Synopsis
Lorna est une jeune albanaise réfugiée en Wallonie, antichambre du rêve européen. Afin d’obtenir la nationalité belge, elle accepte un petit marché pernicieux orchestré par un ponte de la mafia locale dénommé Fabio : d’un commun accord, Lorna et Claudy – junkie au dernier degré mais belge de sang – vivent artificiellement ensemble après un mariage blanc. Voulant profiter de l’état déliquescent de Claudy, Fabio projette de le tuer afin de refiler son albanaise à un riche oligarque russe, désireux d’obtenir la pseudo-respectabilité européenne. La fausse question repose alors sur le fameux silence de Lorna : gardera-t-elle ce lourd fardeau moral en sourdine, pécuniairement récompensée, ou se dressera-t-elle contre l’autorité du boss sans scrupule ?
Lorna gardera-t-elle le silence ?
Générique
Réalisation : Jean-Pierre et Luc Dardenne
Scénario : Jean-Pierre et Luc Dardenne
Image : Alain Marcoen
Son : Jean-Pierre Duret
Montage : Marie-Hélène Dozo
Décors : Igor Gabriel
Costumes : Monic Parelle
Production : Archipel 35, Les Films du Fleuve, Lucky Red, Radio Télévision Belge Francophone (RTBF), Arte France cinéma et Arte/WDR (Cologne).
Producteurs : Denis Freyd, Jean-Pierre Dardenne, Luc Dardenne
Distribution : Diaphana Films
Sortie en France : 27 août 2008
Couleurs
Durée : 1h45
Interprétation
Lorna / Arta Dobroshi
Claudy / Jérémie Renier
Fabio / Fabrizio Rongione
Sokol / Allban Ukaj
Spirou / Morgan Marinne
Le policier / Olivier Gourmet
Andreï / Anton Yakovlev
Kostia / Grigori Manoukov
Monique Sobel / Mireille Bailly
L’infirmière psy / Stéphanie Gob
L’inspecteur / Laurent Caron
L’employé de la morgue / Baptiste Sornin
Le médecin / Alexandre Trocky
Prix : Prix du scénario au Festival de Cannes 2008
Autour du film
Les précédents héros des frères Dardenne avaient la possibilité de remonter d’un abîme d’abjection morale où ils avaient d’eux-mêmes plongé. Rien de tel avec Lorna, immigrée clandestine albanaise prise au piège de la mafia de Liège. Ce film noir, qui est aussi un suspense moral de haute volée, bascule dans l’inconnu et l’imprévisible à la faveur d’une ellipse foudroyante.
Les deux cinéastes ont un jour formulé ainsi leur obsession : montrer comment l’être humain ressent, à un moment donné, le besoin d’un lien avec l’autre qui ne soit pas de l’ordre de l’utilisation. La question est plus que jamais d’actualité, appliquée à l’immigration coûte que coûte, sur fond d’inégalités sociales vertigineuses, de concurrence effrénée entre les individus. Mais, cette fois, au bout d’un parcours haletant, jalonné de trafics nauséeux, le malaise et l’hébétude prévalent. Dans ce nouvel état des lieux du monde, même la rédemption n’est plus ce qu’elle était.
Louis Guichard / Télérama 27 novembre 2010
Deux fois Palme d’or (pour Rosetta en 1999 et L’Enfant en 2005), les frères Dardenne sont toujours là, au plus haut niveau. Avec leur acteur fétiche, Jérémie Rénier, une nouvelle fois prétendant à un prix d’interprétation. Et une révélation féminine (après Emilie Dequenne dans Rosetta et Déborah François dans L’Enfant), qu’ils sont allés dénicher au Kosovo : Arta Dobroshi.
Sœur de nombre des héros des frères Dardenne, déterminés à se faire une place dans la jungle sociale en piétinant les normes morales, l’héroïne du Silence de Lorna, en compétition à Cannes, est une jeune Albanaise à cheveux courts qui a épousé Claudy, un blond camé, afin d’obtenir la nationalité belge. Rêvant d’acquérir un snack avec son amoureux secret, elle a accepté un deal avec un truand, Fabio (Fabrizio Rongione), qui la met sous pression. Une fois son époux éliminé par une opportune overdose, elle doit faire un nouveau mariage blanc avec un mafieux russe impatient de devenir belge à son tour, moyennant une prime coquette.
Le style change par rapport aux films précédents. Les cinéastes ont troqué la caméra super-16mm pour une lourde 35 mm, moins maniable à la main, qui impose au Silence de Lorna une image plus posée, moins en mouvement. Le ton, en revanche, reste le même : résolus à dépeindre une femme conquérante dont la motivation est pragmatique mais qui utilise pour y parvenir des moyens douteux, les Dardenne réussissent à maintenir le spectateur en haleine. Rien de prévisible dans le récit de cette machination.
Cette zone d’incertitude, qui fait le suc de leurs films, est attisée, dans Le Silence de Lorna, par le comportement ambigu de celle dont le titre du film annonce un possible revirement : Lorna ira-t-elle jusqu’au bout de sa stratégie indigne ? Se taira-t-elle ?
DES BLEUS, DES PLAIES
Le double jeu auquel elle s’adonne au début, excédée par les crises d’angoisse et de tremblements de celui qui la supplie de l’aider dans sa tentative de sevrage, mais assurant à son égard un service matériel minimum, révèle ses doutes. Il trahit à la fois son impatience d’être libérée de ce poids conjugal factice et une imperceptible pitié pour celui dont les crampes abdominales se multiplient. Déterminée à obtenir un divorce rapide, pour éviter à son conjoint d’être trucidé par ses complices, Lorna se cogne violemment pour arborer des bleus, des plaies, et faire croire qu’il la frappe.
Il faut rappeler l’importance accordée par les frères Dardenne aux symptômes physiques des êtres en perpétuelle agitation qu’ils dépeignent. C’est un cinéma du corps, des gestes, des déambulations pédestres ou par véhicules. Les personnages se coltinent avec les lieux (les murs, les portes et leurs clés) et avec des accessoires, au premier chef ici le téléphone portable, instrument du contact, du trafic.
C’est par le corps (celui d’un nourrisson vendu par son père dans L’Enfant, celui, dans Le Silence de Lorna, par lequel s’incarne piège, leurre, supercherie) que s’exercent les affaires. C’est par celui de Lorna que la machination se grippe, à cause de l’unique étreinte qu’elle a eue avec Claudy, le temps d’une authentique pulsion amoureuse. Lorsqu’elle évoque une possible grossesse, née de cette aventure, au mafieux russe, il l’arrête net. Si elle veut ce mariage, elle devra avorter.
Les films des Dardenne finissent tôt ou tard par annihiler les mensonges et entamer une phase de rachat, un processus d’adoption. Lorna devient ainsi, à la fin, une autre personne, passe à l’âge adulte, entame un dialogue avec cet enfant qui incarne la descendance de Claudy.
Une fois encore, les Dardenne transposent la brutalité d’une réalité actuelle (les subterfuges illicites d’émigrés de l’Est pour avoir des papiers) et y traquent les signes permettant d’espérer une réserve d’humanité indestructible.
Jean-Luc Douin / Le Monde 20 mai 2008
Vidéos
La fausse intimité
Catégorie : Analyses de séquence
Nous allons voir à travers les trois premières séquences du film comment les frères Dardenne parviennent, en jouant sur des faux semblants et en déjouant nos attentes de spectateur, à installer un enjeu profond au sein même d’une relation entre deux personnages.
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Cette vidéo peut être visionnée en complément du texte « Avant la séance » en page 7 du livret enseignant Lycéens et apprentis au cinéma.
Texte et réalisation : Florent Darmon, Centre Images.
La naissance morale
Catégorie : Analyses de séquence
Voyons comment les Dardenne, à partir de la disparition physique de Claudy, parviennent à faire sentir le lien profond qui unit Lorna à ce dernier, alors même que tout auparavant désignait ce lien comme factice (séquences 29 à 32, à partir de 00:49:15).
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Cette vidéo a été conçue en complémentarité avec les textes « Un suspense moral » et « L’ellipse et l’invisible » en pages 6 et 15 du livret enseignant Lycéens et apprentis au cinéma.
Texte et réalisation : Florent Darmon, Centre Images.
Outils
Dardenne Luc
Catégorie : Des réalisateurs témoignent
À l’occasion des 20 ans de Collège au cinéma, une série d’interviews de 20 réalisateurs français, parrains de cette manifestation, ont répondu à une série de questions autour des « premiers souvenirs de cinéma » et de « conseils à donner aux jeunes ».
Conçus par Pierre Forni, responsable du département de l’éducation artistique du CNC, réalisés et montés par Jean-Paul Dupuis en collaboration avec Bernard Kuhn, responsable national du dispositif.