Playa D.C. (La)

Brésil, Colombie, France (2012)

Genre : Drame, Drame familial

Écriture cinématographique : Fiction

Collège au cinéma 2015-2016

Synopsis

Tomás, un jeune Afro-colombien qui a dû fuir son village et la guerre, vit désormais dans le quartier de « La Playa » à Bogota.

Pour un jeune noir, trouver sa place dans une ville traditionnellement blanche, est une lutte de tous les instants.

Tomás s’affirme peu à peu dans la coiffure, héritage historique des esclaves qui traçaient sur les cheveux des enfants les routes qui leur permettraient de s’échapper. Lorsque disparaît son frère cadet, Jairo, Tomas va prendre tous les risques pour le retrouver, et conquérir son indépendance.

Distribution

Les personnages
Tomás et ses deux frères, Jairo et Chaco, fratrie solidaire un temps reconstituée puis définitivement dissolue, offrent au spectateur trois facettes différentes d’un même personnage confronté, comme nous l’avons dit précédemment, à l’exil et à la nécessité d’évoluer et de prendre des décisions qui engagent son cheminement vital.

Tomás
Jeune homme renfermé à la longue silhouette longiligne, vêtu d’un sweat-shirt à capuche qui contribue à faire de lui « un invisible », un fantôme anonyme déambulant dans les faubourgs miteux de Bogotá, Tomás traîne avec lui son mal-être, sa mélancolie et sa tristesse profonde. Au début du récit, il vit encore avec sa mère, son beau-père et son demi-frère – fruit de cette nouvelle union- en haut des collines qui dominent la ville, dans les « cerros » pauvres où demeurent les exclus. Il travaille pour aider sa mère et semble, malgré une relation tendue avec son beau-père, accepter avec un certain fatalisme cette situation. Il est encore, comme le lui fera remarquer Chaco, « tenu » par sa mère, et dans un fonctionnement familial presque « normal ». Le bref retour de Jairo à la maison, l’expulsion immédiate de celui-ci par le beaupère vont changer la donne et conduire Tomás à la rue.
Introverti, avare de sourires, Tomás marche dans la ville comme s’il était sur une autre planète, semblant étranger à lui-même et à ce qui se passe autour de lui, absorbé et soucieux. La caméra le suit de dos renforçant ainsi l’image de jeune homme sans visage et sans existence, se fondant dans l’univers urbain froid, bleu gris qu’il traverse. Mais Tomás est aussi habité par ses souvenirs de Buenaventura et sa première vie heureuse dans le « locus amenus » verdoyant de son enfance. Les images récurrentes de son passé, témoins d’une époque révolue, alternent avec celles de son vécu présent et revèlent le déchirement intérieur de Tomás. Oscillant entre le passé de sa culture africaine et le présent d’une culture urbaine qui lui est étrangère, Tomás erre, cherche sa voie. C’est à travers son regard que le spectateur erre aussi avec lui dans une ville en pleine mutation.
Néanmoins, peu à peu Tomás s’enhardit, penètre dans les centres commerciaux peuplés de coiffeurs afro et s’approprie l’espace communautaire. Fort de ses réminiscences culturelles africaines, il se passionne pour les coiffures africaines réalisées à la tondeuse et commence à dessiner des projets de coiffure. Et c’est ce talent, sa passion pour cette forme de calligraphie capillaire, qui lui permettront finalement d’imaginer pour lui un avenir autre que celui qui lui était destiné.

Jairo
Dernier de la fratrie, Jairo en est aussi la « gueule cassée ». Marqué par la drogue, la vie dans la rue et les coups, il porte sur son visage et son corps difforme et meurtri, les traces de la marginalité dans laquelle il s’est progressivement enfoncé. Il fait irruption pour la première fois dans le récit filmique, après des semaines ou des mois de disparition, dans la maison familiale, peu de temps après le retour de Tomás. Il joue avec son petit frère puis, mis dehors par son beau-père, disparaît à nouveau. C’est sa disparition et sa recherche par Tomás et Chaco qui vont ensuite constituer la trame narrative du film.
Jairo se dévoile peu à peu au fil de la narration. Perçu par le spectateur tout d’abord comme un petit dealer irrécupérable et violent, il laisse apparaître dans plusieurs scènes son caractère facétieux, rieur et extraverti (scène de danse dans la cour avec la logeuse, scène de coiffage dans la rue). Il semble encore capable, par moments, plus que Tomás et Chaco, de s’amuser et de prendre la vie du bon côté. C’est lui qui exprime le plus facilement sa nostalgie de sa vie antérieure à Buenaventura, quand il lance régulièrement à son frère Tomas ses « ¿Te acuerdas?.. ». Il faudra attendre quasiment la fin du film pour comprendre la blessure profonde de Jairo qui explique sa fuite en avant suicidaire dans la drogue. Dans une des dernières scènes du film, alors que Tomás et Jairo, dans une casse de voitures, vivent un dernier moment de complicité avant la mort de Jairo, le spectateur apprend que Jairo a assisté à l’assasinat de son père par les paramilitaires.

Chaco
Le frère aîné, Chaco, ne rêve quant à lui que d’une chose c’est échapper à ce « fucking country » et de partir vers d’autres horizons plus favorables. Sa présence dans le film correspond à un retour fait sous la contrainte sans que le spectateur n’ait trop de détails sur les circonstances de ce retour au pays. Il ne fait aucun doute que Chaco ne soit déjà tombé depuis longtemps, non pas dans la drogue comme son frère Jairo, mais dans la petite délinquance. L’opinion exprimée par ses « amis » après leur rencontre dans la rue avec Tomás (celui-ci vient d’apprendre que Chaco est revenu au pays), montre bien l’estime qu’ils ont pour lui et laisse à penser qu’il était sûrement avant son départ un petit caïd respecté du quartier. Cependant pour Chaco, le retour à Bogotá ne saurait être qu’un passage, une transition vers un nouveau départ. Déterminé, mettant toute son énergie pour réaliser ce projet, il souhaiterait entraîner Tomás avec lui. Très rapidement après leurs retrouvailles, il scelle avec lui un pacte moral afin qu’ils puissent tous les deux partir « hacia el norte », comme passagers clandestins sur un bateau. Tomás accepte, sans enthousiasme débordant, la proposition, en y mettant toutefois une condition, celle de retrouver Jairo avant de quitter le pays.

Générique

Réalisation : Juan Andrés Arango
Scénario : Juan Andrés Arango
Direction artistique : Angélica Perea
Décors : Juan David Bernal
Photographie : Nicolas Canniccioni
Son : Márcio Câmara et Isabel Torres
Montage : Felipe Guerrero
Musique : Erick Bongcam, Jacobo Vélez, Iván Benavides, Flaco Flow y Melanina, Choquibtown et Jiggy Drama
Production : Juan Andrés Arango et Diana Bustamante
Sociétés de production : Bananeira Filmes, Burning Blue, Séptima Films, Cinesud Promotion et Hangar Films
Pays d’origine : Drapeau de la Colombie Colombie/Drapeau de la France France/Drapeau du Brésil Brésil
Langue : Espagnol
Format : Couleur – 35mm – 2.35:1
Genre : Drame autobiographique
Durée : 90 minutes
Dates de sortie :
Colombie : 19 octobre 2012
France : mai 2012 (festival de Cannes 2012) ; 17 avril 2013 (sortie nationale)

Interprétation
Luis Carlos Guevara : Tomás
Andrés Murillo : Jairo
James Solís : Chaco

Autour du film

Thème général
Le film La Playa D.C, du nom d’un quartier défavorisé de Bogotá est un film qui relate le cheminement initiatique de Tomás, jeune afro-colombien originaire de la région de Buenaventura, sur le littoral pacifique, « déplacé » avec sa famille dans l’univers hostile de Bogotá.

À travers l’expérience vitale de Tomás, le film évoque tous les déplacements de population qui ont eu lieu au cours de ces dernières décennies en Colombie, en le focalisant sur la migration intérieure d’une population particulièrement vulnérable, celle des afro-colombiens. Mais ce n’est pas, toutefois, un film sur le déplacement en tant que tel, conséquence sociale la plus dramatique de la lutte armée en Colombie. En effet, le récit filmique reste très elliptique sur cet épisode dramatique, brièvement évoqué par Tomás et son frère Jairo. Le déplacement forcé de la famille, conséquence de la violence paramilitaire dans la région pacifique et de l’assassinat du père, est antérieur à l’action du film.

Le sujet central n’est donc pas celui-là mais plutôt ce qu’il en résulte, l’exil, tout comme la nécessité de se reconstruire dans l’exil alors que l’exilé porte encore en lui les stigmates douloureux, indélébiles de l’expérience de rupture existentielle qu’il a subi. La perte et le déracinement culturel, la nécessité de s’adapter à une nouvelle culture, de s’approprier de nouveaux codes, de nouveaux espaces urbains sont le lot commun de toutes ces populations déplacées, dont la famille de Tomas est emblématique. Alors que ceux-ci viennent d’une région chaude, colorée, aux paysages maritimes et verdoyants, ils se trouvent brutalement confrontés à Bogotá, ville tentaculaire de plus de 8 millions d’habitants, à 2600 mètres au dessus du niveau de la mer, froide, pluvieuse qui les contraint à vivre dans la marginalité. Ils vont devoir rompre avec leur passé, modifier leur projet de vie et tenter de se reconstruire un nouveau tissu social.

Le récit centré sur les cheminements différents de Tomas et de ses deux frères, Chaco et Jairo, montre comment, à partir d’une même expérience de déracinement, chacun d’entre eux va construire sa route, de manière plus ou moins dramatique, dans les quartiers défavorisés de Bogotá où règnent en maîtres la violence, la drogue et la délinquance. Tiraillés entre leur monde « d’avant », un Buenaventura aux airs de paradis perdu qui revient comme un boomerang peupler leurs rêves, et leur nouvel espace urbain, ils ne vont pouvoir compter que sur eux-mêmes et leurs ressources intérieures pour aller de l’avant et s’en sortir. Le film met aussi en lumière, au travers de cette famille afro-colombienne, une culture africaine qui structure les différents personnages et qui s’est installée peu à peu, du fait des déplacements de population, dans les quartiers périphériques de Bogotá, pendant longtemps « ville blanche », entourée désormais de quartiers de « déplacés ». Il montre comment cette culture d’origine, peut, en fonction des personnalités de chacun, aider à l’insertion sociale ou au contraire l’empêcher définitivement en confortant le sentiment subjectif d’être différent et de se sentir « déplacé ». Tomás, Jairo et Chaco sont donc les personnages d’une tragédie grecque dans laquelle la fatalité, la force de la destinée et la volonté individuelle sont au cœur du récit.

Parcours urbain et cheminement initiatique
Le film La Playa DC est un parcours dramaturgique qui met en parallèle le parcours urbain de Tomás et le cheminement intérieur qui le conduira à faire son choix de vie et à rester, finalement, à Bogotá, abandonnant le projet formé avec son frère Chaco.

Le parcours de Tomás dans la ville, son cheminement dans les petites rues encombrées et grises, les centres commerciaux, poursuit a priori un seul but, celui de retrouver son frère Jairo avant que celui-ci ne soit froidement exécuté. Le spectateur le suit dans son périple et adopte sa vision d’un monde urbain dans lequel la communauté afrocolombienne a su recréer son territoire. Mais au cours de sa recherche, Tomas s’approprie aussi cet espace urbain et particulièrement le centre commercial où il finira par passer beaucoup de temps, le Galaxcentro 18, dans lequel sont concentrés la majorité des coiffeurs afro.

Profondément attiré par cet art de la coiffure, aux origines ancestrales liées à l’esclavage (les mères dessinaient sur le crâne de leurs enfants des cartes leur permettant de s’orienter et d’ échapper à leurs maîtres), il s’enhardit dans le salon de coiffure de Nelson. Coiffeur afro sensible à la créativité « capillaire », celui-ci accueille avec bienveillance ce jeune homme passionné par l’esthétique de la coiffure africaine. C’est Nelson qui va être le point d’ancrage de Tomas dans son quartier et qui va l’encourager à se lancer. C’est lui qui l’initie au maniement de la tondeuse, lui qui accorde de l’intérêt à ses dessins, lui encore qui lui prête de l’argent pour acheter sa propre tondeuse. Ainsi progressivement, par le biais de son interêt esthétique héritage de son identité africaine, Tomas s’ouvre les portes d’un monde qui jusqu’à présent refusait de l’intégrer.

La décision de Tomás de rester dans son quartier, de s’insérer dans un monde auquel il n’était pas préparé et de renoncer par voie de conséquence au départ programmé avec son frère Chaco, apparaissent donc comme les points d’orgue d’un cheminement initiatique qui conduit Tomas à se découvrir lui-même et à intégrer pleinement son héritage culturel.

Vidéos

Outils

Web
http://www.arcalt.fr/blog/autour-du-festival-interview-du-realisateur-de-la-playa-d-c/
Interview du réalisateur Juan Andrés Arango

http://www.fichesducinema.com/spip/spip.php?article3965
Rencontre avec Juan Andrés Arango

http://www.afrik.com/article25910.html
Interview avec Juan Andrés Arango et l’acteur principal du film Luis Carlos Guevara (Tomàs)

http://www.cinelatino.com.fr/sites/default/files/lesdossiers/dossier_la_playa_v3_0.pdf
Dossier pédagogique du film (à télécharger sous format PDF)

http://www.jour2fete.com/index.php/films/111-la-playa
Accès au dossier presse, aux photos et à l’affiche du film

http://www.afrik.com/article14777.html
Article sur la loi colombienne mise en place afin de punir les comportements racistes

http://www.unhcr.fr/4ad2f4caf.pdf
Appel global de l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés de 2007

http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/colombie/presentation-de-la-colombie/
Dossier sur la Colombie pour mieux comprendre le contexte politique et économique

Films
La couleur de la montagne (2011)
Impunité (2012)