Roi des masques (Le)

Chine (1995)

Genre : Comédie dramatique

Écriture cinématographique : Fiction

École et cinéma 2010-2011

Synopsis

Dans la région du Sichuan, dans les années 30, époque de guerres civiles et de misère sociale, Wang, le Roi des masques, est un artiste itinérant, maître d’une technique qui consiste à changer de masques si vite que cela semble de la magie. Son seul fils est mort plusieurs années auparavant, et, devenu âgé, il désire un héritier à qui transmettre son art et qui, selon la tradition, ne peut être qu’un garçon.
Wang achète au marché aux enfants un petit garçon, Gouwa, et l’emmène sur le bateau sur lequel il descend le fleuve. L’enfant est heureux et offre à son « grand-père » son affection.
Lorsque le Roi des masques découvre que Gouwa est en réalité une fille, il veut l’abandonner. Mais elle le supplie de le garder. Il cède et l’entraîne à faire des acrobaties, afin de la présenter en spectacle. Ils voyagent le long du fleuve et dans les villes, pour le meilleur (une soirée à l’opéra) et pour le pire (Gouwa met accidentellement le feu au bateau).
Un jour, Gouwa est enlevée par un voleur d’enfants. Ne sachant pas que son compagnon de captivité est l’enfant d’une famille riche, elle s’enfuit avec lui pensant, avec raison, que Wang sera comblé de trouver en Tianci un successeur.
Mais l’enfant, recherché par la police, est repéré, et le Roi des masques, jeté en prison. Désespéré, il déchire ses masques. Abandonnée à elle-même, Gouwa va trouver les ressources nécessaires pour le tirer de là. Elle démontrera ainsi sa valeur et sa capacité à devenir la digne héritière du Roi des masques.

Générique

Réalisateur Wu Tian Ming
Scénario Wei Minglun
Décors Wu Xujig
Image Mu Da Yuan
Montage Hui Yujan
Musique Zhao Ji Ping

Interprétation
Wang, le Roi des masques/ Chu Yuk
Gouwa ou Doggie, la fillette/ Chao Yim Yin
Lian Sulan ou Maître Liang/ Zhao Zhigang
Tianci, le petit garçon/ Zhang Ruiyang
Zhou Renying
Production Mona Fong, Hon Pou Chu et Titus Ho, Lawrence Wong
Format 35 mm, Couleurs (1/1,85)
Durée 1h36
N° de visa 93 759
Sortie France 8 avril 1998
Distributeur Boomerang Productions

Autour du film

Le Roi des masques oppose fréquemment imagerie naturaliste et sublimation des êtres et événements (passage de l’apparition misérabiliste et monochrome de Wang, au début, aux couleurs de la fête). Comme chez les plus grands, la beauté plastique de l’image est signe de danger : qui s’attarde à sa contemplation se perd (voir Mizoguchi et Les Contes de la lune vague).
Pourtant, la magie des représentations théâtrales comme celle des masques de Wang, illusoire, débouche aussi sur la vie : les masques une fois ôtés, le spectateur fait l’expérience du vrai visage, et la comédie jouée par Gouwa sur le modèle de l’opéré sauvera Wang.
Cette opposition recoupe, sans se confondre avec elle, l’antagonisme entre les scènes de nuit et les scènes de jour, traditionnel conflit entre les deux principes antithétiques et complémentaires de la pensée et de l’art chinois, le yin (l’obscurité, le froid la passivité, le féminin), le yang (la lumière, la chaleur, l’activité, le masculin).

Le message « féministe » très occidental du film est assez visible pour qu’on ne s’y attarde pas : vieil homme, fortement marqué par une forte tradition misogyne, il accepte finalement de transmettre son art à une “ fille ”. En revanche, le film mêle tradition spirituelle chinoise et modernité, comme il alterne musique orientale traditionnelle et musique occidentale, celle-ci soulignant surtout les moments de forte émotion. Dès la première représentation, le Roi des masques fait allusion aux « sociétés secrètes et même aux catholiques ». Dès qu’apparaît Lian Sulan, il est appelé « Bodhisattva », plus tard, Wang achète une statuette de déesse pour avoir un fils, se recueille devant l’immense statue du Bouddha assis… Certes, Wu Tian Ming ne ménage pas son ironie à l’égard des superstitions, mais un état d’esprit inspiré du bouddhisme imprègne, sans s’y appesantir, sinon le film, du moins ses personnages. Si Wang n’est pas toujours un être souffrant, faisant souvent preuve d’une saine joie de vivre, il est marqué par la première des « quatre nobles vérités » de l’enseignement du Bouddha : « La naissance est souffrance, la vieillesse est souffrance, la mort est souffrance, être uni à ce que l’on n’aime pas est souffrance, être séparé de ce que l’on aime est souffrance, ne pas avoir ce que l’on désire est souffrance ». De même, Wang vieillit, puis sera condamné à mort, vit séparé de son épouse et de son fils, et plus tard de Gouwa et de tous par la prison, et enfin ne trouve pas l’héritier qu’il souhaite… « La soif des plaisirs des sens, la soif de l’existence et du devenir… » sont peut-être cause de cette souffrance et des cycles de la Réincarnation. Or Wang ne résiste pas au plaisir de briller, se laisse prendre à tous les pièges qui satisfont son amour-propre, son désir d’avoir un fils qui lui succède… Il reste à Wang à accepter l’imperfection et « l’impermanence » de toute chose, à renoncer à satisfaire un « Je » qui ne se confonde pas avec les forces contradictoires et complémentaires qui gouvernent l’univers.

Le visage et l’attitude de Lian, de son côté, surnommé « Bodhisattva », exprime une douceur, une indifférence, un « vide », une maîtrise qui font de lui un véritable intermédiaire dans ce chemin vers la sagesse. Or les « Bodhisattvas » sont des « êtres d’éveil », de pure compassion, qui ont renoncé à accéder à l’état de Bouddha pour se réincarner et aider les êtres ordinaires à accéder à la sagesse, ce que devient justement Lian dans le spectacle de l’opéra, quand il coupe la corde et se réincarne en déesse Bodhisattva. Gouwa fait le lien entre Lian/Bodhisattva et elle-même en tant que fille, lorsqu’elle demande à Wang comment il peut vénérer une statuette de déesse (femme) ! N’est-elle pas elle-même un Bodhisattva inconscient placé sur la route de Wang ? Par elle, le Roi des masques peut retrouver la pureté de son art, sans le narcissisme qui lui faisait souhaiter un successeur mâle, mais relié à ses racines spirituelles, dans l’acceptation de l’imperfection (Gouwa) et de l’impermanence (l’errance sur le fleuve)… (Joël Magny)

Une parabole sur le cinéma et le pouvoir

« …Un film d’aventures très plaisant et vivace, qu’on dit « pour enfants » du fait de l’âge de la jeune héroïne et de la simplicité de la narration, mais tout à fait à même de passionner des spectateurs de tous âges. La qualité exceptionnelle de l’interprétation, la sûreté d’une mise en scène sans esbroufe, très attentive aux détails comme au mouvement général du récit, témoignent de la qualité de la mise en scène… [Wu Tian Ming] signe avec Le Roi des masques une œuvre elle-même masquée qui, jouant de plain-pied avec ses personnages et ses spectateurs, n’en est pas moins une subtile parabole sur le cinéma, sur le pouvoir, sur les rapports entre les puissants et les saltimbanques. »
Jean-Michel Frodon, in Le Monde, 9 avril 1998.

L’art salvateur

« Le film est magnifique à bien des égards. D’abord parce que la force des sentiments qui lie le vieillard et l’enfant marqué également par la souffrance, est d’une telle puissance qu’elle emporte sur son passage comme un raz de marée la mesquinerie du monde. Ensuite parce que Wu Tian Ming comme les cinéastes de la nouvelle vague a l’art d’intégrer par mille petits détails les histoires individuelles dans une fresque sociale et politique… Mais au-delà de l’amour filial et de la puissance de la Magie, ce sont les vertus humanistes de l’Art que Wu Tian Ming nous invite à encenser. Comme souvent dans les films chinois, il y a l’idée que l’Art durement gagné est l’apanage d’une élite qui participe à la Rédemption du monde. L’Art est salvateur. L’enfant qui a eu le malheur de naître fille trouvera, ô ironie du sort, son soutien dans le maître d’opéra condamné à jouer les rôles de déesses ! »
Maureen Lionet, in Ciné Libre, n°48, avril 1998.

La transgression

« Sur la trame limpide d’un conte pour enfants, Wu Tian Ming […] greffe avec une subtilité certaine le thème de la transgression : peu à peu, la petite fille fait valoir qu’elle est aussi capable qu’un garçon d’être initiée au jeu des masques. Ce petit film manque sans doute de style, voire de caractère, il est illustratif, mais le metteur en scène sait créer des atmosphères et assume sereinement sa simplicité. »
François Gorin, Télérama, n°2517, 8 avril 1998

Vidéos

Séquence 14 [26’19 > 28’48]

Catégorie :

Cette séquence est analysée dans le cahier de note du film éditée par les Enfants de cinéma.

Dans la rue, Gouwa sur ses épaules, Wang évoque avec l’épicier la pièce qu’ils viennent de voir : La Montagne Beinan. Ils sont attirés par un attroupement : un passant ne parvient pas à fendre une branche de bambou sous la risée du public. Wang, lui, fait preuve d’habileté. Irrité, l’autre lui tire dessus avec un lance-pierres. Wang est blessé. Il envoie Gouwa chercher de l’alcool puis lui demande d’uriner : l’urine de garçon arrête les saignements. Gouwa doit avouer qu’elle est une fille ! Les deux sont en pleurs.

Pistes de travail

  • Le cheminement psychologique des personnagesAnalysez le cheminement psychologique de Wang, le Roi des masques, et celui de la petite fille, Gouwa. En quoi le film est-il une histoire d’initiation et d’apprentissage ? Qui apprend quoi durant le déroulement du film ?
  • Les différents sens du mot « masque »Analysez tous les sens possibles du mot « masque » par rapport à l’histoire racontée dans le film. Outre le Roi des masques, qui porte un masque ? Gouwa, vendue sept fois, qui accepte de se faire passer pour un garçon. Le général, qui affirme ne pouvoir intervenir dans des affaires intérieures à la région mais décide finalement d’agir. Lian, qui, outre son déguisement d’acteur d’opéra et le fait qu’il joue des rôles de femme, ne joue-t-il pas la sérénité et l’acceptation de sa fonction subalterne d’acteur dans la société et son impuissance à agir, pour se découvrir finalement sensible après le saut de Gouwa, remerciant ironiquement le général de sa “ générosité ”, mais prêt à porter l’affaire devant les autorités, à ses risques et périls ?
  • Le jeu des acteurs de l’opéra« Comment caractériser le jeu des acteurs d’opéra (gestes, tons, costumes) et les réactions des spectateurs à la pièce. En quoi ces réactions diffèrent-elles de celles d’un public occidental ? Par exemple, le chant-commentaire du général lors de la dernière représentation indique bien l’aspect rituel et attendu de l’action, sans surprise possible : « Les généraux arrivent ». En quoi l’opéra chinois est-il un art original ? (Gestes, ton, musique, rythme, costumes, couleurs, décor…).
  • Travail en groupeProposition de travail en un ou plusieurs groupes. Chacun essaie de supprimer une séquence quelconque du film. Il s’agit ensuite de montrer comment sans cette séquence, l’histoire perd un maillon essentiel, des éléments importants pour la compréhension et l’évolution des personnages. À l’inverse, imaginez librement une scène supplémentaire dans laquelle Wang ferait quelque chose d’inattendu. Quelle serait la réaction de Gouwa ? Imaginez aussi une initiative supplémentaire de Gouwa et la réaction de Wang ?

    Mise à jour : 17-06-04

Expériences

Le cinéma a perçu très tôt le potentiel émotionnel de la représentation de l’enfant à l’écran. François Truffaut, quelques années après la réalisation des Quatre cents coups (1959), semble commenter Le Déjeuner de bébé de Louis Lumière (1895) : “ Il ne faut jamais oublier que l’enfant est un élément pathétique auquel le public sera, d’avance, sensibilisé. Il est donc très difficile s’éviter la mièvrerie et la complaisance… Un sourire d’enfant sur un écran et la partie est gagnée ”. Le culte de l’enfant en tant qu’être à part entière, voire divinité, et de l’enfance comme moment privilégié et protégé de la vie est un phénomène de date récente. Sous l’Ancien Régime, on confiait l’enfant à des nourrices. Il passait sans transition de l’enfance à l’apprentissage, hors de la famille. C’est la philosophie des Lumières et le romantisme (Rousseau) qui débouchent sur une prise en considération de l’enfant qui mène au début du règne de « l’enfant roi » (fin XIXe, à l’invention du cinéma) puis de « l’enfant-dieu », à partir des années 60, avec la prise en compte du potentiel économique de la jeunesse.
Dès 1908, un enfant insupportable accapare les écrans français et du monde sous le nom de « Bébé ». Au contraire, les enfants des films américains des années 1915-1920 aux USA, ne s’opposent pas aux adultes mais sont victimes d’enlèvements et sauvés de justesse. C’est sur ce schéma qu’apparaît The Kid, de Chaplin (Le Gosse, 1921), où domine le lien qui se noue entre un enfant et un adulte qui se substitue au père, et qui générera pratiquement un genre (Le Champion, de King Vidor, 1931).
En France, avec Crainquebille (1922), Jacques Feyder propose un personnage proche, « La Souris », enfant sans famille, qui ne sortira pas de prison son protecteur, comme le fait l’héroïne du Roi des masques, mais l’aidera à renoncer au suicide. De Poil de Carotte de Jules Renard (le roman), aux films de Julien Duvivier (1926 et 1931), la structure du mélodrame se substitue au ton de la chronique. On passe à une mièvrerie un peu racoleuse avec le Sans famille de Marc Allégret (1934) : les quelques traits épars que l’on en retrouve dans Le Roi des masques — le singe Joli-Cœur ou la caisse contenant l’attirail professionnel sur le dos — proviennent d’ailleurs plus du roman que du film.
C’est dans le cinéma italien que l’enfant trouve enfin sa véritable fonction. En 1942, Vittorio De Sica, avec Les Enfants nous regardent inaugure « le regard du cinéma néoréaliste », regard d’enfant, comme celui du fils du Voleur de bicyclette (1948), de De Sica encore, dénué de préjugés, étonné, objectif sans pour cela être neutre ou naïf. Plus tragique est le héros d’Allemagne année zéro (1947), de Roberto Rossellini, qui va jusqu’au suicide. Sans négliger, sur un mode plus mélodramatique, le petit Andréa mourant de L’Incompris, de Luigi Comencini (1967).
Le Roi des masques s’inscrit ainsi dans une tradition vaste et d’une grande diversité toujours largement vivace, comme en témoignent encore quelques films inscrits récemment au programme de Collège au cinéma : Kes de Ken Loach, La Vie est belle de Roberto Benigni, Le Cercle parfait d’Ademir Kenovic, Mon Oncle de Jacques Tati, Rue Cases-Nègres d’Euzhan Palcy, Marion de Manuel Poirier, Le Ballon d’or de Cheik Doukouré ou Le Petit prince a dit de Christine Pascal…

Outils

Bibliographie

Le cinéma chinois, Jean-Loup Passek, Ed. Centre Georges Pompidou, 1985.
Le cinéma chinois 1949-1983, Régis Bergeron, Ed. L'Harmattan, 1984.

La petite révolution culturelle, Marie-Claire Huot, Ed. Philippe Picquier, 1994.
Vide et plein, le langage pictural chinois, François Cheng, Ed. Seuil, 1979.
La Chine et les chinois, Lin Yutang, Ed. Payot, 1997.
Essai sur la Chine, Simon Leys, Robert Laffont, 1998.
L'Etat de la Chine, ouvrage collectif, Ed. La Découverte, 1989.
La Chine 1949-1971 et La Chine de 1971 à nos jours, Jean-Luc Domenach, Philippe Richer, Ed. Seuil, 1995.

Promenade au jardin des poiriers : l'Opéra chinois classique, Jacques Pimpaneau, 1983.
Masques de l'opéra de Pékin, Zhao Menglin et Yan Jiqing, Ed. Aurore, 1992.