Synopsis
C’est la fin de l’année scolaire, en Martinique, dans les années 30 et le travail est très dur dans les plantations de canne à sucre, où les « békés » (les colons) exploitent la main d’œuvre agricole dans les champs de canne à sucre. Les enfants de Rivière-Salée, de la Rue Cases-Nègres. José, douze ans, est élevé par sa grand-mère, M’man Tine, qui sue sang et eau dans la plantation pour que son petit-fils puisse faire des études et partir pour Fort-de-France avec une bourse. José est espiègle, mais il adore l’école et connaît bien le précepte de son maître d’école pour qui l’instruction est « la clé qui, après la fin de l’esclavage, ouvre la seconde porte de notre liberté ». Le vieux sage Médouze l’a pris en amitié et lui raconte l’histoire de l’esclavage. José découvre que son ami Léopold est en fait le fils d’un béké. Mais ce dernier se tue après avoir refusé de reconnaître Léopold qui s’enfuit. José obtient le Certificat d’études et se rend à Fort-de-France pour y passer le concours des bourses. Il n’obtient qu’un quart de la bourse et M’man Tine déménage à Fort-de-France : elle y fera des repassages pour payer les études, mais finalement, ses études sont prises en charge par la colonie. Tandis que José apprend à lire à son copain Carmen qui veut devenir acteur de cinéma, que Léopold est arrêté, M’man Tine meurt. « M’man Tine est allée dans l’Afrique de M. Médouze. Demain, je vais partir au Fort-De-France en emportant avec moi, ma rue Cases-Nègres », conclut José.
Distribution
Les adultes :
Ils sont de trois types et se regroupent selon leur position sociale : la main-d’œuvre de la canne (M’man Tine ou Médouze), ceux qui ont trouvé une alternative (l’enseignant Monsieur Roc, la débrouillarde Carmen) et les békés (le père de Léopold, le gérant de la plantation). Mis à part le père de Léopold, on ne sait rien de particulier de la classe des riches colons blancs, sinon leur domination. Plus on descend dans l’échelle de la pauvreté, plus notre connaissance des personnages s’approfondit, s’enrichit.
Les enfants :
Exceptés José et Léopold, les enfants sont peu présents dans le film. Il n’y a pas vraiment d’interactions : de conflits ou liens d’amitié forts entre eux. Rue Cases Nègres est un film sur les adultes, vus par les yeux d’un enfant. Si on se souvient de José ou Léopold, c’est parce que les relations qu’ils entretiennent avec les adultes sont très spécifiques. Les autres enfants sont cantonnés à leur rôle d’enfants : ils font des bêtises, racontent des histoires et jouent.
José est à la croisée des chemins entre la pauvreté et l’ascension sociale, entre le passé et le futur, entre le monde de la canne et le monde des Lettres, il s’élève vers le haut, poussé qu’il est par tous ceux qui refusent le monde tel qu’il est : M’man Tine, Carmen, Médouze, monsieur Roc ou le professeur du lycée.
Léopold se trouve également à la croisée des chemins, mais il descend, parce qu’il est né dans un monde qui n’est pas encore fait pour lui : mulâtre, il n’aura jamais le nom de son père ; à moitié blanc, on lui interdit de jouer avec les petits “ nègres du village ”. S’il perd, c’est parce que la règle édictée par le monde des adultes le commande, aussi absurde qu’elle soit.
Générique
Réalisateur Euzhan Palcy
Scénario Euzhan Palcy, d’après le roman de Joseph Zobel La Rue Cases-Nègres (Éd. Présence africaine).
Décors Hoang Thanh At
Image Dominique Chapuis
Son Yves Osmu, Pierre Befve
Montage Marie-Josèphe Yoyotte
Musique Groupe Malavoi
Interprétation
José/ Garry Cadenat
M’man Tine/ Darling Legitimus
Médouze/ Douta Seck
M. Saint-Louis/ Joby Barnabé
le géreur/ Francisco Charles
la mère de Léopold/ Marie-Jo Descas
le père de Léopold/ Léon de La Guigneraye
Mme Saint-Louis/ Marie-Ange Farot
M. Roc, l’instituteur/ Henri Melon
Douze Orteils/ Eugène Mona
Carmen/ Joël Palcy
Léopold/ Laurent-Saint-Cyr
la patronne de Carmen/ Dominique Arfi
le patron de Carmen/ André Lehr
Mme Fusil/ Émilie Blameble
l’épicière/ Notorité Blameble
Gesner/ Mathier Crico
les jumelles/ Virginie et Céline Delaunay Belleville
Tortilla / Tania Hamel
Aurélie/ Maïté Marquet
le professeur du lycée/ Roger Promard
le commandeur/ Joseph René-Corail
Mme Léonce/ Lucette Salibur
Production Jean-Luc Ormières pour SU.MA.FA, ORCA Productions, NEF Diffusion.
Format 35mm, couleurs, 1, 66
Durée 1h43
N° de visa 56 059
Sortie en France 9 juillet 1983
Distributeur Forum – Connaissance du cinéma
Autour du film
Rue Cases-Nègres fait un peu partie des films dont la critique n’a rien à dire. Rien de plus à dire que ce que le film dit déjà clairement. Film et roman d’apprentissage, il illustre la maxime inscrite au tableau noir par l’instituteur : « L’instruction est la clef qui ouvre la deuxième porte de la liberté. » D’autant plus qu’Euzhan Palcy le fait dans un style impeccable, presque trop « léché », classique. José est un petit Martiniquais très doué et surtout généreux. Avant même de le voir étudier, on le voit en train d’alphabétiser un copain plus âgé ! Quant à M’man Tine, elle est la plus maternelle et compréhensive des grands-mères, au-delà de son caractère bourru et sévère – une sorte de Gabin noir et femelle. Le film risquait de glisser dans l’œuvre édifiante, d’autant que dans son adaptation du roman de Josef Zobel, Euzhan Palcy a gommé certaines duretés : chez le romancier, le professeur qui n’avait pas cru possible que la belle rédaction de José puisse être de lui — sous-entendu, d’un noir — ne venait pas présenter ses excuses et chez Palcy, bien des vicissitudes sont concentrées sur le personnage de Léopold, le petit mulâtre rejeté. Mais Rue Cases-Nègres échappe à ces défauts — qui font aussi son succès, surtout auprès d’un jeune public concerné — par une imbrication géographique, voire strictement spatiale, dans la réalité martiniquaise des années 30. Dans le même temps, il ne s’interdit pas une série de significations symboliques. Pour évoluer, José doit aller étudier à Fort-de-France, loin de la « rue Cases-Nègres ». Mais la dernière phrase y insiste : il partira avec sa rue, son lieu d’origine, sa culture, sa « négritude » dans le cœur. La mise en scène épouse ce principe des déplacements incessants, de la rue Cases-Nègres à la plantation, plutôt de la plantation à la plantation (les cases étant installées à l’intérieur même de la plantation), de Rivière-Salée à Fort-de-France et l’inverse… Ou comment se déplacer sans quitter son lieu d’origine… Dans la relation entre noirs et blancs, Euzhan Palcy joue également de façon plus subtile qu’il n’y paraît. Certes, les blancs ne sont pas à leur avantage, mais la gamme des attitudes des noirs est d’une rare variété. Cela va du mimétisme des enfants absorbant le rhum (blanc !) à la caissière du cinéma qui refuse, enfermée définitivement derrière ses grilles, sa négritude, en passant par Léopold qui renie son père blanc avant d’aller en prison… Le choix des couleurs du film joue sur cette incertitude permanente en évitant les blancs et les noirs purs et parfaitement définis… Pour se confronter au monde des blancs, José n’a qu’une seule solution : intérioriser fortement sa négritude pour en faire une force.
Joël Magny
Une attention vraie
« Renoir aussi, pour portraitiser l’Inde, passa par l’enfance et la narration exemplaire. Il n’y a que les mauvais cinéastes pour fixer du gros œil béat de leur caméra la plaie prétendument dénoncée. Un peuple et sa culture, un peuple et sa mémoire, même un peuple et sa misère demandent plus d’attention qu’un simple constat offusqué, aussi généreux fût-il. Rue Cases Nègres vibre et vit. Euzhan Palcy a retrouvé la chanson. Il n’y manque ni une parole ni une note de musique. »
Claude Sartirano, L’Humanité-Dimanche, 30 septembre 1983
Au-delà des clichés
« Non seulement la réalisatrice a su garder humour et mesure, mais elle n’assène aucun message. Elle se contente de raconter une histoire, tout simplement, et de montrer sans appuyer. Et, du coup, on est de plain-pied avec ses personnages, au lieu de les regarder de loin, comme dans trop de films du tiers monde…
Et l’on comprend à demi-mot le problème de l’identité antillaise, en le regardant avec les yeux du petit José qui observant tout son entourage se faire exploiter sans rien dire, mais apprenant à revendiquer de plus en plus fort sa personnalité, est bien décidé à ne pas subir d’injustices et à travailler suffisamment (en classe) pour pouvoir, un jour, témoigner…
Un rare exemple de film adulte, intelligent et sensible sur le colonialisme. »
Annie Coppermann, Les Échos, 22 septembre 1983
Les trois étapes de l’expression antillaise
« Du point de vue de la tradition, Rue Cases-Nègres illustre les trois étapes de l’expression antillaise : la première est celle de la tradition orale, transmise, dans le film, par Médouze ; la seconde est la tradition écrite, le message du vieillard passant dans le roman de Zobel (roman qui sera étudié dans les écoles que montre le film) ; la dernière étape est celle de l’expression filmique : le roman devient film ; et l’allusion à la salle de cinéma n’est pas seulement un clin d’œil de cinéphile ; c’est surtout le décor à venir où pourra se déployer la tradition ; il est clair que dans cette même salle sera (est) projeté Rue Cases-Nègres. Rarement l’idée de tradition est esquissée avec autant de précision et de concision. »
Olivier Curchod, Positif, novembre 1983.
Pistes de travail
• Faire la liste des personnages que rencontre José et étudiez comment il se définit par rapport à eux, ce que chacun lui apporte, ce qu’il lui révèle de son caractère ou de ce qu’il doit encore acquérir pour réussir…
• Quelles sont les différentes étapes de l’évolution de José, et par l’intermédiaire de quels personnages pensez-vous qu’il apprenne le plus de choses ?
• Supprimez une scène que vous ne jugez pas fondamentale. La scène supprimée n’ôte-t-elle rien à notre connaissance des personnages et du propos d’ensemble du film ? Inversement, essayez d’imaginer une scène supplémentaire et justifiez en la nécessité : qu’ajoute-t-elle à la compréhension du film et des personnages ?
• Quel est le rôle de la voix off dans le film ? Qui parle ? Est-ce José enfant ou José aujourd’hui ? Comment sait-il, adulte sans doute, certaines choses sur les autres personnages qu’il ne pouvait connaître enfant ? Pourquoi la réalisatrice a-t-elle tenu à nous faire percevoir son récit à travers le récit de José enfant ? Qui prononce la dernière phrase, au présent et au futur ? José enfant ? José aujourd’hui ?
Mise à jour : 17-06-04
Expériences
Rue Cases-Nègres s’inscrit dans la difficile et récente histoire du cinéma des Antilles françaises. Celles-ci entrent dans l’histoire du cinéma dès 1902, avec les films de Georges Méliès et de Ferdinand Zecca, reconstituant à l’aide de maquettes et d’un baquet d’eau l’éruption de la Montagne Pelée.
Née dans le Gers mais d’origine guadeloupéenne, Sarah Maldoror réalise Et les chiens se taisent (1974) à partir d’un poème d’Aimé Césaire, puis consacre à ce dernier un moyen métrage, Un homme une terre : Aimé Césaire (1977).
À côté d’une veine militante (La Machette et le marteau, de Gabriel Glissant, 1975), le cinéma guadeloupéen de fiction est représenté par Christian Lara qui, en 1978, avec Coco la Fleur, en créole, inaugure une veine humoristique, naïve et de moins en moins politique (Chap’la, 1979 ; Une glace avec deux boules, 1981 ; Une sacrée Chabine, 1992…) En 1980, il réalise pourtant un film plus politique sur la révolte d’un ancien esclave contre les troupes du Consul Bonaparte, Vivre libre ou mourir.
Réalisateur de films touristiques, Jean Lhérissey reçoit en 1950 le Prix Jean Vigo pour La Martinique est verte, évocation de la vie de Victor Schoelcher. En 1976, à Fort-De-France, un atelier audiovisuel, la SERMAC (Service Municipal d’Action Culturelle), est fondé par Jean-Paul Césaire, sous l’impulsion de son père, Aimé Césaire. Il tourne Dérives ou la femme-jardin, inspirée d’une nouvelle du poète haïtien René Depestre, et un documentaire, Hors les jours étrangers. Le métropolitain Jérôme Kanapa consacre deux films à des femmes martiniquaises, Toutes les Joséphine ne sont pas impératrices (1977), et, En l’autre bord, interprétée par la Haïtienne Toto Bissainthe. Venu également de métropole, François Migeat réalise en 1980 un film entre histoire et fable symbolique, Le Sang du flamboyant. Le Mauritanien Med Hondo décrit, en 1979, la colonisation des Antilles dans une comédie musicale allégorique, West Indies ou Les Nègres marrons de la liberté. La même année, un Martiniquais, Constant Gros-Dubois, évoque les tribulations cocasses d’un couple antillais à Paris, avec O Madiana. En 1982, Bourg la folie, de Benjamin Jules-Rosette, recherche les racines de l’identité antillaises en remontant aux Indiens Arawaks, premiers occupants des îles.
Rue Cases-Nègres est, en 1983, le premier film antillais qui respecte une vision indigène authentique de la Martinique et de son histoire et qui donne à son propos humaniste une portée internationale.
Outils
Bibliographie
Le siècle des Lumières, Alejo Carpentier, Ed. Gallimard, 1977.
Esclaves et négriers, Jean Meyer, coll. Découvertes Gallimard n° 11.
La traite négrière, ouvrage collectif, Ed. Hatier, 1975.
L'esclavage, Maurice Lengellé, coll. "Que sais-je?", Ed. PUF, 1955.
La traite des noirs, Olivier Pétré-Grenouilleau, coll. "Que sais-je?", Ed. PUF, 1997.
De l'indigène à l'immigré, Pascal Blanchard et Nicolas Bancel, coll. Découvertes Gallimard n° 345.
Martinique, ouvrage collectif, coll. Guides Gallimard.
Les Antilles françaises, François Doumenge et Yves Monnier, coll. "Que sais-je?", Ed. PUF, 1993.
Antilles, espoirs et déchirements de l'âme créole, ouvrage collectif, Revue Autrement n° 41, 1989.
Le cinéma dans les Antilles françaises, Osange Silou, Ed. OCIC, 1991.
Vidéographie
Rue Cases-Nègres. Distribution ADAV n° 8116
Simeon. Distribution ADAV n° 13441