Synopsis
En 1943, fils d’un tailleur juif de Paris, le petit Claude se voit reprocher d’attirer l’attention de la Gestapo sur sa famille, juive, qui vit dans la crainte de la déportation, en volant au nez et à la barbe de l’occupant un tank dans un magasin de jouets. Il est envoyé chez des retraités de la région de Grenoble mais personne ne doit savoir là-bas qu’il est juif. Il est accueilli par un vieux couple sans enfants. L’homme, un ancien de 14, admirateur de Pétain, antisémite, mais brave, soignant son chien et refusant de manger ses lapins, se prend d’amour et de tendresse pour le petit Juif qui écoute si bien ce vieux « con », aussi gamin que lui. Copains, complices, ils savent presque tout l’un de l’autre et l’enfant quitte le couple dans un déchirement commun : le « Pépé » ne saura jamais que l’enfant ne s’appelait pas Longuet mais Langman…
Distribution
Le père et la mère
Tandis que le père tente de rester maître de la situation et de tenir son rôle de chef de famille, la mère s’efforce de donner à son fils une image agréable de lui-même.
L’enfant
L’attitude de ses parents lui procure une profonde confiance. S’il reste encore « bébé » avec eux, avec le grand-père, il devient ouvert, amusé, malicieux. Capable de garder pour lui ce qu’il estime ne pas devoir être découvert par les autres, il devient homme.
Le Pépé
« Encore une que les boches n’auront pas », dit-il à chaque bouteille de vin qu’il boit. Ne pas se faire déposséder, telle est sa philosophie de la vie. Un ancien acte d’héroïsme (guerre de 14) suffit à justifier son existence.
Pétainiste et antisémite, sans qu’il ait conscience de ce que cela peut induire, il a un profond besoin d’être aimé, qui donne confiance à l’enfant. Il joue au père, mais il est surtout une mère pour l’enfant. Une mère non possessive, presque idéale — et par ses confidences, il expose l’enfant à la complexité du monde qui s’ouvre à lui.
Mémé
Elle pleure devant le portrait du Maréchal qu’il faut cacher, elle mange les lapins chéris de son mari. Elle veut protéger l’enfant des « bêtises » du Pépé, mais elle confond bêtises et complicité.
Leur fils
Il est du côté de la Résistance par sens de la survie. Ce sera, par ailleurs, le personnage le plus érotisé du film.
Maxime
Le voisin : ni collaborateur, ni résistant — juste profiteur.
L’institutrice
Elle tond les écoliers à cause des poux ou de leurs bêtises, mais après leur avoir caressé les cheveux, et leur fait chanter « Maréchal, nous voilà ». Névrosée, elle est l’agent, le bouffon de la loi, dérisoirement sadique.
La fille de Pépé
Bourgeoise généreuse, elle sauve la famille juive.
Kinou
Le chien qui permet au spectateur de comprendre que, contrairement à lui, l’enfant n’est heureusement pas sans défense.
Générique
Réalisateur Claude Berri
Scénario Claude Berri
Décors Maurice Petri, Georges Lévy
Image Jean Penzer
Son Jean Labussière, Julien Courtellier
Montage Sophie Coussein, Denise Charvein
Musique Georges Delerue
Interprétation Michel Simon (Pépé)
Alain Cohen (Claude, l’enfant)
Luce Fabiole (Mémé)
Roger Carel (Victor)
Paul Préboist (Maxime)
Zorica Lozic (la mère)
Jacqueline Rouillard (l’institutrice)
Aline Bertrand (Raymonde)
Sylvine Delannoy (Suzanne)
Et Marco Perrin, Élisabeth Rey, Denise Perron, Didier Perret, les enfants de Biviers et Saint-Vincent-de-Mercuze… et le chien Kinou.
Production Valoria Film, PAC, Renn Productions.
Format 1/1,66, 35mm, noir et blanc
Durée 1h30
N° de visa 32 286
Sortie en France 8 mars 1967
Distributeur AMLF
Autour du film
Claude Berri raconte son enfance, une enfance à la fois particulière et universelle. La première force du Vieil homme et l’enfant vient de ce que si le film ne se passait pas dans ces années noires et si le jeune Claude Longuet ne se nommait pas en fait Langman, il conserverait une grande part de sa séduction : à neuf ans, l’enfant découvre la campagne et la nature, la découverte — lapins, vaches, cochons, poules — et l’amour — le chien Kinou — des animaux, l’ouverture sur les premiers émois amoureux et sexuels, le plaisir de vivre dans un monde protégé que l’on croit encore éternel, l’amitié entre un vieil homme sans enfant et un garçon provisoirement délaissé, tout cela suffirait à un film charmant mais un peu mièvre.
L’enfance de Claude Berri est particulière, puisque c’est celle d’un enfant juif durant l’Occupation. S’il se raconte, il évite le fétichisme souvent limitatif et desséchant de l’exactitude autobiographique : « L’homme chez qui je me trouvais est très différent du personnage incarné par Michel Simon dans le film… Je n’ai pas utilisé la maison où j’avais séjourné… Elle m’a déçu. C’est une autre que j’ai choisie, qui se trouvait plus proche de mes souvenirs ». Ces souvenirs ne valent pas par eux-mêmes mais comme révélateurs d’une situation. Encore que Claude Berri ne cherche pas à donner une vision historique et générale de l’Occupation, du problème de la Résistance et de la collaboration ou à traiter une question de cours sur l’antisémitisme. Il se contente de mettre en relation son vieux pétainiste et son enfant juif. Mais il évite aussi les clichés inhérents à la situation. C’est surtout le vieil homme qui se comporte comme un gamin, tandis que l’enfant, par les yeux duquel le spectateur voit la situation, est d’une gravité parfaitement conforme à son âge. Ce que le film pouvait avoir de douteux — rendre aimable un personnage pétainiste et antisémite lorsque l’on sait ce qu’il en fut des rafles d’enfants juifs et des camps d’extermination — est déjà en partie détourné : le regard du jeune Claude est aimable mais sans complaisance à l’égard du pépé et surtout de ses propos sur l’odeur des juifs, leurs pieds-plats, etc. Mais l’interprétation de Michel Simon donne au personnage une distance — une distanciation brechtienne ? — Imprévue. Le caractère excessif du jeu de l’acteur renvoie ses propos antisémites au niveau de la rodomontade. D’autant que, pour l’anecdote, l’acteur a donné sur disque une merveilleuse lecture du début — entre autres — du Voyage au bout de la nuit. On imagine ce qu’il aurait pu donner dans la lecture des Beaux draps (par exemple, entre autres pamphlets antisémites non réédités), mais il ne l’a pas fait et sans doute pas sans raison ! Devenant un personnage théâtral, il perd de sa substance et de sa nocivité. Paradoxe et habileté d’un film et d’un cinéaste qu’on aimerait voir plus souvent s’exprimer sur ce registre…
(Joël Magny)
Le film des Français de la majorité…
« Depuis vingt ans j’attendais le film réel de la France réelle de l’occupation réelle, le film des Français de la majorité, c’est-à-dire de ceux qui ne se sont frottés ni à la collaboration ni à la Résistance, ceux qui n’ont rien fait, ni en bien ni en mal, ceux qui ont attendu en survivant, comme les personnages de Beckett. À comparer notre hexagone à un jeu d’échecs, le cinéma nous donnait toujours le point de vue de la Tour ou du Fou, jamais celui des pions… Il y avait plusieurs façons de conduire le film, il pouvait devenir plaintif à la De Sica, démonstratif à la Cayatte, pseudo-poétique à la Bourguignon – dans les trois cas, c’eût été odieux – au lieu de quoi il est devenu vivant et rigolard, filmé dans un esprit dégagé d’apriorismes, le film d’une intelligence libre, constamment méfiant à l’égard de tous les humanises, c’est-à-dire un film « ab-humaniste », comme l’aurait déclaré Jacques Audiberti qui nous manque chaque jour davantage… Si l’on rend un plaisir intense en regardant ce film, c’est qu’il nous mène de surprise en surprise, nous ne pouvons jamais anticiper la scène à venir et, lorsqu’elle arrive, nous l’approuvons et la reconnaissons comme vraie tout en nous nous émerveillant de la folie qu’elle recèle. Observons à ce propos que les films qui ne brassent que du mensonge, c’est-à-dire des personnages exceptionnels dans des situations exceptionnelles, sont finalement raisonnables et ennuyeux alors que ceux qui partent à la conquête de la vérité : personnages vrais dans des situations vraies – nous donnent une sensation de folie et cela se vérifie de Vigo à Berri en passant par Guitry et Renoir. »
François Truffaut, in Le Nouvel observateur, 8 mars 1967.
On songe à Jules Renard
« En marge du thème principal de son récit, Claude Berri a brossé un tableau vivant et pittoresque d’un coin de campagne française sous l’Occupation. La justesse de l’observation fait penser à Jules Renard. Quant au style, s’il rappelle par moments Jean Renoir (à qui une séquence lumineuse et paillarde est visiblement dédiée), il appartient au cinéma d’aujourd’hui par la vivacité des ellipses et les effets tirés d’un montage très élaboré. »
Jean de Baroncelli, in Le Monde, 15 mars 1967.
Pistes de travail
Le film est construit par « paquets » de séquences, d’où une certaine indifférence du spectateur pour une intrigue, au sens ordinaire du terme. Les images fonctionnent en « échos » donnant ainsi une vision harmonique et non une attente de solution (l’enfant au lit avec ses parents, puis avec Michel Simon ; courses autour de la table ; enfants tondus et femmes tondues ; etc.)
Définir tous les rôles que Michel Simon tient à l’égard de l’enfant. Comment celui-ci évolue-t-il à ce contact supra-parental, passant de l’état de gamin à celui de petit homme ?
Le petit Claude est le seul personnage du film à « accepter » l’antisémitisme du Pépé, alors qu’il est lui-même juif. Voir comment ce pouvoir secret du gosse sur le vieux est plus qu’un bonheur : une nécessité — nécessité de rendre le vieil antisémite sympathique, mettant le spectateur du seul côté du gosse.
Chercher de quel ordre est l’antisémitisme de Pépé dans le film. Il n’y a chez lui ni conception globale de ce que pourrait être une race juive opposée à la race aryenne, ni idée de génocide ou de mettre en œuvre une quelconque « solution finale », mais un esprit râleur et une volonté de caractériser les juifs par quelques éléments physiques. Cet antisémitisme ordinaire n’est il tout de même pas dangereux dans certaines circonstances historiques ? Comment l’antisémitisme de Pépé est-il ridiculisé ?
Comment l’individu et l’Histoire s’éclairent mutuellement. Comment il est plus intéressant de parler d’un antisémite à visage humain que de faire une leçon de choses. Cinéma humaniste.
L’étudier à plusieurs niveaux :
– chargé de l’Histoire (situation donnée par la radio)
– chargé de créer l’atmosphère (dans la solitude du grenier, en famille avec sa charge conflictuelle)
– chargé du charme : la voix de Michel Simon.
Les animaux — oies, cochons, poules, lapins… — servent d’abord de lien dans la découverte de la nature et du monde rural par le citadin qu’est Claude. Pépé, par son physique, ses manières, son refus de manger ses lapins, fait un peu partie de ce monde animal. Étudier le rôle du chien Kinou. Il suit d’abord symboliquement le même parcours que l’image de Pétain. Il sert aussi à fixer les liens entre le vieil homme et l’enfant. Il est le substitut de l’enfant que Pépé n’a pas eu, traité comme un humain. Le fait que Claude accepte les relations — étranges aux yeux de nombreux humains « normaux » — de Pépé avec son chien facilite la relation entre les deux. L’enfant prend peu à peu la place du chien tout en rendant à ce dernier sa véritable identité animale, sans briser le lien affectif de Pépé avec la bête. Enfin, la tombe de Kinou scelle l’amitié entre les deux protagonistes.
Entre Nouvelle Vague et Mai 68, entre l’esthétique du feeling et les préoccupations socio-politiques. Le problème de l’identification au cinéma — sur lequel la Nouvelle Vague a fait un forcing déterminant — est ici idéalement posé. Voyez l’importance de l’apparence, la laideur somptueuse de Michel Simon, la joliesse désirable de l’enfant, qui suscitent notre attachement aux personnages. L’heure du look des années 70/80 est en germe.
Mise à jour: 20-06-04
Expériences
Le Vieil homme et l’enfant préfigure le courant des films qui donneront une vision nouvelle de la France de l’Occupation, de l’antisémitisme, de la collaboration et de la Résistance à partir des années 70. Après la célébration obligée mais souvent talentueuse de la Résistance dans les années qui suivent immédiatement la Libération — La Bataille du rail et Le Père tranquille, de René Clément, Jéricho, de Henri Calef, Le Silence de la mer, de Jean-Pierre Melville —, le cinéma français s’installe dans une habitude de censure objective et d’autocensure sur la période 40-45. Seul ou presque, Claude Autant-Lara fait tache avec Le Diable au corps (1947), imaginant, à la suite de Raymond Radiguet, un couple se livrant aux délices de l’adultère tandis que le mari est au front, et La Traversée de Paris (1956), laissant entendre ouvertement que certains Français se livraient à l’époque au marché noir. L’évocation de Nevers sous l’Occupation, mise en relation avec la bombe d’Hiroshima, dans Hiroshima mon amour, d’Alain Resnais (et Marguerite Duras, 1959) surprend et choque encore. Il faut en fait attendre le grand document de Marcel Ophuls, Le Chagrin et la pitié, réalisé en 1969, interdit à la télévision et diffusé en salles en 1971, puis la traduction du livre de l’Américain Paxton, La France de Vichy, en 1974, pour que la représentation de cette période change du tout au tout (non sans excès, discutables parfois). François Truffaut soulignait la nouveauté et l’audace du film de Claude Berri en 1967 (voir ci-après), difficilement sensibles au spectateur d’aujourd’hui, pour qui Résistance, Occupation, collaboration et antisémitisme constituent les ingrédients naturels de nombre de téléfilms et mini-séries. Montrer qu’il existait une France antisémite et pétainiste était déjà une originalité, avoir le culot de montrer l’amitié entre un vieil antisémite et une enfant juif était à la limite de l’inconvenance.
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Films
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Claude Berri de Philippe Fréling
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