Synopsis
Petit voyou du Bronx, Jake La Motta a été tiré d’une maison de redressement par un prêtre qui l’a amené à la boxe. Devenu champion du monde en battant Marcel Cerdan, il a des problèmes de poids et des crises de rage. Après une cinglante défaite contre Ray Sugar Robinson, il perd son titre, ouvre un night-club à Miami et se retrouve en prison pour détournement de mineures.
Générique
Titre original : Raging bull
Réalisation : Martin Scorsese
Scénario : Paul Schrader, Mardik Martin d’après l’autobiographie de Jake La Motta
Image : Michael Cchapman
Son : Frank Warner
Montage : Thelma Schoonmaker
Musique : Petro Mascagni
Production : United Artists
Distribution : United Artists
Couleurs, noir et blanc
Durée : 2h09
Sortie en France : 4 septembre 2002 (première sortie mars 1981)
Interprétation
Robert de Niro / Jake La Motta
Joe Pesci / Joey, son frère
Cathy Moriarti / Vickie La Motta
Frank Vincent / Salvy
Nicolas Colasanto / Tommy Como
Johnny Barnes / Sugar Ray Robinson
Louis Raftis / Marcel Cerdan
Autour du film
Martin Scorsese a vu dans la vie de Jake La Motta l’une des histoires de rédemption qu’il affectionne. Sonné lui-même par une crise conjugale qui l’avait conduit à l’hôpital pour dépression, il s’est jeté dans ce film comme pour faire le bilan de sa propre existence. Le pugiliste déchu, magnifiquement incarné par Robert De Niro, est dépeint comme un être primitif, presque animal, qui s’autodétruit pour expier ses fautes et se forger une paix intérieure. Compromis avec la mafia, maladivement jaloux de sa femme, il ressent un jour le besoin de se punir. Son châtiment passe par le sexe (apprentissage de la frustration régénératrice) et par le ring, où il s’abandonne aux coups, se tient aux cordes, bras écartés, comme un crucifié. Cette poignante supplication d’un pénitent violemment converti à la vanité des choses terrestres, et qui implore d’être absous du mal qu’il pense avoir fait, reste l’un des meilleurs films de ce très grand cinéaste et constitue la clé de son œuvre, parfois mal comprise.
Nagel Miller / Télérama 14/10/2006
Le cinéma américain s’est emparé très tôt de la boxe, dès ses origines mêmes, et ce sport ne cesse depuis d’irriguer son imaginaire cinématographique. De The Champ (King Vidor,1931) à Million Dollar Baby (Clint Eastwood, 2004), de Body and Soul (Robert Rossen, 1947) à Ali (Michael Mann, 1999), en passant par Kid Galahad (Michael Curtiz, 1937), Gentleman Jim (Raoul Walsh, 1942), Nous avons gagné ce soir (Robert Wise, 1949), Marqué par la haine (Robert Wise, 1956), Le Champion (Mark Robson, 1949), Plus dure sera la chute (Mark Robson, 1956), Fat City (John Huston, 1972), jusqu’à la série des Rocky qui atteint une dimension orgiaque et caricaturale dans ses derniers films, autant d’œuvres marquantes (on aurait pu en citer bien d’autres) qui auront tracé un portrait saisissant d’une Amérique pétrie dans ses contradictions et sa violence fondatrice (agressivité, courage, corruption, fierté, injustice, liberté, aliénation, force de caractère, barbarie, grâce, mortification, transcendance, etc.).
(…) Raging Bull marque une seconde naissance pour Martin Scorsese en même temps qu’une étape essentielle dans sa carrière. Le réalisateur et son personnage suivent un chemin parallèle qui aboutit à un réel exercice de libération. Sans même prendre en considération cet élément personnel qui a engagé Scorsese à transcender son sujet, on ne peut nier l’évidence : cette œuvre, aussi bouleversante par sa beauté visuelle qu’impressionnante par sa brutalité, atteint une forme de perfection stylistique jamais prise en défaut. L’artiste a atteint une maturité qui ne l’a plus quitté depuis ; sûr de ses effets et des ses expérimentations, conscient de la puissance évocatrice de sa mise en scène, Martin Scorsese est entré de plein pied dans le panthéon des cinéastes qui comptent. Et Raging Bull n’est pas prêt de descendre du piédestal où les professionnels du cinéma et les cinéphiles l’ont fort justement installé.
Ronny Chester / www.dvd classik.com 14/12/2008
Vidéos
Duel fratricide
Catégorie : Analyses de séquence
La séquence 17 (de 1:19:08 à 1:25:33) constitue l’un des points culminants du film. Elle propose un ultime face à face entre Jake et Joey qui aboutira à une séparation de plusieurs années. Jake, maladivement jaloux, ne peut s’empêcher de détruire le cercle familial. Cette fois, il s’en prend à son frère qu’il soupçonne d’entretenir une liaison avec Vickie.
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Cette vidéo a été conçue en complément de la rubrique SÉQUENCE en pages 12-13 du livret enseignant Lycéens et apprentis au cinéma.
Texte : Suzanne Hême de Lacotte
Réalisation : Ciclic
L’œil du taureau
Catégorie : Analyses de séquence
« Once I was blind and now I can see » : cet extrait de l’Évangile de Saint Jean conclut Raging Bull, dont la mise en scène est très attentive aux yeux de son personnage principal. À travers ces plans montés dans l’ordre du film, on peut par exemple :
– Faire l’inventaire des sentiments que l’acteur parvient à exprimer uniquement avec ses yeux.
– Repérer des récurrences : regard prédateur, fixité et mobilité des yeux, composition qui masque les yeux, plans de miroir…
– Résumer le film en décrivant l’évolution du regard de Jake La Motta : celle-ci correspond-elle à la citation de l’Évangile ?
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Réalisation : Ciclic
Montage / rythme
Catégorie : Clefs pour le cinéma
Analyse et montage : Cécile Paturel
Le regard caméra
Catégorie : Clefs pour le cinéma
C’est le moment dans un film où la personne filmée regarde dans l’objectif de la caméra. Voici une exploration, à travers différents extraits, de la valeur que peut prendre ce procédé.
Dans Paris, Christophe Honoré, 2006
Dans le premier extrait, le réalisateur Christophe Honoré fait s’adresser son personnage au spectateur. La surprise produite par le premier regard qu’il lance vers l’objectif de la caméra (« Non, non, vous ne vous trompez pas, il s’agit bien d’une apostrophe » dit le personnage) nous renseigne sur l’interdit, développé plus bas dans ce texte, que constitue d’ordinaire le regard caméra.
En 2006, date de sortie de ce film au cinéma, le regard caméra n’est plus une audace formelle.
Le procédé participe ici :
1) de la construction d’un personnage, celui de Jonathan (Louis Garrel), l’hédoniste du film qui, par nature, relativise les problèmes. Et de fait, le regard caméra instaure une distance par rapport au récit. Ils seront une respiration bénéfique, un détachement par rapport à l’humeur noire du frère, Paul (Romain Duris), englué dans sa dépression.
2) de l’esprit et du style du film. En dandy mélancolique Christophe Honoré cultive les références à cette période effervescente du cinéma français, celle de la Nouvelle Vague française. On retrouve chez lui les regards caméra chers à Godard mais aussi son gout pour la langue française, comme chez Rohmer, ainsi que la sincérité et l’insouciance des personnages de Jean-Pierre Léaud chez Truffaut, qui sont rejoués par Louis Garrel. En 2006, ces traits formels inscrivent certes le film dans cette lignée artistique, mais le parent aussi – et surtout – d’une nostalgie raffinée très stylée…
À bout de souffle, 1960 et Pierrot le fou, 1963 de Jean-Luc Godard
… Car en traversant l’histoire, le regard caméra s’est muté en marque de fabrique de ce mouvement artistique français né au début des années 60 en France. Mais à l’origine, l’utilisation entre autres moyens, du regard caméra a fait lïfet d’une insurrection artistique, et a véritablement produit une cassure révolutionnaire dans l’histoire du cinéma.
Dans A bout de souffle et Pierrot le fou le spectateur de cette époque, jusque là habitué à « s’oublier » dans le film grâce à la forte impression de réalité produite sur lui par le cinéma, est soudain bousculé par l’adresse directe du personnage/acteur à son égard. C’est ce qu’exprimait Roland Barthes dans L’obvie et l’obtus (Essais critiques III, Paris, édition du Seuil, 1982) à propos du cinéma narratif classique «Un seul regard venu de l’écran et posé sur moi, tout le film serait perdu». Par le procédé du regard caméra, Godard perce l’univers hermétiquement clos de l’histoire et force le spectateur à se rappeler la présence d’un intermédiaire jusqu’ici bien dissimulé : le réalisateur, qui, avec sa caméra opère une reconstruction du réel qu’il enregistre. Désormais, le cinéma entrera dans un second degré d’existence. Il ne se contentera plus de raconter des histoires mais pourra se prendre lui même comme sujet de réflexion dans un film.
Les 400 coups, 1959 de François Truffaut, Monika, 1953 de Ingmar Bergman
Un an avant À bout de souffle, François Truffaut utilisa lui aussi le regard caméra dans les 400 coups, en 1959. Mais cette fois le regard d’Antoine Doisnel (Jean-Pierre Léaud), le personnage principal, intervient à la fin du film. Alors que nous venons de partager son enivrante course vers la liberté (il parvient à s’échapper d’un centre pour mineurs délinquants), son rythme s’apaise et son regard se plante dans les yeux du spectateur. La gravité de ce regard dirigé vers la caméra force le spectateur, confortablement assis dans le noir, à considérer le destin du personnage, l’implique. Cet engagement moral demandé au spectateur constitue aussi un des traits de la modernité du cinéma.
Truffaut s’inspire d’un autre célèbre regard caméra, aussi lourd de questionnement moral, celui de Monika, dans le film éponyme de Ingmar Bergman de 1953.
Récréation, 1992 de Claire Simon
Raging Bull, 1980 de Martin Scorsese
Sur la plage de Belfast, 1996 de Henri François Imbert : regard caméra et authenticité
Dans le film documentaire, qui par définition revendique un contenu non fictionnel, l’impression de réalité est encore plus forte que dans le cinéma classique dans lequel « s’oublie » le spectateur. Dans Recréation, la réalisatrice Claire Simon choisit l’immersion pour saisir la spontanéité des jeux d’enfants dans une cour de l’école…jusqu’à ce que le regard d’une fillette qui s’intéresse soudain à la caméra vienne nous rappeler la présence de la réalisatrice et la part de subjectivité existante, même dans un film documentaire.
Le film de famille retrouvé par Henri François Imbert dans Sur la plage de Belfast, se donne immédiatement comme tel grâce aux regards caméra qu’il contient.
Avec le bougé et le flou, le regard caméra devient un code du film amateur. Il est intégré naturellement par la fiction quand il s’agit de créer un faux home movie (Raging Bull)…A tel point que son absence sur des images bougées et de mauvaise définition suffit à trahir la fiction. Par exemple, le réalisme des images et des comportements dans L’Esquive, d’Abdellatif Kechiche, ne pourraient pas tromper un spectateur (même si ce n’est bien sûr pas le projet du film) car les personnages, aussi authentiques soient ils, ignorent totalement la caméra qui les filme.
The Adventurer, 1917, Charlie Chaplin
Docteur Jerry et Mister love, 1963, Jerry Lewis
Annie Hall, 1977, Woody Allen
Issu des arts de la scène (cirque, music hall), le comique burlesque a emmené avec lui, lors de son passage à l’écran, un certain nombre d’éléments scéniques comme la frontalité du cadrage typique des premiers films ou encore les adresses directes au spectateur. Le regard caméra va donc persister et être utilisé par les comiques burlesques comme gag.
Dans Le cinéma burlesque ou la subversion par le geste (ed. L’Harmattan, 2007), Emmanuel Dreux défini le gag comme « un écart par rapport à un ordre programmé ». C’est bien de cela qu’il s’agit lorsque, dans Docteur Jerry et Mister Love, le personnage continue à faire du bruit alors qu’il vient d’ôter ses chaussures. Par son regard incrédule à la caméra, Jerry Lewis redouble ce gag, mais en créé aussi un nouveau : nous ne nous attendions pas à le voir nous regarder.
Woody Allen, qui a fait ses classes comme comédien de stand up, utilise aussi l’aparté dans plusieurs de ses films, et de façon marquée dans Annie Hall. L’aparté de Alvy Singer au spectateur – que n’entend pas le personnage joué par Diane Keaton – participe bien sûr d’une distanciation (nous prenons conscience de notre posture de témoin car nous avons entendu et sommes en mesure de trancher leur malentendu) mais aussi de ce plaisir de l’écart.
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Analyse et montage : Cécile Paturel