Ressources humaines

France (1999)

Genre : Drame

Écriture cinématographique : Fiction

Archives LAAC, Lycéens et apprentis au cinéma 2001-2002

Synopsis

Frank Verdeau, vingt-deux ans, revient dans sa région natale afin d’effectuer un stage dans l’usine où travaille son père depuis trente ans. Le jeune homme a choisi d’être affecté au service des Ressources humaines, où il doit préparer un rapport sur les 35 heures. Il suggère au patron de lancer à ce sujet une consultation des ouvriers. Lorsqu’il découvre que ce travail sert à masquer un plan de licenciement, Frank change d’attitude et participe à la grève. Le père de Frank refuse de se solidariser, même lorsqu’il apprend son propre licenciement. Ne trouvant sa place ni dans l’entreprise ni dans l’espace familial, Frank finit par annoncer son retour à Paris.

Générique

Réalisation Laurent Cantet
Scénario et dialogues Laurent Cantet et Gilles Marchand
Conseiller artistique Gilles Marchand
Image Matthieu Poirot-Delpech, Claire Caroff
Son Philippe Richard, Antoine Ouvrie
Montage Robin Campillo
Décors Romain Denis
Assistants réalisateurs Emile Louis, Rafaèle Ravinet-Virbel, Dominik Moll
Musique Quatuor n° 13 en la mineur de Franz Schubert
Conseiller artistique Élie Poicard
Interprétation
Frank/ Jalil Lespert
Le père/ Jean-Claude Vallod
La mère/ Chantal Barré
Sylvie/ Véronique de Pandelaère
Olivier/ Michel Begnez
Le patron/ Lucien Longueville
Madame Arnoux/ Danielle Mélador
Le D.R.H./ Pascal Sémard
Production La Sept Arte, Haut et Court
Distribution Haut et Court distribution
Film 35 mm, couleur
Durée 100 minutes
Sortie en salles 15 janvier 2000

Autour du film

Lors de la sortie en salles de Ressources humaines, nombreux furent les critiques louant le défi relevé par le film : tenir en haleine son spectateur sur le sujet a priori austère de la loi sur les 35 heures. Film d’auteur résultant d’une démarche créative audacieuse et singulière, témoignant de la réalité socio-politique de l’époque tout en prenant une épaisseur romanesque presque mélodramatique à travers l’exploration d’une chaotique relation père/fils, Ressources humaines est un film assez atypique dans le paysage du jeune cinéma français. Estompant les frontières entre film de cinéma et télévision, cette réalisation de Laurent Cantet, dont l’itinéraire est en revanche similaire à nombre de ses congénères, s’appuie sur une copieuse prise en compte du réel, qui permet un riche traitement fictionnel. La mise en scène s’adapte à la modestie apparente du propos pour enraciner dans la plus grande véracité sociale des personnages à travers lesquels le spectateur trouve aisément à s’identifier. Film politique, au sens pris par le mot alors que l’époque du cinéma militant est révolue, Ressources humaines ouvre de nombreuses pistes de réflexion sur ce que représente l’acte de filmer pour un cinéaste, sur la nécessité pour l’artiste de soulever des tabous et de ne jamais flatter le spectateur, quitte à le placer dans une inconfortable position voyeuriste ; lors de l’explosion finale qui le renvoie à sa propre vision du monde et à son « devoir » de mémoire. Une telle approche artistique n’évacue jamais sa mission citoyenne et assume le choix, humble et noble, de la transmission.

Si le film de Laurent Cantet tombe à pic, ce n’est pas seulement parce qu’il poursuit la tradition d’un certain cinéma ouvrier – de Ken Loach à Robert Guédiguian –, qu’il met en scène un émouvant conflit père-fils genre “ Œdipe à l’usine ” ou qu’il surfe(rait) sur l’application des 35 heures en France et “ l’horreur économique ” ambiante. Ressources humaines nous touche peut-être aussi et surtout parce qu’il raconte une désillusion particulièrement d’époque : la fin de la croyance dans l’entreprise chez de nombreux jeunes (les héros du film ont entre 25 et 30 ans) et l’échec patent d’un certain modèle de “ gestion des ressources humaines ” décrit par plusieurs sociologues. Franck, le héros du film, à la différence des personnages de Ken Loach par exemple, n’est pas ouvrier. Il incarne au contraire le modèle républicain bien français d’ascension sociale. Comme beaucoup de fils et de filles de baby boomers, on devine qu’il a été gavé pendant son adolescence par l’injonction parentale de la réussite scolaire (d’autant plus, peut-être, qu’il est fils d’ouvrier). Il a fait de brillantes études de commerce (HEC dit le scénario original). Il a manifestement choisi la branche des “ ressources humaines ”, terme fabuleux, parce qu’il contient l’adjectif “ humain ”. Il se retrouve en stage dans la société qui emploie son père, chargé d’une étude sur les 35 heures. (…) Il met en œuvre une consultation, donc il croit bien faire, mais celle-ci révèle plus tard qu’elle cache un plan de licenciement. Cette rupture du “ contrat social ” (et moral) le fait basculer dans la défiance. Le “ miroir aux alouettes ” entrepreneurial qu’on lui avait tendu pendant si longtemps (son père en premier) se révèle une belle entourloupe. (…) D’où une confusion extrême : comment identifier la barbarie quand elle a non seulement un visage humain, mais que ce visage humain, c’est le nôtre ?
Emmanuel Poncet, Libération, 19 janvier 2000

Pistes de travail

Ressources humaines induit autant de possibilités pédagogiques quant à sa forme que son contenu. Permettant d’aborder frontalement un certain état social de la France au crépuscule du XXe siècle, il illustre la chute des idéologies collectives et le comportement aléatoire de l’individu dans un monde où la lutte des classes tait son nom et où le chômage, ayant fait voler en éclats les solidarités ouvrières, menace. Mais l’épaisseur fictionnelle du film explore davantage encore, en les entremêlant, des notions culturelles, sinon philosophiques, d’appartenance, d’ascension sociale, d’incommunicabilité générationnelle. Mis en scène d’une façon extrêmement rigoureuse, le film, initialement produit à l’usage du petit écran, constitue en outre un digne objet d’étude purement cinématographique, en particulier par l’usage des cloisons, vitres ou portes qu’il convoque pour enraciner ses variations sur les thèmes de l’exclusion et de l’appartenance. Atypique dans sa conception et sa préparation, il incarne un certain type de cinéma, indépendant et sans concessions, saine alternative au cinéma commercial dominant.

Mise à jour : 17-06-04

Expériences

Ressources humaines, à l’origine conçu et tourné pour la télévision, est sorti en salles comme le premier long métrage de son réalisateur – il a d’ailleurs été récompensé à ce titre lors de la remise des Césars 2001. Réalisant un score plus qu’honorable au box-office, au lendemain de sa diffusion télévisée, il constitue une nouvelle étape réussie pour son auteur, remarqué dès ses courts métrages. Tous à la manif et Jeux de plage, primés dans de nombreux festivals, contenaient en germe plusieurs thématiques chères à Laurent Cantet et développées dans Ressources humaines : les relations père/fils, l’imbrication du social et de l’intime, les sentiments d’appartenance ou d’exclusion à une communauté donnée, la volonté d’aborder des sujets d’actualité politique dans un registre de fiction… Entre-temps, le jeune réalisateur avait déjà touché au format télévisuel à travers Les Sanguinaires, dans la collection 2000 vu par…, également interprété par Jalil Lespert qui incarnait un personnage  » détonateur  » faisant  » exploser  » un groupe d’amis. Laurent Cantet, auteur complet, s’est ainsi affirmé en quelques films comme l’une des valeurs sûres de sa génération.

Ressources humaines qui, à certains égards, sonne  » vrai  » et semble se contenter d’ » enregistrer la vie  » rappelle aussi le néoréalisme italien. Il a été tourné intégralement en décors naturels et les prises de vue ont été effectuées dans une véritable usine qui continuait de fonctionner et de produire pendant le tournage. Il est même presque plus  » néoréaliste  » que les films italiens de la Libération, dont bien des décors étaient, en réalité, reconstitués. Mais le film de Laurent Cantet hésite en fait entre deux registres : celui du réalisme et celui du romanesque de l’histoire qu’il raconte, histoire parfois trop bien  » ficelée « . Les parti pris scénaristique peuvent en effet sembler non vraisemblables dans le cadre du fonctionnement réel d’une entreprise et tirent le film du côté de la fiction non réaliste. La structure narrative crée une densité dramatique à la fois forte et calculée qui contrarie en partie le réalisme du film.

Outils

Bibliographie

Les Enfants de la liberté, Claude-Marie Trémois, Ed. du Seuil, 1998.
Le jeune cinéma français, ouvrage collectif, Nathan Université, coll. 128, 1998.
Dictionnaire du jeune cinéma français, ouvrage collectif, Ed. Scope, 1998.