Vitelloni (Les)

France, Italie (1954)

Genre : Comédie dramatique

Écriture cinématographique : Fiction

Archives LAAC, Enseign. cinéma 2024/25, Lycéens et apprentis au cinéma 2022-2023

Synopsis

Dans une petite ville balnéaire animée seulement par le carnaval et la période des vacances, cinq jeunes gens mènent une vie de désœuvrés, d’inutiles, qui leur vaut d’être appelés « Vitteloni », « les grands veaux »

Distribution

Franco Interlenghi : Moraldo
Alberto Sordi : Alberto
Franco Fabrizi : Fausto
Leopoldo Trieste : Leopoldo
Riccardo Fellini : Riccardo
Leonora Ruffo : Sandra
Jean Brochard : le père de Fausto
Carlo Romano : Michele, l’antiquaire
Enrico Viarisio : le père de Moraldo et Sandra
Paola Borboni : la mère de Moraldo et Sandra
Claude Farell : Olga, la sœur d’Alberto
Gigetta Morano : la mère d’Alberto
Lída Baarová : Giulia, l’antiquaire
Vira Silenti : l’amie de Moraldo

Générique

Titre original : I Vitelloni
Titre français : Les Vitelloni ou Les Inutiles
Réalisation : Federico Fellini, assisté de Max de Vaucorbeil
Scénario : Federico Fellini, Tullio Pinelli et Ennio Flaiano
Décors : Mario Chiari
Costumes : Margherita Marinari
Photographie : Carlo Carlini, Otello Martelli, Luciano Trasatti
Montage : Rolando Benedetti
Musique : Nino Rota

Autour du film

Éclairages

1953, année-tournant : Les Vitelloni, Voyage en Italie de Roberto Rossellini, et l’ouvrage collectif L’Amour à la ville (surtout l’épisode d’Antonioni, Tentative de suicide) marquaient, dix ans après sa naissance, l’éclatement définitif du néo-réalisme originel dans des voies résolument divergentes et son renouvellement, à un moment où il commençait à s’épuiser à la simple description naturaliste de la réalité. […] La simplicité, la pudeur, l’émotion vraie de ce témoignage qu’est Les Vitelloni, sans nul doute tiennent-elles essentiellement au fait qu’il s’agit d’une autobiographie. Le regard de Fellini sur sa propre jeunesse est lucide, cruel même, mais jamais méchant : il sourit de ses personnages mais ne les reprise point, irresponsables qu’ils sont de ce culte du désœuvrement et des plaisanteries stupides où les incline une société mesquine et maladive. Le génie propre de Fellini, c’est aussi sa découverte du paysage-état d’âme : plages désertes battues par les vents, places nocturnes envahies par le mystère, à l’image du vide intérieur de ces tristes héros et de leur vague à l’âme. Cela est mis en valeur par une conception ouverte et limpide du récit visuel, où le montage n’intervient plus comme une reconstruction intellectuelle de l’espace et du temps, mais bien plutôt comme le vecteur direct de la rêverie à travers le sentiment presque douloureux de la durée qui fuit sans retour. Et la participation envoûtante de Nino Rota est l’un des éléments déterminants de la fascination profonde exercée par ce chef-d’œuvre méconnu.
Les Lettres Françaises – 9 février 1962

La traduction littérale du titre italien serait « Les Gros Veaux », ou bien, au sens premier du terme vitellone, « Les Vieux Veaux », c’est-à-dire ceux qui ont dépassé l’âge d’un an. Dans le film, sous-titré les Inutiles, c’est une façon ironique de nommer la bande d’adolescents attardés, sans buts, que sont ces vieux jeunes gens qui ne vivent que des subsides de leurs parents et ne sortent que la nuit à l’abri de la lumière, comme les veaux de lait.

Le mot vitellone est passé dans le langage courant en italien : les vitelloni sont des jeunes gens fainéants, excessivement attirés par les femmes et par l’argent.

La musique de Nino Rota inclut deux occurrences de la mélodie de la chanson Je cherche après Titine, l’une sifflotée, l’autre jouée par un orchestre lors d’une fête de carnaval.

Pistes de travail

Fin prolongée de la jeunesse

La plupart des grands cinéastes italiens d’après-guerre se sont affirmés par leur manière d’inventer puis de dépasser les leçons du néo-réalisme. Federico Fellini ne fera pas exception à cette règle. Les Vitelloni, son troisième long métrage réalisé en 1953 – après Les Feux du music-hall (coréalisé par Alberto Lattuada) et Le Cheik blanc – peut être considéré comme une étape essentielle dans la carrière du cinéaste.

Au présent de l’engagement social et de la description de l’Italie d’après le second conflit mondial, qui a caractérisé un des plus importants mouvements esthétiques du cinéma, s’est substitué un récit au passé, sombre et mélancolique derrière l’apparente futilité des personnages. La voix off d’un narrateur invisible décrit l’existence oisive et futile de cinq trentenaires d’une petite ville de la riviera romagnole, une existence faite de déambulations nocturnes et de refus de toutes les implications sociales suscitées par les exigences des parents et des femmes.

Les Vitelloni commence, et c’est le coup de génie du film, par ce qui constituerait la fin d’un film classique ; un mariage, celui d’un des personnages, Franco, avec une femme enceinte de ses œuvres. Une union obligée qui met un terme à l’insouciance d’un Don Juan de province contraint désormais de travailler pour nourrir sa famille. Fellini insère, dans ce qui ne pourrait être qu’une vision nostalgique et réaliste, une féerie discrète, un enchantement morbide du réel. Ceux-ci prennent la forme d’un carnaval de petite ville, d’un vieil acteur de music-hall homosexuel, d’un petit cheminot, une manière de dépasser les exigences du néo-réalisme sans les détruire. À quoi s’ajoute l’utilisation de la musique de Nino Rota qui déplace les sensations dramatiques.

Le burlesque caustique et le drame (le vol, d’une statue pieuse, les corrections administrées par le père de Franco à son fils) se côtoient et se confondent parfois dans une sorte d’étrange imprécision des sentiments. Le récit ralentit plus d’une fois, semble perdre ses marques et, régulièrement, se ressaisit dans la gestion d’un court suspense. A la fin du film, la femme de Franco, terrassée par une infidélité de son mari, disparaît quelques heures avec son enfant. La détresse de son personnage fusionne alors avec l’affirmation horrible d’une définitive aliénation de son époux. Les Vitelloni inaugure une catégorie de films qui connaîtra une fortune importante : le récit nostalgique des années de jeunesse. Ce en quoi pourtant il reste indépassable consiste sans doute dans la façon dont l’attendrissement, piège facile, est sans cesse combattu par une certaine cruauté. En débutant le film par le mariage de Franco, en envoyant grâce à la voix off le récit dans un passé indéterminé, un espace déjà révolu au moment du récit, Fellini saisit la fin d’une période, et semble dire que les jeux sont faits. Le spectateur n’est pas renvoyé à un passé fait d’insouciance et d’enfance mais à la destruction même de ce passé.

Jean-François Rauger