Synopsis
Si Sonita, 18 ans, avait eu son mot à dire, elle aurait comme parents Michael Jackson et Rihanna. Réfugiée afghane clandestine en Iran, elle habite depuis dix ans dans la banlieue pauvre de Téhéran. Sonita rêve de devenir une artiste, une chanteuse en dépit des obstacles auxquelles elle est confrontée en Iran et dans sa famille. En effet sa mère lui réserve un tout autre destin : celui d’être mariée de force et vendue pour la somme de 9000 dollars. Mais Sonita n’entend pas se soumettre : téméraire et passionnée, elle bouscule les codes de cette culture conservatrice et décide de se battre pour vivre sa vie.
Distribution
Rokhsareh Ghaem Maghami : elle même
Sonita Alizadeh : elle même
Générique
Réalisation : Rokhsareh Ghaem Maghami
Production : Tag/Traum / Intermezzo Films / RTS / SRG SSR / NDR / DR / Rokhsareh Ghaem Maghami
En coopération avec : ARTE
Productrices : Aline Schmid, Kerstin Krieg, Rokhsareh Ghaem Maghami
Producteur délégué : Gerd Haag
Image : Behrouz Badrouj / Ali Mohammad Ghasemi / Mohammad Haddadi / Arastoo Givi / Torben Bernard / Parviz Arefi / Ala Mohseni
Prise de son : Mohammad Salehi / Hadi Saed Mohkam / Ali Alavi
Musique originale : Moritz Denis
Chansons originales : Sonita Alizadeh / Sepandarmaz Elahi Shirazi
Arrangements : Guillaume Wuhrmann
Montage image : Rune Schweitzer
Assistant montage image : Jan Pfitzner
Montage son et mixage : Benjamin Benoit
Etalonnage : Philip Whitfield
Durée : 1h31
Autour du film
Sonita Alizadeh rescotche avec émotion ses posters de Justin Bieber et de Yas, rappeur iranien. L’un de ses frères les a violemment arrachés du mur de sa chambre où elle vit avec sa sœur et sa nièce. Nous n’avons pas vu cette scène de colère ; les hommes sont peu présents dans le film, et surtout pas cette fratrie, menace maintenue dans un hors-champ comme espace de la contrainte et de la soumission à l’ordre des choses. Le cadre du sixième film de la réalisatrice iranienne Rokhsareh Ghaem Maghami demeure à l’inverse un espace de reconstruction qu’habite pleinement Sonita, impétueuse adolescente réfugiée en Iran, déterminée à échapper à son destin de jeune fille afghane. Ses frères et sa mère veulent la ramener au pays afin de la vendre à un inconnu pour 9000 dollars. L’argent de ce mariage forcé permettra à l’un des frangins de s’acheter une épouse à son tour. C’est comme ça, c’est la tradition. Mais Sonita ne veut pas entretenir ce cercle vicieux de la marchandisation des femmes. Elle n’est pas un objet à vendre au prétexte d’une coutume incontestable. Elle est un être humain, revendique son libre-arbitre du haut de ses 15 ans, veut faire ses propres choix, et en premier lieu celui de ne pas se marier.
Entre bravoure et candeur, cette détermination à devenir soi passe par la réappropriation de son histoire et de son image. Sonita recolle les morceaux des idoles auxquelles elle s’identifie comme si elle pansait une blessure. Elle scotche son propre visage sur la photo d’une chanteuse sur scène. Se remémore son histoire à travers les photos jaunies de sa famille. Elle est peut-être sans papiers, mais elle ne se sépare pas de son cahier où ses collages redéfinissent les contours de son identité. Dans son centre d’accueil pour enfants à Téhéran, les jeunes se reconstruisent par l’imaginaire, rejouant la scène de leur arrivée en Iran, réécrivant les informations de leur passeport.
Laisse traîner ta fille
Sonita n’a rien d’un documentaire pédagogique sur la condition des femmes afghanes, que l’on sait misérable dans une société hostile à leurs droits les plus fondamentaux (mouvements, travail, éducation). Aussi le film emprunte-t-il une trajectoire narrative ascendante et agitée, impulsée par l’opiniâtreté sans faille de cette jeune femme qui méconnaît sans doute les combats féministes, et n’en a cure. Sonita est bien le portrait singulier de sa protagoniste éponyme, déterminée à dépasser son statut de victime, habitée par une fureur de vivre emportant le film vers un happy end qui pourrait sembler de prime abord indécent. Mais Sonita n’est pas l’arbre qui cache la forêt ; il faut davantage la voir comme un roseau avec la force d’un chêne dont le combat individuel et presque égoïste peut éveiller les consciences. L’une des forces du film est que sa réalisatrice n’a pas filmé des jeunes filles paumées, victimes au fond du trou, mais a saisi l’une d’entre elles quand elle a compris ce qui lui arrive. Sonita a conscience, et c’est le fruit de cette prise de conscience que filme Ghaem Maghami.
Ce combat personnel, c’est celui de devenir rappeuse. Dans un pays hyperconservateur (l’Afghanistan), soumis aux idéologies talibane et patriarcale, qui maintiennent les femmes dans l’illettrisme – manière de les empêcher de remettre en question toute lecture machiste du Coran –, Sonita connaît bien les mots. Eux aussi sont les agents de sa reconstruction. Non pas les mots d’un féminisme islamique, exégétique, mais ceux du hip-hop, portés par le flow du vécu, de la colère et de l’avidité. Dans un pays régi par la dictature intégriste des mollahs (l’Iran), les femmes n’ont pas le droit de chanter seule en public et où le rap, perçu comme un symbole de la décadence occidentale, est totalement illégal. Aussi celui de Sonita propose-t-il un véritable potentiel subversif, bravant tous les interdits. Ce milieu musical, réputé particulièrement misogyne – ou au sexisme moins mainstream que les autres styles musicaux – devient le territoire d’une émancipation féminine. Autour d’elle, les gamines du centre, premières spectatrices émues et admiratives, sa tutrice, sa sœur et sa nièce soutiennent le projet de la fougueuse Sonita. Sa mère, elle, ne veut rien entendre à son beat insoumis, décidée à la vendre en Afghanistan…
Ne pas rester à sa place
Et Sonita disparaît… Panique de la réalisatrice, qui voit le sujet de son film se dérober. Le tournage peut s’arrêter, le film ne jamais exister ; Sonita a rejoint ce hors-champ qu’elle ne cesse de fuir, engloutie dans l’invisible des mariages forcés déshumanisants. C’est là que Sonita se double d’un enjeu qui questionne la posture documentaire. Que faire ? Intervenir ? Ghaem Maghami passe dans le champ – déjà invitée plus tôt par Sonita elle-même –, remplaçant la jeune fille pour prolonger l’incarnation de sa lutte. Elle est bientôt rejointe par le preneur de son. L’équipe du film s’interroge : doit-elle donner 2000 dollars à la mère pour garder Sonita six mois de plus en Iran ? Le filmeur doit-il s’immiscer dans le filmé, et changer le cours des choses ? La pratique documentaire doit-elle se restreindre à la factualité des événements ou s’élargir pour en combler les zones d’ombre et les manques ? La réalisatrice veut agir, quand un homme de l’équipe lui déconseille, l’incitant à rester neutre et simplement filmer. Si sa forme reste sans prétention formelle, les interrogations que soulève Sonita quant au geste filmique redoublent l’intérêt que suscite déjà ce film salutaire. Et la décision de la réalisatrice répond à la leçon de Sonita et coïncide en cela parfaitement avec son personnage : non, on ne reste pas forcément à sa place.
Dès la scène suivant son rachat par l’équipe, la jeune fille reprend possession de son image. Elle organise le décor de son clip pour sa chanson « Brides for sale », donne des instructions de cadrage, avant que le clip, en intégralité, ne lui redonne pleinement son corps, son visage, sa voix. Ghaem Maghami lui offre son clip rêvé, et transforme son propre film en un geste d’amour qui répond tant à l’ardeur de l’adolescente qu’à l’empathie du spectateur. Le clip rencontre ensuite un certain succès sur YouTube et offre à Sonita l’hirondelle – c’est le sens de son prénom – une échappatoire salvatrice. Il faut donc aller voir Sonita, parce qu’elles se sont battues pour la rendre visible.
Par Estelle Bayon, Critikat
www.critikat.com