Tontons flingueurs (Les)

France (1963)

Genre : Policier

Écriture cinématographique : Fiction

Archives CAC, Collège au cinéma 1995-1996

Synopsis

Ancien truand reconverti dans le matériel agricole, Fernand Naudin quitte Montauban à l’appel de Louis dit “ le Mexicain ”, un ami de longue date. Frappé d’une interdiction de séjour qui l’a exilé pendant quinze ans en Amérique centrale, Louis est revenu mourir sur le sol natal. Avant de trépasser, le Mexicain confie à Fernand la gestion de ses affaires et la garde de sa fille Patricia, qu’il a réussi à élever bourgeoisement, dans l’ignorance des activités paternelles. Un tripot, une distillerie clandestine et des maisons closes constituent en effet l’héritage que Louis lègue à sa fille et que Fernand s’apprête à diriger, à son tour, “ en bon père de famille ”.

Hélas ! À peine Fernand a-t-il pris les commandes du juteux trafic que des malveillants se mettent en travers de sa route. Pièges, embuscades, coups fourrés se succèdent pour l’empêcher d’honorer son serment à la mémoire du bon Louis. D’emblée, les soupçons de Fernand se portent sur les plus proches lieutenants du Mexicain, ceux qui ont tenu la boutique en son absence. Et parmi ces lieutenants, les Volfoni, deux frères à la morale douteuse, tiennent la corde au rang des suspects.

La fille de Louis, Patricia, s’avère être, pour Fernand, une autre source de soucis. Entichée d’un fils de bonne famille, Patricia mène grand train sous le regard bienveillant d’un ancien baroudeur, maître Folace, “ notaire ” de la famille. Dans la belle demeure de la banlieue chic, les fêtes se succèdent, au grand désespoir de Fernand.

Dieu merci, l’homme de Montauban a la main leste, la patience limitée, le sens du devoir et un amour de l’ordre, le sien. Quelques jours à peine lui suffiront donc pour faire rentrer les impayés, innocenter les Volfoni, punir les coupables, marier Patricia et confier les affaires de Louis au beau-père de la jeune fille, vice-Président du Fonds Monétaire International.

Comme le dit Fernand : “ On ne devrait jamais quitter Montauban ”.
Alors, il y retourne.

Thème : Comédie, policier, série noire.
Fernand Naudin, ancien truand reconverti dans le matériel agricole, recueille les dernières volontés de son vieil ami Louis dit “ le Mexicain ”, qui a vécu quinze ans en Amérique centrale. Louis confie à Fernand la gestion de ses affaires et la garde de sa fille Patricia, qui doit continuer à tout ignorer de ses activités : un tripot, une distillerie clandestine et des maisons closes. Pièges et coups fourrés se succèdent pour l’empêcher d’honorer son serment. Tandis que les soupçons de Fernand se portent sur les proches lieutenants du Mexicain, les frères Volfoni, Patricia s’entiche d’un fils de bonne famille et mène grand train. Mais quelques jours suffisent à Fernand pour faire rentrer les impayés, punir les coupables, marier Patricia et confier les affaires de Louis au beau-père de la jeune fille, vice-Président du Fonds Monétaire International.

Distribution

Fernand Naudin (Lino Ventura)

Ex-truand recasé dans le matériel agricole, Fernand Naudin en est venu, tout doucement, à ressembler à ces petits entrepreneurs de province, un peu bourrus, un peu paternalistes à l’égard de leurs employés. Comme il le dit lui-même : “ Voilà quinze ans que je vis à la campagne, que je me lève avec le soleil et que je me couche avec les poules ”. Mais, surtout, Fernand est un homme de principes. L’honneur, le sens de la famille, l’amitié, la parole donnée font partie de sa manière de vivre. Aussi, lorsque son ami de trente ans, Louis “ le Mexicain ”, le rappelle à Paris pour gérer ses affaires et assurer l’avenir de sa fille Patricia, Fernand ne peut refuser. Devenu “ Oncle Fernand ”, il prend son rôle très à cœur, surveille les devoirs de classe de la jeune fille, s’inquiète de ses relations, etc. En un mot, l’homme est intègre et soucieux d’assumer à la perfection la mission qui lui a été confiée. Confronté aux mauvais coups qu’il attribue à tort aux Volfoni, Fernand ne verse jamais dans une violence exagérée. Qu’on tente de l’assassiner, il se contentera, en retour, d’un “ bourre-pif ”. L’homme, on le voit, n’est pas foncièrement méchant et même si on commence à “ les lui briser menu ”, on voit bien qu’il prend plaisir à retrouver l’ambiance agitée de sa jeunesse.

Raoul Volfoni (Bernard Blier)

Flanqué d’un frère que le courage n’étouffe pas mais qui a plus de bon sens que lui, Raoul Volfoni est ce qu’il est convenu d’appeler une grande gueule. Dans son roman, Albert Simonin décrit le personnage en ces termes : “ Je l’avais devant moi, Raoul Savate, avec ses gros yeux brouillés de larmes, aussi ridicule et odieux que ces gamins précocement développés et bouffis qu’on voit parfois dans les cours de récréation des écoles, exerçant la tyrannie de leur masse sur les malingres, jusqu’à l’instant où un révolté les corrige. ” Mais qu’on ne s’y trompe pas, Raoul Volfoni est dangereux. C’est du moins ce qu’affirme Pascal, le garde du corps du Mexicain : “ Ils ont l’air de deux branques, mais j’irais pas jusqu’à m’y fier. ”
De fait, fou de rage que le Mexicain lui ait refusé sa succession au profit du “ gugusse de Montauban ” comme il l’appelle, Raoul Volfoni, qui dirige le secteur tripot de l’organisation, tente d’organiser la révolte des lieutenants. Doublé par Théo, le responsable de la distillerie clandestine, il ne verra jamais les coups arriver. De la part de Fernand, il aura droit à une série de bourre-pif, de la part de Théo à un beau séjour à l’hôpital. Mauvais, bête mais jamais pleutre, Raoul viendra chercher des explications jusque chez Fernand. Où il se retrouvera à beurrer des toasts avant de finir la soirée dans le même état que ses toasts, complètement beurré.

Maître Folace (Francis Blanche)

Dévoué corps et âme aux comptes du Mexicain, Maître Folace l’est tout autant à l’égard de Patricia. C’est pourtant avec satisfaction qu’il accueille la relève en la personne du nouveau tuteur, Fernand de Montauban. “ Vous allez connaître tout ce que j’ai connu, les visites aux directrices, les mots d’excuse, les billets de renvoi… ” Consciencieux, posé, Maître Folace, homme de chiffres et précepteur, cache néanmoins une nature et un passé agité que nous verrons peu à peu réapparaître au gré d’une mimique ou d’un dialogue. Ainsi apprend-on qu’il fut mercenaire, puis malfrat pendant l’Occupation. Son rôle de sage lui pèse quand les choses tournent mal et on le voit piaffer comme un jeune homme quand l’occasion d’en découdre se présente. Lorsque Fernand l’en empêche, son dépit est un dépit d’enfant. Son physique bonasse devient alors inquiétant et on se dit que, jadis, il ne faisait pas bon croiser sa route. Chez lui, le cynisme flirte parfois avec une violence refoulée que l’acteur Francis Blanche conduit avec des accents sadiques. Par exemple lorsqu’il hurle “ Touche pas au grisbi, salope ! ” à une jeune fille ivre découvrant la recette des tripots. Ou encore lorsque, Fernand venant de précipiter à l’eau le gardien de la péniche des Volfoni, il susurre cette phrase surréaliste : “ C’est curieux, chez les marins, ce besoin de faire des phrases. ”

Générique

Producteur d’origine : Société Nouvelle des Établissements Gaumont
Distributeur d’origine : Gaumont Distribution
Détenteur des droits actuel : Gaumont
Distributeur actuel : Gaumont
Réalisation : George Lautner
Scénario : Georges Lautner et Albert Simonin, d’après le roman d’Albert Simonin “ Grisbi or not grisbi ” (Gallimard, Série noire).
Dialogues : Michel Audiard
Ass.-réalisation : Claude Vital
Image : Maurice Fellous
Cameraman : Georges Pastier
Son : Antoine Archimbaud
Décors : Jean Mandaroux
Montage : Michelle David
Musique Michel Magne
Interprétation
Fernand Naudin / Lino Ventura
Raoul Volfoni / Bernard Blier
Maître Folace / Francis Blanche
Paul Volfoni / Jean Lefebvre
Antoine Delafoy / Claude Rich
Patricia / Sabine Sinfen
Louis “ le mexicain ” / Jacques Dumesnil
Théo / Horst Franck
Pascal / Venantino Venantini
Jean / Robert Dalban
Madame Mado / Dominique Davray
Tomate / Charles Regnier
Bastien / Mac Roonay
Freddy / Henri Cogan
Adolphe Delafoy / Pierre Bertin
Vincent / Georges Nogaroff
Le tailleur / Philippe Castelli
Henri / Paul Mercey
Une fille / Anne Marescot
et Yves Arcanel, Charles Lavialle.
avec l’apparition de Paul Meurisse

Film Noir et blanc
Format 1/1,66
Son Stéréo Dolby
Durée 1h48
Distribution Gaumont
Visa n° 27 393
Sortie en France 29 novembre 1963

Autour du film

Un film annonciateur

Du roman d’Albert Simonin, “ Grisbi or not Grisbi ”, il ne reste, dans Les Tontons flingueurs, que le point de départ. Cette amorce, il est vrai riche en puissance des mille et une péripéties du vaudeville – un truand cache à sa fille ses véritables activités – permettra de donner le ton donc la nature de l’œuvre cinématographique : une parodie de film noir. Il n’empêche. Les Tontons flingueurs, sorti en salle en 1963, est plus riche de sens qu’une simple parodie et qu’un simple film noir. Trente-deux ans après cette sortie, on est bien obligé d’admettre que le film de Lautner masque d’autres ressorts. Comme dirait La Fontaine : “ Un trésor est caché dedans ”.

Il y en a, tel Jean d’Ormesson, pour qui les Événements de Mai 68 ne furent qu’un spasme printanier. Pour d’autres, et ils sont plus nombreux, ce fut un véritable conflit de générations, une mutation de la société française à l’initiative de sa jeunesse, soucieuse de contredire à la fois l’autorité de l’État et la toute-puissance du chef de famille. Le Général de Gaulle, à la fois père (de la nation) et patron (de l’État) y laissa, quelques mois plus tard, sa place. Lui qui avait incarné la France, devait reculer devant l’évolution des us et des mœurs, de la pilule contraceptive, du divorce et du Rock’n Roll. Entre temps, il faut le dire, la guerre d’Algérie avait mutilé les grands frères et l’influence de l’Amérique, à défaut d’avoir pu être politiquement présente, se faisait culturellement pressante.
Or, que nous disent les Tontons, en cette année 1963 ? Ils nous disent un petit monde, celui des truands, représenté par un quintet de quinquagénaires, dont les traits sont, à s’y méprendre, ceux des bourgeois de l’époque. Qu’ils s’appellent Naudin, Volfoni ou Folace, ces hommes appartiennent au passé dont on voudra, quelques années plus tard, se débarrasser. Le passé de la guerre 39-45 à la suite de laquelle peu de comptes seront réglés ; ainsi, Fernand, ancien Résistant, accepte-t-il de travailler en bonne intelligence avec Théo l’Allemand, ancien nazi. Le passé des guerres coloniales évoquées larme à l’œil par Volfoni et Fernand. Le passé d’un monde où l’argent fait loi, qu’on l’appelle pudiquement rente, bénéfice ou grisbi. Le monde que la jeunesse de mai 68 voulait mettre à terre était également celui de l’inégalité salariale et sociale, de la compromission politico-industrielle, de la suprématie des cols blancs. La morale du film de Lautner, sur ce point, est édifiante. À qui Fernand confie-t-il les affaires de Louis, tripot, distillerie clandestine et bordels ? Au vice-président du Fonds Monétaire International, rien de moins. Truands et financiers unis par l’odeur de l’argent, un pour tous, tous pourris. Malgré tout, pendant que Papa faisait ses petites affaires, les enfants devaient se laver les mains avant de passer à table. Et c’est précisément ce qu’exige Fernand de Patricia. Dans le même fil, qu’elle se marie avec ce godelureau d’Antoine Delafoy n’est envisageable qu’après vérification du pedigree du jeune homme. Attitude typiquement bourgeoise.

Pouvait-on, en ce début des sixties où la censure exerçait en permanence ses ciseaux, contester ouvertement l’ordre établi ? Non, bien sûr. Mais au rire et à la dérision, tout est permis, même la critique sociale. Qu’on accorde au moins à Albert Simonin, Michel Audiard, Georges Lautner, Bernard Blier, Lino Ventura et Francis Blanche un mérite. Celui d’avoir dupé leur époque. Le seul énoncé de leurs noms, aujourd’hui, suffit à nous en convaincre.
(André Grall).

Un certain état d’esprit français

“ Michel Audiard a le génie du dialogue à gros effets. Un peu vulgaire, un peu bonhomme, avec des soupçons d’insolence, et une goujaterie amicale, il joue les Marivaux de bistrot le plus naturellement du monde. Que tout un public se reconnaisse dans ce naturel, et il s’y reconnaît, prouve simplement qu’Audiard représente certainement beaucoup mieux un certain état d’esprit français qu’un Resnais, qu’un Louis Malle. Allez dans un bistrot, vous rencontrerez des Audiard, mais il faudra vous lever tôt pour rencontrer des Resnais. ”
Pierre Marcabru, in “ Arts ”, 4 décembre 1963.

Une parodie poussée au paroxysme

“ Certes la parodie est drôle, mais elle est poussée si loin qu’il devient impossible de croire aux événements dramatiques – or ceux-ci occupent une place importante : bagarres, crimes, mitraillades en série. Le “suspense” a disparu, d’où quelques longueurs et quelques temps morts dans la narration, ceux, précisément, où il n’y a pas de cadavres. ”
Michel Mohrt, in “ Carrefour ”, 4 décembre 1963.

Un conflit de générations ?
“ En un mot, avec un sujet en or, Georges Lautner a préféré suivre docilement les goûts d’une certaine clientèle.
Cette clientèle a cinquante ans de moyenne d’âge. Elle est repue, blasée, mais elle forme le gros des entrées dans les salles des Champs-Élysées. Cette clientèle en a pour son argent, et donne aux producteurs la possibilité de faire proliférer d’autres Tontons flingueurs. Si les jeunes gens de vingt à trente ans ne se ruent pas vers les salles qui projettent encore Le Feu Follet, Le Monde d’Apu, En compagnie de Max Linder, et bien entendu Muriel, alors ce sera irrémédiablement le triomphe des Tontons flingueurs. ”
Henry Chapier, in “ Combat ”, 28 novembre 1963

Pistes de travail

Argot et vulgarité, hier et aujourd’hui

  • Dans le film aussi bien que dans le livre dont il est tiré, les personnages s’expriment souvent en argot, sorte de langue vernaculaire des protagonistes. Or les dialogues ne sont jamais grossiers. Depuis 1963, date de réalisation de ce film, le langage courant a évolué. Réfléchir sur la notion de vulgarité : qu’est-ce qui, dans le langage usuel actuel, relève de l’argot, ou du vulgaire ?
  • À partir des mots ou expressions d’argots utilisés dans le film, retrouver les formes “ correctes ” d’expression. On peut également proposer un texte court en “ bon français ” et le faire traduire en argot (article de journal, par exemple).

    Petit vocabulaire :
    L’argent : Le pognon, l’oseille, le carbure, le grisbi.
    Avoir des ennuis : Être tombé dans la béchamel, avoir une embrouille.
    Avoir peur : Avoir les foies.
    Faire des kilomètres (en voiture) : Tailler des bornes.
    C’est vrai ? : C’est pas des charres ?
    Dégainer son arme : Défourailler.
    Mourir : Clamser, caner, décambuter.
    Régler la consultation du médecin : Faire tomber cent sacs au toubib.
    Le troisième âge : Les vioques.
    Le visage : La tronche.
    Un caïd : Un cador.
    Un honnête citoyen : Un cave.
    S’en aller : Décarrer.
    Une jeune fille : Une mouflette, une gonzesse.
    Le gérant du magasin : Le tôlier.
    Les amis : Les potes.
    Une voiture : Une charrette.
    Ruiner : Mettre sur la paille.
    La prostitution : Le tapin, le trottoir.
    À coups de pieds : À coups de lattes.
    Un coup de poing dans la figure : Un bourre-pif.
    Payer : Casquer.
    Séduire une fille : Emballer.
    Pleurer : Chialer.
    Tuer : Flinguer, buter.
    Une heure : Une plombe.
    Un million : Une brique.
    De l’argent : Des tunes.
    Avoir une certaine influence sur quelqu’un : L’avoir à sa pogne.

  • À travers l’itinéraire personnel des personnages des Tontons flingueurs, resituer quelques éléments historiques qui ont marqué cette époque d’après-guerre (épuration, réconciliation nationale, Indochine, Ve République).
  • Les revenus des “ Tontons ” proviennent essentiellement du jeu clandestin, du trafic d’alcool, de la prostitution, en quelque sorte d’un certain “ artisanat ”. Au travers de la lecture des journaux, des feuilletons télévisés ou des films actuels, essayer de trouver quels sont les secteurs d’activité dans lesquels se déploie le grand banditisme aujourd’hui.
  • Du générique de début (thème “ yéyé ” traité “ jazzy ”, atmosphère des films noirs), de la sonate de Corelli qu’écoutent Antoine et Patricia dans la pénombre, à la musique concrète des compositions d’Antoine jusqu’au thème du début repris par l’orgue de l’église en guise de musique de mariage, suivre et interpréter les diverses “ connotations ”et atmosphères qu’elles suggèrent. À quelles époques elles renvoient-elles, en fonction des personnages ?

    Fiche mise à jour le 5 octobre 2004

  • Expériences

    Film noir français et parodie

    La “ Série noire ” – terme typiquement français – est lancée par les Éditions Gallimard sous la direction de Marcel Duhamel en 1945. Le lecteur français fait la connaissance de Peter Cheney, James Hadley Chase et Raymond Chandler, et bientôt Dashiel Hammett. Puis plus tard, dans l’éphémère “ Série blême ”, William Irish et David Goodis. Dans le même temps, le public de cinéma découvre Humphrey Bogart et les films noirs américains interdits sous l’Occupation. Pourtant, le cinéma français n’avait pas attendu l’exemple américain pour apporter au cinéma sa dose de noirceur, policière ou pas. Certes, le cinéma muet demeure attaché au “ roman feuilleton ”, lointainement issu du XIXe siècle dont le modèle reste les séries de Louis Feuillade, en particulier Fantomas, sans négliger les nombreuses séries des “ serials ” de Nick Carter dues le plus souvent à Victorin Jasset. Si les enquêtes de Rouletabille (héros des romans de Gaston Leroux, Le Mystère de la chambre jaune, Le Parfum de la femme en noir) demeurent populaires dans les années 30, les premières adaptations de Simenon avec son commissaire Maigret (Le Chien jaune, de Maurice Tarride, 1932 ; La Nuit du carrefour, Jean Renoir, 1932 ; La Tête d’un homme, de Julien Duvivier, 1934) s’approchent de l’univers du roman noir par une atmosphère, souvent reprise des premiers films de gangsters américains, des Nuits de Chicago (Underworld, 1927) de Josef von Sternberg, à Scarface (1932), en passant par Les Carrefours de la ville (City Streets, 1931).

    On pourrait classer dans cette catégorie, même si le prétexte est très peu policier, les films de Marcel Carné, de Jenny (1936) et Quai des brumes (1938) au Jour se lève (1939). Il en va de même des films de Julien Duvivier, où l’on retrouve la figure tragique de Jean Gabin : La Bandera (1935) ou Pépé le Moko (1937)…

    En 1934, Maurice Tourneur, qui a travaillé aux États-Unis, signe Justin de Marseille, un film qui soutient la comparaison avec de nombreux films américains du genre, un des premiers à montrer le “ milieu ” qui deviendra le cliché du policier des années 50. Comme plus tard dans Borsalino, deux gangs s’affrontent au cœur de Marseille. Surtout, le film annonce la série des polars parodiques que Les Tontons flingueurs relancera dans ces mêmes années 50. Le scénariste, Carlo Rio, affirme avoir “ conçu un film tout ensemble documentaire et parodique sur le milieu. ”

    Les années 40 et l’Occupation voient se développer des films policiers adaptés de S.A. Steeman, Pierre Véry et Georges Simenon, mais le temps n’est pas propice à une trop grande noirceur, même si L’Assassin habite au 21 (1942), premier long métrage de Henri-Georges Clouzot, d’après Steeman, présente un univers peu réjouissant, moins grinçant tout de même que ceux à venir du Corbeau (1943) et des Diaboliques (1954).

    Le noir le plus profond réapparaît après la guerre, avec Quai des orfèvres (Clouzot, 1947), Panique (Duvivier, 1946, première adpatation des Fiançailles de Monsieur Hire, de Simenon) ou L’Impasse des Deux-Anges (M. Tourneur, 1948). Indifférents aux auteurs français, comme Léo Malet – et son héros Nestor Burma – chichement adapté, les cinéastes français transplantent la série noire populaire américaine avec le héros des romans de Peter Cheyney, Lemmy Caution, interprété par Eddie Constantine, sous la direction de Bernard Borderie (La Môme Vert-de-Gris, 1952) ou de l’Américain chassé par le maccarthysme : John Berry (Je suis un sentimental, 1954 ; Ça va barder, 1955). Mais il faut attendre l’adaptation des premiers vrais romans noirs français, mêlant milieu, humour et argot, pour que le film noir français trouve pour quelques années sa forme, ses sujets et son franc succès : Touchez pas au grisbi (1954) de Jacques Becker, d’après Albert Simonin, Du riffifi chez les hommes (1955) d’un autre exilé politique américain, Jules Dassin, d’après Auguste Lebreton.

    Les années 60 voient se mêler recettes éprouvées (les Maigret avec Gabin) et une plus grande prise de distance avec le genre, accentuant l’humour déjà souvent parodique insufflé par Simonin ou Lebreton. C’est sur le refus de glorifier le milieu et ses truands minables (comme les espions de la série des Monocles) que se retrouvent Georges Lautner et Michel Audiard. “ Rien ne me révolte davantage que la littérature glorifiant les truands ! ”, affirmait alors le metteur en scène. Et, plus récemment : “ Si j’ai fait du policier comique, c’est que je n’avais pas d’histoires à raconter avec sincérité et réalisme. ”

    Outils

    Bibliographie

    Des tontons flingueurs et des Barbouzes, J.-L.Denat et P. Guigamp, Ed. Le Terrain Vague, 1994.

    Grisbi or not grisbi, Albert Simonin, Ed. Gallimard, 1973.
    Touchez pas au grisbi, Albert Simonin, Ed. Gallimard, 1989.
    Du rififi chez les hommes, Auguste Le Breton, Ed. Gallimard, 1992.
    Le clan des siciliens, Auguste Le Breton, Ed. Plon, 1967.
    Razzia sur la schnouff, Aauguste Le Breton, 1976.

    Argotez, argotez, il en restera toujours quelque chose, Auguste Le Breton, Ed. Carrère, 1986.
    La Méthode à Mimile, l'argot sans peine, Alphonse Boudard, Ed. Pré-aux-clercs, 1990.

    Vidéographie

    Les tontons flingueurs, Georges Lautner
    Les Barbouzes, Georges Lautner
    Le monocle rit jaune, Georges Lautner
    Justin de Marseille, Maurice Tourneur
    Touchez pas au grisbi, Jacques Becker (droits réservés au cadre familial)