Racines du monde (Les)

Allemagne, Mongolie (2019)

Genre : Drame

Écriture cinématographique : Fiction

Collège au cinéma 2024-2025

Synopsis

En Mongolie, le père d’Amra, chef des derniers nomades, s’oppose aux sociétés minières internationales à la recherche d’or dans les steppes. Après sa mort dans un tragique accident, son fils, entreprend de continuer son combat mais avec les moyens d’un garçon de 12 ans…

Distribution

Bat-Ireedui Batmunkh : Amra
Enerel Tumen : Zaya
Yalalt Namsrai : Erdene
Algirchamin Baatarsuren : Altaa
Ariunbyamba Sukhee : Huyagaa
Purevdorj Uranchimeg : Bataa
Alimtsetseg Bolormaa : Oyunaa
Unurjargal Jigjidsuren : Tulga
Batzorig Sukhbaatar : Zorigoo

Générique

Titre original : Die Adern der Welt
Réalisation : Byambasuren Davaa
Scénario : Byambasuren Davaa
Musique : John Gürtler et Jan Miserre
Photographie : Talal Khoury
Montage : Anne Jünemann

Autour du film

Avant-propos

Depuis son premier film, L’histoire du chameau qui pleure, Byambasuren Davaa n’a jamais cessé de questionner la frontière symbolique qui sépare le documentaire et la fiction. Ses films ne sont jamais tout l’un ou tout l’autre, et en cela il n’est pas toujours facile de les qualifier. Ils sont avant tout et surtout des œuvres de cinéma, qui offrent un regard sensible sur la Mongolie d’aujourd’hui. La réalisatrice s’applique à raconter son pays, à faire voyager sa culture et ses richesses à travers le monde, tout en rendant, par la force du récit et de la fiction, un émouvant hommage au peuple nomade et à son attachement à la nature.

« Les Racines du monde est une fiction se déroulant sur un fond documentaire, dans le vrai sens du terme… Nous avons travaillé avec des acteurs, mais aucun décor n’a été construit pour le film. » — Byambasuren Davaa

Fiction : le récit

Les précédents films de Byambasuren Davaa étaient considérés avant tout comme des documentaires, dans le sens où elle filmait le quotidien de nomades mongols (non professionnels) jouant leur propre rôle. De cette réalité capturée elle laissait surgir un récit, qu’elle construisait à la manière d’un conte ou d’une légende. A l’inverse, si Les Racines du monde présente un aspect documentaire évident, il n’en reste pas moins une véritable fiction. La réalisatrice a choisi d’aborder le problème de l’exploitation minière à travers l’histoire d’une famille nomade dans les grandes steppes de Mongolie, et plus précisément à travers le regard d’un jeune garçon de 12 ans. Pour ce faire, elle a écrit un scénario et fait appel pour la première fois à une directrice de casting pour trouver ses personnages. Les enfants sont tous des amateurs (pouvant chanter naturellement et parfois même conduire !), tandis que les adultes sont des comédiens professionnels, recrutés sur place. Ces deux aspects (l’écriture du scénario et le casting des acteurs) représentent une différence de traitement et de dispositif considérable, par rapport à ses précédentes expériences de tournage.

La famille

« Enfant, j’ai toujours été fascinée par la façon dont un petit grain de sable dans le désert de Gobi peut être le reflet du monde. Dans mes films, j’essaie – comme le grain de sable – de refléter le monde dans sa plus petite unité humaine : la famille. » — Byambasuren Davaa

La famille d’Amra ne déroge pas à la règle : Zaya, la mère, prend soin de ses enfants mais également du troupeau, et fabrique le fromage que son mari ira ensuite vendre au marché dans le village à côté. Ce dernier s’occupe quant à lui des relations avec l’extérieur ou, en tant que chef du conseil des nomades, avec la communauté. Au début du film, on découvre une famille heureuse, malgré les difficultés que l’exploitation minière fait peser sur leur vie quotidienne, avec des parents aimants et bienveillants. Mais ce fragile équilibre sera vite perturbé par l’accident qui coûtera la vie à Erdene. L’absence du père va alors obliger chacun à redéfinir sa place au sein du foyer.

La mise en scène

En un sens, le cinéma de Byambasuren Davaa pourrait s’apparenter à de l’ethnofiction, un courant cinématographique initié par Jean Rouch et inspiré des réalisations de Robert Flaherty (Nanouk l’esquimau, L’homme d’Aran), que l’on pourrait qualifier d’anthropologie de groupes humains inscrite dans une trame narrative. Dans une démarche documentaire, Jean Rouch va intégrer la fiction dans ses films (et notamment des acteurs), pour s’intéresser à des individus, des personnages, et non à un ensemble (une tribu, une ethnie).

Dans Les Racines du monde, Byambasuren Davaa met en scène la vie et le parcours d’un jeune garçon, et à travers lui, restitue la réalité de tout un peuple. Elle le filme dans son quotidien, dans des décors réels, sans artifices ni effets spéciaux. La caméra est comme immergée dans le décor, au plus près des personnages. Elle est mobile, évolue avec eux, au milieu d’eux. Ce dispositif appelée « caméra portée » est très souvent utilisé en documentaire et associé au cinéma direct ou « cinéma vérité ». Il consiste à filmer caméra à l’épaule, ce qui offre une plus grande liberté de mouvement et laisse plus de place à la force et l’intensité des personnages. Son positionnement à hauteur de visage et de regard, permet de s’attacher aux expressions et ainsi souligner leurs émotions. Les acteurs peuvent oublier les contraintes techniques, et notamment les contraintes de déplacement, pour se concentrer sur leur rôle. Ce n’est plus à eux de s’adapter à la caméra et à un découpage précis, mais l’inverse. Ainsi, la caméra portée renforce l’impression de vraisemblance et d’authenticité des images filmées.

Si la caméra portée offre une plus grande liberté aux comédiens et plus de véracité au récit, elle laisse également plus de place au spectateur. Les images sont moins directives que dans des plans très composés et structurés, qui imposent le point de vue du réalisateur. Au contraire, elles permettent au spectateur de construire son propre regard, tout en se sentant proche des personnages.

Pistes de travail

La Mongolie

La Mongolie est un immense pays d’Asie centrale, enclavé entre la Russie au nord, et la Chine au sud. Son territoire possède très peu de terres arables et est constitué principalement de montagnes (L’Altaï à l’extrême Ouest du pays), de taïgas (vastes forêts abondantes au Nord), et de grandes steppes herbeuses dans la partie centrale qui constitue un territoire riche en pâturages pour les nomades, et dont l’aridité croît en allant vers le sud, jusqu’au désert de Gobi, à cheval sur le sud de la Mongolie et le nord de la Chine.

Avec plus de 3 millions d’habitants (3 168 026 hab.) pour une superficie équivalente à quasiment trois fois la France (1 566 500 km2), la Mongolie est le pays qui a la plus faible densité de population au monde avec 2 hab./km2. Plus d’un tiers de cette population est concentré à Oulan-Bator (Ulaanbaatar), la capitale, tandis qu’un autre tiers est constitué de purs nomades, qui vivent de l’élevage de chevaux, de moutons, de chèvres, de bovins (yacks, vaches) et de chameaux.

Le climat de la Mongolie est l’un des plus continentaux de la planète : les températures peuvent descendre jusqu’à −40 °C en hiver et peuvent dépasser +40 °C en été dans le désert de Gobi. Le pays étant situé au cœur d’une zone de hautes pressions, favorisant la naissance d’anticyclones, le ciel est très souvent dégagé (environ 257 jours sans nuages par an), ce qui explique pourquoi la Mongolie est souvent surnommé « le pays au ciel bleu ».

L’exploitation minière en Mongolie

Un autre aspect très réel de la Mongolie est abordé dans le film, qui constitue même le cœur de son sujet et son point de départ. Concernant la genèse du film, Byambasuren Davaa raconte : « J’étais en train de développer un autre film avec mes producteurs allemands quand au retour d’un voyage dans mon pays natal, j’ai eu un déclic. J’ai écrit cette histoire. Je me devais d’évoquer l’exploitation abusive des steppes, le déracinement des nomades, l’assèchement des sources d’eau et la destruction des paysages. Dans certaines rivières, vous ne pouvez plus pêcher de poissons à mains nues comme jadis. Je n’avais pas d’autres choix, c’était ma responsabilité d’en parler. »

Car en effet, l’exploitation minière de la Mongolie par des compagnies étrangères révèle de véritables enjeux économiques, qui ne sont pas sans conséquences sur l’écologie ou l’aspect social du pays. Dans Les Racines du monde, plus qu’une toile de fond, cette exploitation joue un véritable rôle dramaturgique, au cœur des péripéties et du parcours initiatique d’Amra.

Les lieux : entre steppe, village et ville

La vie d’Amra et de sa famille s’organise autour de différents lieux, entre la steppe (1) où ils vivent et où est installée leur yourte, le village (2) où se trouvent le marché, l’école ou encore la salle communale où ils se rassemblent pour regarder Mongolia’s got talent, et enfin la grande ville, la capitale, Oulan-Bator (3), où se rend Amra pour participer à l’émission.

L’école

Les nomades se déplacent généralement en petite communauté, en fonction des saisons. Ainsi, ils peuvent rester de longs mois au même endroit, ce qui permet notamment la scolarisation des enfants dans les villes ou villages alentours, comme c’est le cas pour Amra. On peut alors s’attacher à décrire l’école que nous découvrons dans le film, en notant les différences et les points communs qui existent avec celle que connaissent les écoliers français : classe mixte, port de l’uniforme (chemise bleu, cravate, veste), attitude et comportement des élèves… De nombreux établissements ont un internat pour les élèves ruraux, trop éloignés pour se rendre à l’école tous les jours. C’est notamment le cas de Bataa qui est interne toute la semaine.

L’élevage

La famille d’Amra vit de l’élevage de chèvres et de moutons, qui sert notamment à la fabrication du fromage. Les produits laitiers représentent la base de l’alimentation des nomades mongols, qui utilisent différents procédés de transformation du lait. Le fromage que fabrique la mère d’Amra s’appelle l’aaruul. Il est fabriqué selon une méthode tradition- nelle à partir de lait caillé, séché au soleil.

Les rites et les croyances

Pendant tout le film, on assiste à différents rituels, qu’il s’agissent des petits gestes quotidiens comme celui de tremper son annulaire dans le bol de vodka qu’on nous offre et de projeter quelques gouttes vers le ciel, vers le sol et devant soi, ou des pratiques relevant des croyances spirituelles. Citons par exemple la séquence où Erdene emmène Amra prier autour de l’arbre sacré, ou encore celle des obsèques. Comme chez beaucoup de peuples nomades, le défunt est brûlé avec tous ses effets personnels pour ne laisser aucune trace matérielle. Seul son esprit continue d’exister, entretenu par les offrandes et la petite flamme sous son portrait.

La Yourte

Depuis des millénaires, la yourte, tente circulaire constituée d’une armature en bois recouverte de couches de feutre, est l’habitat traditionnel des nomades d’Asie centrale. Facilement montable et démontable en quelques heures, elle est particulièrement adaptée aux modes de vie de ces populations qui se déplacent fréquemment d’un lieu de pâturage à un autre. Cette demeure ancestrale, classée patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco, est encore utilisée de nos jours aussi bien dans les villes et villages chez les populations sédentarisées, que dans les régions isolées de la Mongolie.

A l’origine, la yourte, appelée « Ger » en mongol et dont l’étymologie vient du mot turque « Yurt », désignait à la fois le territoire sur lequel un groupe social (les nomades) avait l’habitude de se déplacer, ainsi que son campement. Par la suite, il a pris le sens de «domicile». Sa forme circulaire offre une grande résistance aux vents violents qui balaient les grandes steppes. De même, elle protège des grands froids qui sévissent pendant de longs mois. Quand la température chute au-dessous de -40°C, il suffit d’ajouter plusieurs couches de feutre pour renforcer l’isolation. L’été, les nomades retroussent le feutre, pour laisser l’air circuler librement.

La yourte reprend sous une forme symbolique le lien étroit entre le peuple Mongol et l’environnement dans lequel il vit. Sa forme ronde évoque la voûte céleste. A l’intérieur, elle est constituée d’une pièce unique organisée autour d’un poêle et de deux piliers centraux symbolisant l’axe cosmique, la liaison entre la terre et le ciel. La porte d’entrée, plutôt basse est toujours orientée vers le sud. Comme le caractère sacré de la nature et des esprits qui l’habitent, elle est elle-même considérée comme un espace sacré très codifié.

La place de la nature

Le mode de vie nomade, dans son entièreté, s’organise autour d’un profond attachement à la terre. Elle est à la fois la terre de leurs ancêtres – comme le dit un vieux sage lors du conseil des nomades : « Nous sommes tous les enfants d’une même rivière » – mais également la terre nourricière qui leur offre toutes les ressources nécessaires à leur survie. De l’élevage, les nomades tirent l’essentiel de leur alimentation et de leur mode de vie : il permet de produire la viande et les produits laitiers qui constituent la base de leur alimentation, mais également la laine utile à la fabrication des vêtements et le feutre qui sert à recouvrir la yourte. La terre leur apporte également les ressources indispensables en eau…

Ce lien étroit entre les populations nomades et la nature est notamment issu du chamanisme, la plus ancienne croyance mongole, avant que le bouddhisme ne devienne religion officielle. Cette pratique spirituelle qui vise à trouver l’équilibre entre l’homme et l’environnement dans lequel il vit, est basée sur l’animisme, une croyance qui attribue une âme et un esprit à tous les êtres vivants. Les arbres, les montagnes, ou les animaux sont considérés comme sacrés car abritant les esprits de la nature et l’âme des morts.

Dans le film, ces croyances et les rituels qui y sont associés occupent une place importante. Les liens qui unissent les hommes à la terre et au Ciel sont ici symbolisés par la présence de l’arbre sacré (allégorie des « Racines du monde » évoquées dans le titre), le lieu de prière où Erdene et son fils vont se recueillir. Il lui enseigne le respect des coutumes et des pratiques spirituelles : tourner autour de l’arbre sacré dans le sens des aiguilles d’une montre et faire une offrande en accrochant aux branches le khadag, une écharpe en soie de couleur bleu qui symbolise à la fois le respect et la pureté.