Synopsis
Dans les années 70, à Paris, une amitié se noue, pour la vie, entre quatre adolescentes. Marion, Emilie, Stella et Inès ont l’âge des derniers jeux encore un peu enfantins : ensemble, elles s’amusent à faire comme si elles tournaient un film, comme si elles passaient à la télévision… Elles font les folles, parfois jusqu’à se faire mal en se donnant des coups, parfois jusqu’à pleurer. Ensemble aussi, elles grandissent dans un monde où les adultes et même les parents n’entrent pas, loins d’elles de toute façon. Mais un jour, Marion, Inès, Emilie et Stella veulent soudain ouvrir leur monde… pour y inviter des garçons. Ils passent à côté d’elles sans les remarquer, alors elles inventent des sortilèges pour gagner leur amour. Mais elles restent seules, et se jurent, entre elles, toute l’amitié du monde, pour toujours.
Trois ans plus tard, Marion, Stella et Inès partent en vacances en Italie. Cet été-là, l’amour cesse d’être un mirage : Inès » le fait » pour la première fois, et Emilie aussi, restée à Paris. Mais ces rencontres sont des fiascos : les garçons sont encore plus décevants de près que de loin. Alors, Marion, Emilie et Inès retournent à leur vie de lycéennes, et préparent le bac en oubliant comment elles s’amusaient avant. Stella voudrait que l’insouciance dure encore, mais elle finira elle aussi par vouloir le bac d’abord.
Quelques années plus tard, chacune des filles a pris son chemin : Marion étudie la philosophie, Stella fait de la radio et Emilie est actrice figurante au cinéma. La banalité de la vie est là, tout près. Mais Inès est hospitalisée, et frôle la mort. Après cette grande peur, c’est la joie de revivre qu’il faut fêter. Et même si les garçons sont définitivement des fantoches, la bande des quatre filles peut recommencer à s’amuser.
Générique
Réalisation : Noémie Lvovsky
Scénario : Noémie Lvovsky
Adaptation et dialogues : Florence Seyvos et Noémie Lvovsky
Image : Agnès Godard et Bertrand Chatry
Décors : Yves Fournier
Musique : Bruno Fontaine
Costumes : Dorothée Guiraud
Son : Frédéric Ullmann, François Musy et Cyril Hotz
Montage : Michel Klochendler
Interprétation :
Emilie / Magali Woch
Inès / Ingrid Molinier
Stella / Julie-Marie Parmentier
Marion / Camille Rousselet
La mère d’Emilie / Valéria Bruni-Tedeschi
Le père d’Emilie / Jean-Luc Bideau
La mère d’Inès / Marina Tomé
Le père d’Inès / Luis Rego
Le professeur de théâtre / Jean-Quentin Chatelain
La professeur de philosophie / Emmanuelle Devos
La professeur de piano / Nelly Borgeaud
Production : Arena Films, Bruno Pésery
Durée : 1h 51mn
Date de sortie à Paris : 18 août 1999
Autour du film
Inspiré par les souvenirs de Noémie Lvovsky, qui vécut à l’adolescence une grande amitié avec trois filles de son âge, La Vie ne me fait pas peur est un film qui mêle, de façon étonnante, l’intime et le spectaculaire. Plus encore, Noémie Lvovsky nous montre que ces deux registres, d’ordinaire opposés, sont inextricables et s’exacerbent mutuellement. Ainsi, dans La Vie ne me fait pas peur, les scènes les plus marquantes visuellement sont aussi celles qui nous entraînent dans les plus grands moments d’intimité entre les quatre héroïnes du film : la “ possession ” devant les flammes de la cheminée, ou le serment des doigts ensanglantés. Lorsque Emilie se donne en spectacle en chantant en play-back une chanson de Jacques Higelin, ce show est aussi l’expression d’une émotion tellement intime qu’elle en devient indicible. Cette étrange association de tonalités pose, par-delà son incontestable réussite, la question de la place du spectateur dans ce film. Tout se passe en effet comme si Noémie Lvovsky attirait notre regard sur des scènes qui l’excluent, des moments que les quatre filles vivent sans partage. Cette ambivalence est d’ailleurs directement mise en scène dès le début du film, lorsque les deux petites filles (Emilie et Stella), barbouillées comme des sauvages, se tournent avec des cris et des regards menaçants vers la caméra : elles semblent vouloir chasser cet œil qui est de trop, et nous avec. L’effet, radical, est celui à la fois d’une fascination et d’une déstabilisation sur lesquelles Noémie Lvovsky a construit tout son film.
Dans ce déferlement d’images de toutes les couleurs, on cherche d’abord, par paresse, la ligne d’un récit. Mais le film conducteur, c’est ce » quelque chose » qui, en chacune des quatre copines, ne changera jamais. C’est leur amitiés fusionnelle, dont on peut rêver qu’elle persistera par-delà les séparations de l’âge adulte. Pour le reste, le film virevolte en liberté, brûlant les étapes, occultant des saisons, des années. […] Ce que l’on apprend de ces filles au point de les connaître intimement, aucune voix off, aucun dialogue didactique ne nous l’assène. La réalisatrice procède par bribes nerveuses, physiques, denses comme autant de concentrés de vie et de cinéma. […] La forme fragmentée, si prisée par le jeune cinéma français, trouve ici sa pleine justification : à hauteur d’adolescente, il n’y a que des vertiges et des gouffres, des états successifs, disjoints. Dès son premier long métrage, Oublie-moi, Noémie Lvovsky savait exprimer le sentiment impérieux de son héroïne que toute sa vie se jouait à chaque instant. Elle récidive, avec encore plus d’évidence : chaque expérience est cruciale pour les filles.
Louis Guichard, Télérama n°2588, 18 août 1999
Pistes de travail
L’écriture des dialogues est un des partis pris les plus marqués de La Vie ne me fait pas peur. Le refus des “ belles répliques ”, des bons mots, des phrases qui font trop clairement sens a conduit Noémie Lvovsky et sa coscénariste, Florence Seyvos, à développer une expression sensitive, émotive : différente d’un dialogue naturaliste, elle exclut l’improvisation au moment du tournage et marque un style soutenu, recherché même s’il n’est pas littéraire. Le repérage de ces effets d’écriture est révélateur, tant du désir de rechercher un rythme (la pratique de la répétition, comme lorsque le professeur lit plus d’une cinquantaine de fois la phrase écrite dans le cahier de Marion : “ Jérôme je t’aime ”), que de la volonté d’évoquer l’adolescence à travers son rapport au langage, décalé. L’aveu, la confession, l’épanchement sont rares, comme si les mots ne pouvaient transmettre un sentiment intime, que la pudeur masque. Mais ces mots peuvent soudain devenir sacrés, en dehors de toute prise en compte de leur signification directe, lorsqu’ils sont dits, par exemple, par un garçon qui fascine Marion (dans la scène où elle enregistre avec ses copines la voix de Jérôme). Il est important de mettre en évidence les repères de ce langage des affects qui est l’enjeu de nombreuses scènes du film.
Mise à jour : 16-06-04
Expériences
Deux films en dix ans : le rythme de travail de Noémie Lvovsky doit être pris en compte, non comme un parcours semé d’épreuves (plusieurs producteurs ont tour à tour donné à Noémie Lvovsky les moyens de ses ambitions, dès sa sortie de la Femis), mais comme une méthode de travail qui consisterait, précisément, à chercher l’épreuve. L’épreuve du temps, donc, et l’épreuve de force à laquelle aboutit le fait de tourner jusqu’à une vingtaine de prises par plan. L’épreuve physique, à travers la participation des corps (frappante dans Oublie-moi comme dans La Vie ne me fait pas peur), et finalement l’épreuve de vérité. Pour cette exigence d’authenticité dans une peinture des sentiments affranchie des clichés de la psychologie, Noémie Lvovsky a parfois eu le privilège d’être comparée à Jean Eustache ou à Philippe Garrel, qui lui confia l’écriture des dialogues des personnages féminins de son film Le Cœur fantôme (1995). Philippe Garrel a d’ailleurs écrit sur Oublie-moi un beau texte, où on peut lire : “ C’est un film de femme, ça ne risque pas de s’oublier. C’est un portrait de femme, sans la censure psychanalytique qu’on a l’habitude de faire sur un tel tableau. C’est un film à vif, tranchant comme une lame de rasoir ” (Cahiers du cinéma, n° 488, février 1995). Des mots qui pourraient, tout aussi bien, souligner certaines qualités marquantes de La Vie ne me fait pas peur.
L’adolescence a suscité à la fois de nombreuses œuvres de fiction (en littérature comme au cinéma) et une somme impressionnante d’études sociologiques, psychologiques ou psychanalytiques. Attirons l’attention sur La Cause des adolescents, le dernier ouvrage écrit par Françoise Dolto*. Elle y développe une réflexion qui, à plusieurs reprises, peut éclairer le film de Noémie Lvovsky. Elle y fait, par exemple, le lien, pour les filles, entre maturité et maternité, ce qui renvoie directement à la dernière image d’Emilie dans le film (fausse maternité, fausse maturité). Plus généralement, Françoise Dolto insiste sur l’importance, chez l’adolescent, de l’amitié et du rêve : “ Toute son énergie s’en va vers le groupe des copains de l’école et vers le monde imaginaire. ” Là aussi, le parallèle est facile à établir avec La Vie ne me fait pas peur. La structure narrative du film, elliptique et qui ne distingue que très rarement les différentes époques de l’action, peut également trouver un écho dans ce commentaire sur le rapport confus que l’adolescent entretient avec le temps : “ L’adolescent vivrait en fait ce que Camus appelait le « vif décisif ». Il doit sans cesse recommencer à tenter de vivre comme si cette période ne devait jamais finir. ” Ce qui entraîne Françoise Dolto à reprendre la formule de Jean-Jacques Rousseau dans L’Emile, roman d’apprentissage où l’adolescence était désignée comme une “ seconde naissance ”. L’image des doigts ensanglantés des héroïnes de La Vie ne me fait pas peur n’y fait-elle pas écho ?
*Françoise Dolto, La Cause des adolescents, Robert Laffont, Paris, 1988 ou Pocket n° 4225.
Auteur du dossier : Frédéric Strauss
Outils
Bibliographie
Les enfants de la liberté, Claude-Marie Trémois, Seiul, 1998.
Le jeune cinéma français, ouvrage collectif, coll. 128, Ed. Nathan Université, 1998.
Dictionnaire du jeune cinéma français, Christophe Chauville (dir.), Ed. Scope, 1998.