Grand Edile, adopte un bébé Om qu’elle baptise Terr et décide de l’éduquer. L’accès de Terr à la connaissance aura des conséquences inattendues pour les Draags. Terr n’aura bientôt plus qu’une seule idée : être libre. Il prend la fuite et rejoint bientôt d’autres Oms vivant à l’état sauvage. Les Draags, inquiets de la prolifération des Oms sauvages, décident de les exterminer. Terr insufflera le désir de se révolter aux survivants. Leur dernière chance étant peut être d’atteindre la Planète sauvage et de découvrir le secret des Draags ?

Générique

Réalisation : René Laloux
Scénario : René Laloux, Roland Topor, d’après le roman Oms en série de Stefan Wul
Dessins originaux : Roland Topor
Graphisme : Josef Kabrt
Décor : Josef Vana
Image : Lubomir Rejthar, Boris Baromykin
Son : Jean Carrère, René Renault
Musique : Alain Goraguer
Chefs animateurs : Jindrich Barta, Zdena Bartova, Bohumil Sedja, Zdenek Sob, Karel Strebl, Jiri Vokoun
Montage : Hélène Arnal, Marta Latalova
Synchronisation : Hélène Tossy
Bruitage : Robert Pouret
Paysages sonores et effets spéciaux : Jean Guérin
Mixage : Paul Bertault
Production : Les films Armorial – ORTF – Cheskoslevensky Film Export, avec Vaclav Strnad et Simon Damiani, André Valio-Cavaglione
Distribution : Connaissance du cinéma
Studio d’animation : Studio Jiri Trnka, Kratky film à Prague
Sortie nationale : 6 décembre 1973
Durée : 1 h 12
Prix spécial du jury, Cannes 1973
Voix
Tiwa / Jennifer Drake
Terr / Eric Baugin
Maître Sinh / Jean Topart
Terr adulte, le commentateur / Jean Valmont

Autour du film

« Le souvenir que grave dans l’esprit de son spectateur La Planète sauvage, film certes intemporel mais aussi heureusement daté (il incarne une époque : l’après mai 68, les « paysages sonores » au synthétiseur, l’esthétique anti-normative et cependant reconnaissable du Service de la recherche de l’ORTF, l’un des moments-clés de l’histoire française de l’art de l’animation), peut se résumer à deux noms : Topor et Topart. Topor : on frémit d’aise devant l’érotisme ensauvagé, l’irréductible étrangeté, la cruauté particulière des dessins de Roland Topor. Topart : on redécouvre lentement, à travers les paroles du Grand Édile, la vraie beauté de la voix chaude et officielle de Jean Topart (tendance « Office » de la RTF). La civilisation despotique et éclairée des Draags que cette voix incarne, parle aussi parfois à travers un grand cube collectif à images, fort télévisuel. L’univers pacifié de la fin du film réconcilie le « satellite naturel et le satellite artificiel », les hommes sauvages instinctuels, tendance Topor, issus de la libération des mœurs de la fin des années soixante, et les adeptes zen de la méditation transcendantale, tendance voix berçante de Topart, venues d’une autre mode des mêmes années. La vérité historique impose de rappeler qu’un an après la sortie du film, la planète ORTF explosait et perdait son service de la recherche… »
Hervé Joubert-Laurencin in Allons z’enfants au cinéma, une petite anthologie de films pour un jeune public, édité par Les enfants de cinéma.

« Où se cache le grand art de René Laloux sinon dans la correspondance intime entre la dramaturgie et le traitement pictural qui apporte à chaque enjeu narratif sa résolution plastique ? La profondeur philosophique du film vient de ce que le sens du récit est immanent à l’image, à l’image en mouvement. La Planète Sauvage n’est pas seulement une brillante adaptation du roman de Stefan Wul – qui prend alors la force d’évidence d’un récit classique – fabuleusement mise en image et fantasmée par Roland Topor. Si le film tient du chef-d’œuvre, c’est par sa mise en scène qui procède comme une peinture en mouvement. Ici, c’est une femme qui danse telle la flamme d’un regard amoureux, là, la noce des statues mutilées. Ailleurs, deux fusées qui se posent sur le sol de la Planète Sauvage, pour parachever la composition du plan. Ailleurs encore, les corps des Draags qui se mélangent comme dans une toile de Victor Brauner… René Laloux, dans un même geste créateur, se fait peintre et conteur, réalisant la synthèse des qualités qu’ils distinguaient arbitrairement chez ses confrères réalisateurs. Le film tout entier sent la peinture et la couleur : poudre orangée s’échappant d’une caisse volée ou poudre noire soufflée par Tiwa au nez de Terr, lumières habillant tour à tour de bleu, de rouge et de jaune les sihouettes de la fillette et de son père, sang vermeil aspergeant le jeune chasseur, ronds de venin blanc répandus dans l’entrepôt des fusées… Dans le parc, un œuf tombe d’un arbre et se dissipe au contact du sol tout en bleutant le paysage. Le cœur du cinéma de René Laloux est dans ce “ non-dit ”, dans ce “ temps mort ” parmi d’autres, où rien ne se passe en apparence. Rien qui puisse distraire de l’essentiel : soit le passage du temps vivant que l’on sent sourdre, dans l’espace même du plan. Ici, la démonstration est faite que le temps de l’animation est un temps de cinéma pur, un temps qui n’existe que par lui. Alors, on voit peindre René Laloux. Plus exactement, on voit la toile se transformer devant nos yeux. Hommage rendu à Henri-Georges Clouzot, La Planète Sauvage devient Le Mystère Laloux. »
Xavier Kawa-Topor, extrait du Cahier de notes sur…La Planète sauvage, édité par Les enfants de cinéma

Vidéos

La main – de Xavier Kawa-Topor

Catégorie :

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Pistes de travail

La Planète Sauvage est tout d’abord un film magnifique sur le plan du graphisme. L’univers pictural de Roland Topor s’y déploie dans toute sa fantaisie, son exubérance la plus folle et ses profondeurs hallucinantes. Le beau, l’effroyable, l’absurde et le cocasse se mêlent dans une vision onirique qui tient à la fois du rêve et du cauchemar. L’influence de Jérôme Bosch se révèle à chaque instant, dans le bestiaire fantastique de la planète Ygam comme dans sa végétation insolite ou même dans l’architecture des bâtiments draags. Parfois, des clins d’œil, en forme de citation, indiquent directement la filiation avec le peintre du Jardin des Délices.

La seconde influence la plus visible est celle de la peinture surréaliste, pour ce qui est de l’organisation de l’espace et de la lumière notamment. La phrase de René Laloux « la peinture surréaliste est née d’une rencontre inopinée entre le Dr Freud et une ligne d’horizon » peut, à ce titre, inspirer une promenade parmi les œuvres d’Yves Tanguy, bien sûr, mais également de Max Ernst, Salvador Dali et d’autres… On pourra s’arrêter sur le tableau de Victor Brauner, Petite morphologie (1934) qui rappelle la scène de la méditation des quatre Draags dans l’alcôve, dont les bustes se transforment à vue pour épouser les contours d’organes protubérants. De nombreuses correspondances poétiques existent par ailleurs entre le film et l’œuvre de Magritte.

Fiche réalisée par Delphine Lizot, d’après Le Cahier de notes sur…La Planète sauvage par Xavier Kawa-Topor, édité par Les enfants de cinéma
15 octobre 2005.

Expériences

Le dessinateur : Roland Topor

Touche-à-tout de génie, “ Prévert e l’humour noir ” selon l’expression de René Laloux, Roland Topor (1938-1997) est né à Paris de parents émigrés polonais. Il s’inscrit aux Beaux-Arts et publie pour la première fois des dessins et des contes dans les revues Bizarre, Arts, le Rire, Fiction. De 1961 à 1965, il collabore à Hara-Kiri dont il partage le goût pour l’humour décapant et cynique et fonde “ Panique ” avec Arrabal, Jodorowsky, Sternberg et d’autres. L’univers de Roland Topor est marqué par le surréalisme, la science-fiction et les romans noirs. Peintre, Topor participe à de nombreuses expositions en France et en Europe dont celle de “ Panique ” en 1972 au Grand Palais. Une grande rétrospective Topor, la mort et le diable lui sera consacrée au Münchener Stadtmuseum en 1985. Il touche également au théâtre, notamment en compagnie de Jérôme Savary, tantôt pour le scénario et la mise en scène, tantôt pour les décors et les costumes. On le retrouve aussi à la télévision avec deux émissions décalées, Merci Bernard pour les adultes en 1982 (avec Jean-Michel Ribes) et Téléchat pour les enfants en 1983, (avec Henri Xhonneux). Tout au long de sa vie, Topor publie bon nombre de livres et de recueils de nouvelles, souvent restés confidentiels, tel Le Locataire, dont Polanski tirera un film en 1976.

Roland Topor découvre en 1960 Les Dents du singe que René Laloux a réalisé avec les malades de la clinique psychiatrique de La Borde. Il fait la connaissance du réalisateur. Une complicité s’instaure qui durera dix ans. Après Les Temps morts (1964) et le succès international des Escargots (1965), les producteurs André Vaglio-Cavaglione et Simon Damiani, invitent les deux hommes à réfléchir à un long-métrage. Laloux et Topor forment tout d’abord le projet d’une adaptation “ non expurgée ” du Gargantua de Rabelais. Mais sceptiques sur l’accueil que pourraient en faire leurs producteurs, notamment au vu du budget nécessaire, les deux hommes portent finalement leur choix sur un roman de Stefan Wul, Oms en série, paru en 1957 aux éditions Fleuve Noir, et relevant d’un registre pour lequel ils se passionnent l’un et l’autre : la science-fiction.

Stefan Wul et l’œuvre originale

Oms en série, dont est adaptée La Planète Sauvage, est le cinquième roman de Stefan Wul. René Laloux et Roland Topor en proposent une version à la fois fidèle et libre. Du récit original, ils conservent l’argument fondamental : sur la Planète Ygam habitée par les Draags, géants bleus aux yeux rouges, les humains, asservis et domestiqués, sont devenus des Oms, des êtres dégénérés au service de leurs nouveaux maîtres; mais peu à peu, menés par le jeune Terr, ils trouvent les moyens de leur émancipation. Pour ce qui est de la trame narrative, le film s’attache essentiellement à la première période du roman; la suite – c’est-à-dire l’odyssée des Oms – est jugée plus faible par Laloux et Topor. Des motifs nouveaux, visuels et dramaturgiques, viennent enrichir l’univers de Wul avec lequel ils entrent en osmose, offrant au final l’impression idéale d’une œuvre collective. Stefan Wul n’a pourtant pas directement participé à l’écriture du script : il ne rencontre René Laloux et Roland Topor qu’à une seule occasion, en 1966. La réussite de l’adaptation est à mettre au crédit exclusif du réalisateur, dans sa capacité à accoucher le génie débordant de Topor et à faire consoner deux univers singuliers, l’un littéraire, l’autre graphique, créant ainsi l’espace propre du cinéma.

Outils

Bibliographie

Oms en série de Stefan Wul, édition originale Fleuve Noir, Paris, 1957
Les Mondes fantastiques de René Laloux, de Fabrice Blin avec des témoignages de Topor, Mebius, Caza, etc..., Editions Le Pythagore
Ces dessins qui bougent, René Laloux, Dreamland, 1996.

Web

Roland Topor