Vincent n’a pas d’écailles

France (2014)

Genre : Comédie dramatique, Fantastique

Écriture cinématographique : Fiction

Prix Jean Renoir des lycéens 2014-2015

Synopsis

Vincent a un pouvoir extraordinaire : sa force et ses réflexes décuplent au contact de l’eau. Pour vivre pleinement ce don, il s’installe dans une région riche en lacs et rivières, et suffisamment isolée pour préserver sa tranquillité. Lors d’une escapade aquatique, il est surpris par Lucie dont il tombe amoureux.

Distribution

Thomas SALVADOR : Vincent
Vimala PONS : Lucie
Youssef HAJDI : Driss
Nicolas JAILLET : Lieutenant Le Brec
Nina MEURISSE : L’amie de Lucie

Générique

Durée : 1h18

Réalisation : Thomas SALVADOR
Scénario : Thomas SALVADOR en collaboration avec Thomas CHEYSSON et Thomas BIDEGAIN

Image : Alexis KAVYRCHINE
Son : Laurent GABIOT, Jean MALLET, Olivier DÔ HÙU
Montage : Guillaume SAIGNOL
Assistante mise en scène : Mathilde CUKIERMAN
Production : Julie SALVADOR

Autour du film

Entretien avec le réalisateur par Thomas Choury et Guillaume Perret pour Le Mauvais Coton :


Quel a été le point de départ de votre film ?
Je dirais qu’il est venu de l’image d’un homme dans un environnement. Cette idée était déjà très présente dans mes courts-métrages. Il fallait un décor et, en l’occurrence, j’imaginais vraiment un cours d’eau, un torrent de montagne, un endroit où l’on croiserait un type qui se déplacerait comme une anguille, ou une truite, et qui rencontrerait des gens, tomberait sur une fille notamment ! Il y avait déjà là-dedans l’idée du regard de l’autre – idée centrale dans le film puisqu’il évoque le regard que Vincent sur lui-même et celui que les autres portent sur lui, sur sa différence. Ensuite, comme j’aime le cinéma d’action où il y a beaucoup de mouvement, où les gens dansent, se battent, l’idée s’est imposée que l’homme présent dans le cours d’eau ferait des choses fantastiques.

Le fantastique, pourtant, n’apparaît pas tout de suite dans votre film…
C’est progressif, effectivement. Mais c’est subjectif, car les nageurs peuvent voir dès le début que la toute première nage que fait Vincent n’est absolument pas normale. Certaines personnes m’ont même dit, à l’issue d’une projection, « Olalah, qu’est ce que vous êtes un bon nageur ! » [rires] A l’évidence, même un champion olympique ne peut pas faire des sauts de dauphin ! Mais c’est vrai que rétrospectivement, même si je ne l’envisageais pas comme cela, le film a été conçu comme un crescendo.

Avez-vous pensé trouver une origine à ce don de Vincent ?
Je vais être honnête : oui, j’y ai pensé. Cela a même été tourné ! Mais je me suis rendu compte que cela fonctionnait mieux d’imposer un récit purement au présent plutôt que de s’engouffrer dans les brèches du passé. J’ose espérer que le spectateur accepte cela, sans vouloir aller chercher des explications globales. C’est peut être là que se trouve ma croyance, un peu naïve, dans le cinéma : c’est que l’on se définit par ce que que l’on fait plus que par ce que nous racontons. Ce qui compte, ce sont les actes. Et le cinéma est l’espace idéal pour mettre en œuvre cette pensée.

Votre personnage a l’air de sortir de nulle part, et il y retourne…
Oui. On perçoit dans ce prologue un peu mystérieux un environnement urbain qu’il quitte. Le film amène un moment de choix pour le personnage qui en vient à devoir assumer sa spécificité. Après le générique, il quitte la banlieue parisienne pour se rendre dans les gorges du Verdon où il pense trouver la tranquillité. Mais Vincent est un personnage volontaire qui s’est aperçu au cours du film que sa différence pouvait servir. Il cherche un équilibre dans le monde tout en ayant cette particularité.

Beaucoup plus qu’un film de super-héros, c’est dans cette construction dramatique précise que l’on sent le plus l’héritage du cinéma américain de série B, ces personnages dont on ne sait que peu de choses au départ, qu’on apprend à connaître dans le présent du film…
Personnellement, je n’aime pas en dire plus qu’il est nécessaire. On me demande souvent pourquoi j’ai voulu qu’il y ait peu de dialogues dans le film. Mais ce n’est pas tant que je l’ai voulu en réalité, car dès la phase d’écriture, j’ai l’habitude de synthétiser mes séquences par la mise en scène, le jeu des regards, l’attitude des acteurs, le raccord, l’entrée et la sortie de plan. Cette prise en charge du récit par la mise en scène est importante pour moi. Et même si les personnages parlent peu, le peu qu’ils disent crée un relief. Et cela crée un mystère et reflète une figure que j’aime beaucoup dans le cinéma hollywoodien de série B, le cinéma de genre ou les western : l’inconnu dans la ville…

Vous insistiez sur votre envie de créer quelque chose de tout à fait artisanal, mais n’y avait-il pas à travers les références à la culture populaire – Loïs et Clark, Hulk ou encore Spider Man – une volonté de déconstruire cette vision reconnue du super-héros pour aller vers un univers plus particulier ?
La déconstruction se fait inconsciemment. Je me suis refusé à faire un film théorique sur mon rapport au cinéma hollywoodien de super-héros. J’en suis très friand, j’ai une grande passion pour ce cinéma populaire quand il est réussi, ce qui peut surprendre les gens parfois puisque je viens du cinéma d’auteur. Mais toutes ces connexions, je les laisse aux spectateurs. Effectivement il y a une référence explicite qui est le baiser dans Spider-Man (2000), mais on n’a pas d’autre choix lorsqu’on fait un film que de se concentrer sur son envie première, car si l’on commence à réfléchir à ce que vont penser les spectateurs par rapport à toutes ces références, on peut s’éloigner de l’idée de départ. Je n’ai pas d’autre choix que d’y croire et d’y aller à fond, d’être guidé par cette croyance enfantine, par la magie du cinéma.

Vous défendez un contexte réaliste, et pourtant on peut avoir l’impression que le personnage féminin, Lucie, qui est un pilier pour le film et pour Vincent, est elle aussi mystérieuse et ce grâce à ce que suggère votre mise en scène. On penser particulièrement à cette scène où elle monte dans l’arbre et où on se demande si elle n’est pas plus proche de Vincent qu’on ne le pensait. Tout à coup, on voit presque une référence à Cat Woman…
C’est drôle ça ! C’est super intéressant ! Je n’avais pas du tout pensé à ça ! Mais du fait de l’actrice, de l’écriture, dans son rapport au monde, dans sa relation saine et ludique avec la spécificité de Vincent, on sent qu’il y a quelque chose d’évident entre eux. Vincent a sans doute senti qu’elle a un rapport très concret, très simple et très joyeux à la vie.

Et surtout un rapport très libre à son propre corps…
Exactement ! Il se trouve que l’actrice, Vimala Pons, fait du cirque, et elle a un rapport très simple au corps en effet. Vincent pouvait donc partager cela avec elle. Quand Lucie fait un ballet aquatique, j’ai écrit cette scène en pensant qu’elle avait des sortes d’antennes car elle se met à faire des trucs spectaculaires dans l’eau, comme si elle cherchait à communiquer avec Vincent sur ce terrain-là. C’est aussi ce que suggère la scène érotique, avec cette caresse la plus longue du monde où on dirait une anguille, une sirène. C’est parce qu’elle a ce rapport au monde que Vincent peut se sentir en confiance. Et c’est elle qui permet à Vincent de devenir véritablement un homme. Je tenais par ailleurs au fait qu’elle ne soit jamais groupie. Je voulais que Vincent soit autant en admiration devant elle qu’elle l’est devant lui. Et pour preuve, il est impressionné quand elle fait de belles poteries ! [rires] Il y avait un rapport d’égalité et c’est drôle car j’ai présenté le film à Dubaï et le film a eu un succès délirant auprès des femmes car elles voyaient enfin un héros bienveillant, dans un rapport d’égalité avec la femme, ce qui m’a fait très plaisir !

Était-ce pour vous une envie, voire une évidence, de jouer le rôle de Vincent ?
Il se trouve que j’ai joué dans mes courts-métrages et que dans la vie, je fais énormément de choses physiques. J’ai eu un doute à mi-chemin car j’étais très effrayé par la direction d’acteurs, dans la mesure où mes courts étaient très solitaires. Or, comme il s’agit là d’un premier film, je m’étais demandé si j’allais pouvoir tout assumer. Donc nous avons fait un gros casting, avec des acrobates, des personnes physiques… Finalement, cela a pris du temps et nous ne savions toujours pas si le film se ferait. Quand nous avons enfin eu la confirmation, tout le monde était sûr que c’était moi qui allait jouer Vincent ! Je me suis moi-même fait à l’idée. Je pense qu’il était important d’avoir un acteur inconnu…
Mais la raison objective qui faisait que je devais jouer le personnage, c’est qu’en tant que réalisateur absolument pas dictateur, je n’aurais jamais osé demander à un comédien de refaire les prises dans une eau à 15°C voire moins ! Et – sans vouloir paraître prétentieux – il se trouve que je sais faire beaucoup de choses physiques, ce qui n’allait pas contraindre la mise en scène. Je voulais vraiment que le personnage fasse toutes les cascades ! Il se trouve que Vincent me ressemble beaucoup, donc il n’y a pas tellement de composition, la gêne de Vincent étant la gêne que je peux avoir dans la vie… ou devant une équipe de cinéma.

Le fait d’être devant et derrière la caméra, cela peut évoquer une certaine tradition du cinéma en France : Jacques Tati, Pierre Etaix…
Oui, effectivement. J’aime aussi beaucoup Buster Keaton… et Jackie Chan ! [rires] Chan, c’est différent, cela fait rire mais même dans les plus mauvais films, il y a toujours vingt minutes sublimes où d’un coup, on peut réussir à inscrire un homme dans un environnement, dans la société. Tati aussi, c’est constamment cela… J’ai très tôt été marqué par ce cinéma-là, et il se trouve que ce sont des réalisateurs qui jouent aussi dans leurs films, qui éprouvent ce besoin. Ce sont des films qui jouent beaucoup sur le rythme, et le rythme est ce qu’il y a de plus dur à transmettre à un acteur. Il y a, je pense, une manière d’amener le rythme au cœur du plan en jouant. Chez Tati ou Keaton, les plans sont longs mais on ne s’en rend jamais compte car il y a une rythmique géniale !

Propos recueillis à Lyon le 29 janvier 2015 par Guillaume Perret et Thomas Choury

Pistes de travail

Du fantastique

Dans son appartenance au genre fantastique, Vincent n’a pas d’écailles se définit davantage par ses différences avec les films américains (auxquels il fait discrètement référence) que par ses ressemblances. Il est ici question de mise en scène minimaliste, de silence et de discrétion. D’ordinaire, et même de social. Loin des effets spéciaux numériques, du fracas des colosses au combat et des missions de sauvetage à la Spiderman. Vincent n’a pas d’écailles cultive davantage la soustraction que la surenchère, davantage la décontraction comique que le sérieux martial des super-héros états-uniens, comme son titre joliment poétique semble l’indiquer.
Après un prologue francilien où le personnage (qui n’est pas encore « héros ») se mire (donc ne se reconnaît pas comme tel) dans les eaux sombres de la Seine, l’intrigue prend place dans le décor lumineux et sensuel du Sud de la France. À l’opposé des héros urbains de l’univers Marvel. Là, bain de jouvence ; Vincent naît à lui-même. Une fois encore, simplement. Sans métamorphose comme espace corporel de l’entre-deux. Plongé dans l’eau, Vincent se met subitement à nager plus vite, très vite, comme s’il avait absorbé un peu de la puissance de l’élément naturel. Celui-ci, qui s’en étonne à peine, prend sa nouvelle force comme une évidence (une habitude ?), un don si grand et si mystérieux qu’il ne songe pas un instant à l’interroger.
Pas de transition visuelle donc pour venir valider le pouvoir exceptionnel du héros ni d’explication sur l’origine de sa singularité (traumatisme de l’enfance en flash-back par exemple). Il n’y aura pas non plus de séquence d’apprentissage, de maîtrise et de montée en puissance de sa seconde nature (encore moins de confection d’un super-costume en satin moulant) comme dans le cinéma fantastique américain. La mise en scène et le personnage ne cherchent pas à épater la galerie, exception faite de la séquence de la piscine et de la pièce de monnaie avec Lucie (mais là encore, la mise en scène « assèche » le fantastique au profit du burlesque, tout aussi spectaculaire d’ailleurs). Le spectateur est ainsi privé de la scène fondatrice du héros surpuissant, ou passage obligé du fantastique. Tout arrive comme par enchantement. Vincent, qui pose d’emblée la question du double et du visible, est un autre et le même à la fois. Rien n’a changé, mais tout est différent. Vincent est différent. Un vrai jeu de passe-passe ! C’est dire si Salvador croit à la puissance du cinéma, à la capacité des seules images à faire de la mise en scène l’espace de l’émerveillement, de la magie, du fantastique.

Du burlesque

En réalisateur de talent, Salvador fait du cinéma d’images. Le cadre seul l’intéresse. Sa mise en scène est fondée sur le cadre et ce qui circule à l’intérieur. Retour donc à la jeunesse du cinéma, au cinéma fondamental des Chaplin, Keaton et autres épigones, tels que Tati ou Kaurismäki. Du cinéma muet, ou presque. Du cinéma visuel. D’où la grande économie de moyens non seulement techniques ou narratifs, mais aussi verbaux. Vincent n’a pas d’écailles est un film peu disert. Mutique dans ses première et troisième parties, il ne laisse éclore la parole qu’à la naissance de l’amour dans le deuxième volet. La mise en scène de Salvador est une affaire de géométrie, de trajectoires, de jeu, d’action. Une conception de cinéma propre au cinéma burlesque qui est l’exploitation dans toutes ses dimensions de l’espace du cadre, des cascades ou acrobaties à l’épreuve de la gravité euclidienne, des éléments (eau, air) et de l’espace-temps (fortement contracté ici). Des lieux improbables sont visités (lavoir, ru) et des objets sont détournés de leur fonction (bétonnière, pièce de monnaie). Les accessoires qui servent à l’apparition des pouvoirs du héros (baquet d’eau, douche) ou à l’aboutissement de son « personnage » (la combinaison-costume de plongée) amusent par leur banalité saugrenue.
Le physique ordinaire du super-héros/acteur et le choix prosaïque des trucages mécaniques participent également du registre burlesque. Le visage parfois inexpressif de Vincent, personnage un peu raide, nous rappelle la face impassible de Keaton. Les effets spéciaux sont quant à eux visuellement étonnants. Le mur abattu d’un coup de poing laisse deviner le trucage ; les sauts hors de la piscine donnent l’étrange impression d’images montées à l’envers ; la cavale bondissante du héros (on imagine les trampolines) avec les gendarmes maladroits évoquent les Keystone Cops, hordes de policiers balourds, de Mack Sennett. Si elle ne donne pas vraiment matière à gags, la longue course-poursuite, motif par excellence du burlesque, est toutefois l’occasion de belles pirouettes ou situations drolatiques.

Du fantastique écolo

Mais que nous raconte, au fond, cette histoire de citadin parti se ressourcer à la campagne et dopé à l’eau claire, ce récit de super-héros paradoxal qui fait peu don de ses dons ? Dans la première partie, l’homme vit seul, à l’écart du groupe et en totale harmonie avec son environnement. Il est un corps silencieux – animal – qui se nourrit et jouit d’une nature gorgée d’eau et de lumière (magnifiquement captée par le chef-opérateur de Tous au Larzac, Alexis Kavyrchine). Sa solitude, jamais vécue comme une contrainte, est tranquille, épanouie. Contre l’exhibitionnisme de notre époque, la discrétion est son éthique. Et son viatique pour ne pas renoncer à son originalité.
Surpris au bain, Vincent croise le regard de Lucie et, à l’inverse de certains mythes anciens, en est fort ému. Le (sur)homme ravi s’éveille à l’amour. Comme les forces de Vincent décuplées, le panthéisme sensuel explose ensuite dans « la plus longue caresse du monde », symbole d’une complicité garante du secret du héros.
Puis, survient le drame qui force à la fuite. Le nomadisme assumé devient subi. Conscient de sa trop grande différence, Vincent choisit l’exil pour gagner l’Amérique à la nage (avec promesse de suite comme dans les comics ?). Outre l’exploit du super-héros, la traversée de l’océan fait de lui un clandestin. La nature canadienne devient son pays de Cocagne ou l’espoir d’un bonheur renouvelé.
La fin de Vincent n’a pas d’écailles fait alors le lien entre le passé et l’actualité tragique de l’immigration. Et elle coïncide parfaitement avec le projet cinématographique de Salvador (ses choix de mise en scène et la simplicité linéaire de son récit-parabole) qui est autant une proposition à renouer simplement avec la nature qu’un appel à redécouvrir les sources magnifiques du cinématographe.

Extrait du dossier pédagogique du réseau Canopé

Outils

Dossier pédagogique du réseau Canopé :
www.eduscol.education.fr/pjrl/films/pjrl-2015/canope-2014-2015/vincent-pas-d-ecailles

Dossier de presse et autres contenus sur le site du distributeur :
www.le-pacte.com/france/catalogue/detail/vincent-n-a-pas-d-ecailles