Synopsis
Bila, un petit villageois, partage les jeux de l’enfance avec son amie de cœur, Nopoko. Il se prend d’affection pour Sana, une vieille femme, ostracisée par les gens du village, qui la traitent de sorcière, et que les enfants harcèlent sans rel’che. Il vole un coq à ses parents pour le lui offrir.
Sa récente amitié avec la vieille femme, qu’il nomme affectueusement Yaaba (“grand-mère” en mooré) lui vaut la jalousie mitigée de Nopoko, mais surtout lui fait encourir la colère de son père et des villageois ainsi que les sarcasmes des autres gamins.
Un jour, alors que lui et Nopoko rentrent du marigot, où ils sont allés chercher de l’eau pour la mère de Bila, ils se font attaquer par trois garnements. Blessée au couteau, Nopoko tombe gravement malade. Bila parvient à convaincre Yaaba d’entreprendre un long voyage, pour aller chercher un guérisseur qui saura sauver Nopoko.
Dans le même temps, un charlatan assure aux villageois que Yaaba est la coupable. Furieux, ils incendient sa case.
Le guérisseur arrive au village, mais se fait chasser par le père de Bila. En cachette, la mère de Bila rattrape le guérisseur et, grâce à son médicament, parvient à sauver Nopoko, que tout le village croit perdue.
Nopoko et Bila partent remercier Yaaba, mais celle-ci est morte. Ils l’enterrent grâce à Noaga, homme bon, mais méprisé par les autres villageois pour son ivrognerie. Sur le chemin du retour, celui-ci leur raconte l’histoire de Yaaba, dont la seule faute est d’avoir perdu très jeune ses parents. C’est à son seul état d’orpheline qu’elle devait sa réputation de “sorcière”. Bila donne un bracelet, cadeau de Yaaba, à Nopoko. Les deux enfants partent en courant dans la brousse. Nogma les regarde s’éloigner en souriant.
Distribution
Les femmes et les enfants…
Bila (interprété par Noufou Ouedraogo)
C’est le seul personnage du film, avec son amie Nopoko (qui le suit partout, ou presque), qui circule sans cesse entre le village et la brousse, échappant ainsi aux engueulades de son père, mais aussi aux travaux domestiques que lui impose sa mère (porter du bois, aller chercher de l’eau). Nopoko semble être sa seule amie de son âge. Bila est un enfant solitaire, et la seule scène où il partage les jeux des autres enfants du village se solde par une bagarre (il prend la défense de Yaaba, qu’un garçon du village a blessée au visage avec une pierre). Aux contraintes qu’il subit dans l’espace du village, où sa condition d’enfant l’assujettit à la loi et aux injonctions des adultes – si absurdes soient-elles (quand son père lui interdit de revoir Yaaba) –, s’oppose la liberté que lui octroie l’espace, vierge et illimité, de la brousse, où il peut à loisir discuter avec Yaaba ou se baigner avec Nopoko. Toujours un peu contraint dans l’espace clos du village (où il est la proie de tous les regards, donc de toutes les dénonciations, et où son père peut le punir à loisir), il devient dans la brousse un électron libre.
Yaaba (interprétée par Fatimata Sanga)
Crainte et détestée de tous les villageois, la vieille Sana est l’objet de tous les commérages, celle qui assume à son corps défendant tous les maux du village (de l’incendie d’un grenier à la maladie de la petite Nopoko). À son corps perclus de rhumatismes, dont les membres flétris gardent les marques d’une vie que l’on devine misérable, s’oppose la beauté hiératique de son visage, et d’un regard où tous les sentiments du monde (compréhension, tristesse, douleur, inquiétude) se lisent à nu.
Yaaba (« Grand-mère ») est une paria, ce qu’on appellerait en Inde une outcast (hors caste), échappant aux lois qui gouvernent le groupe des villageois et dicte leur place respective sur l’échiquier communautaire. Par là même, elle est la seule adulte avec qui Bila peut, échappant à sa condition d’enfant (et aux terribles impératifs du droit d’aînesse africain), réellement discuter, poser des questions et, au final, partager une vision du monde. C’est aussi à Yaaba qu’il fera son premier cadeau (le coq) et c’est elle qui lui offrira un bracelet dont il fera don à Nopoko.
Nopoko (interprétée par Roukietou Barry)
Plus craintive que Bila et dans un premier temps effrayée par Yaaba, Nopoko se laisse convaincre et finit par le suivre jusqu’à la case de Yaaba, dans un mouvement où entre une bonne part d’amour propre (Bila se moque d’elle et la traite à plusieurs reprises de peureuse). On apprend dès le début du film qu’elle est orpheline (sa mère est morte). Si la relation qui se noue entre Yaaba et Nopoko est juste effleurée, c’est sur les deux femmes que s’ouvre et se clôt le film. À la première scène (Nopoko recueillie sur la tombe de sa mère) répond, en fin de film, la révélation, par Noaga l’ivrogne, de la vraie histoire de Yaaba, orpheline elle aussi. Ce lien se scelle par deux objets : c’est l’écharpe de Nopoko que Bila utilise comme linceul pour recouvrir le corps sans vie de Yaaba. À la fin du film, comme une évidence, Bila donne à Nopoko le bracelet de Yaaba.
Les parents de Bila (interprétés par Adama Ouedraogo et Sibidou Ouedraogo)
Kougri, le père, est un pur produit de la communauté, dont il épouse automatiquement préjugés et opinions et dont il entend faire respecter la Loi à la lettre. Avec Bila, son seul mode de communication, si l’on ose dire, est la violence, verbale ou physique.
Si les effusions de tendresse ne sont pas de mise entre Bila et sa mère, Poko, celle-ci sait prendre la défense de son fils, lorsque la punition lui paraît disproportionnée au “forfait”, et trouver le courage de déjouer l’ukase du village, lorsque la vie de Nopoko est en danger.
Chez Ouedraogo comme chez beaucoup d’autres cinéastes africains, ce sont souvent les femmes qui manifestent le plus d’esprit critique vis-à-vis de la Loi. Contrairement aux hommes, elles osent défier le clan pour accomplir leur désir (cf. la femme de l’ivrogne, s’échappant régulièrement du village pour retrouver son amant).
Générique
Titre original : Yaaba
Production : Michel David, Freddy Denaës (Arcadia Films), Pierre-Alain Meier (Thelma Films), Idrissa Ouedraogo (Les Films de l’Avenir).
Scénario et dialogues : Idrissa Ouedraogo
Réalisation : Idrissa Ouedraogo
Assistants-réalisateurs : Ismaël Ouedraogo, Paul Zoumbara
Scripte : Virginie Barbay
Cadre : Jean Monsigny
Image : Matthias Kälin
Son : Jean-Paul Mugel, Jacky Kretz
Montage : Loredana Cristelli
Costumes : Mariam Sidibé
Mixage : Dominique Dalmasso
Musique : Francis Bebey
Interprétation
Yaaba / Fatimata Sanga
Bila / Noufou Ouedraogo
Nopoko / Roukietou Barry
Kougri / Adama Ouedraogo
Tibo / Amadé Toure
Poko / Sibidou Ouedraogo
Ragouzou / Adame Sidibe
Noaga / Rasmane Ouedraogo
Finse / Kinda Moumouni
Koudi / Assita Ouedraogo
Pegda / Zenabou Ouedraogo
Taryam / Ousmane Sawadogo
Film : Couleurs 35 mm
Tournage : Burkina Faso
Format : Pano (1/1,66)
Durée : 1 h 30
N° de visa : 68 057
Distributeur : POM Films
Première présentation : Quinzaine des Réalisateurs, mai 1989 (Cannes)
Sortie en France : 23 août 1989
Prix : Prix International de la critique, Cannes, 1989
Autour du film
Allers-retours
Manifestant un admirable sens du dispositif et du cadre (nul mieux que Ouedraogo ne sait magnifier la splendeur désolée des étendues désertiques du nord du Burkina Faso), Yaaba fait aussi preuve d’une non moins impeccable morale de ce cadre. En témoigne l’une des plus belles scène du film, celle où Bila, parvenant à surmonter sa peur, entre dans le champ de l’Autre – celui de la sorcière que les villageois conspuent et tiennent à l’écart – pour lui offrir une poule. Cette morale du cadre est clairement à l’œuvre dans deux scènes qui montrent la fête au village. Dans la première, la caméra est posée au milieu des danseurs. À quelque intervalle, une autre scène vient lui répondre en écho : la fête continue, mais la caméra a pris ses distances, installée aux côtés de Yaaba et de Bila, qui observent de loin les réjouissances.
Preuve que l’apprentissage du regard (celui de Bila) dont il est question dans le film ne peut s’effectuer que depuis un Ailleurs, et que la distance morale (sur les pratiques des villageois, leurs préjugés) ne s’acquiert que par une prise de distance symbolique et/ou géographique.
Un recul nécessaire
Cette préoccupation, qui marque le cinéma africain depuis ses origines (et en particulier celui de Ouedraogo) trouve son ancrage dans l’histoire coloniale du continent. Orientalistes, explorateurs, ethnologues, photographes et cinéastes : jusqu’aux Indépendances, la représentation de l’Afrique a été, de façon quasi-systématique, le monopole des Européens. Nul ne s’étonnera donc que l’exercice du regard (sur sa communauté, donc sur soi-même) ait d’emblée été un enjeu majeur du cinéma africain. Ni que ce regard ait tout naturellement été porté par des personnages d’enfants, propices à des fictions portées par une dynamique de la découverte et de l’émerveillement. Dans tous les cas, la connaissance du monde passe par le départ, le détachement (fût-il provisoire) de la communauté.
Ce constat est érigé dans Yaaba en principe de mise en scène. Tout le film s’articule en effet autour des allers-retours de Bila entre ces deux espaces : celui, quadrillé du village, où le regard butte toujours sur un mur, une case, où les mouvements sont entravés par les petites cours privatives, où toute action est immédiatement en butte aux regards (et aux commentaires) des voisins. Celui de la brousse, où le corps peut se déployer, où rien ne vient bloquer la perspective, espace de liberté, lieu idéal de la transgression mais aussi du don (Bila vole du lait, mais c’est pour l’offrir à Yaaba).
À la différence des adultes (qui marchent, sont assis, observent leurs voisins, tapis derrière un mur), Bila court. Ses longues échappées en brousse sont captées le plus souvent de loin, caméra fixe (quasiment pas de travelling dans Yaaba), de même que le long voyage de Yaaba (pour aller chercher le médicament de Nopoko) et sa traversée du fleuve des esprits : la caméra, immobile, filme à distance la vieille femme qui négocie son passage avec les piroguiers.
Le respect d’un monde envisagé comme un tout
Dans Yaaba, Ouedraogo invente un cinéma de l’épure : peu de dialogues, une intrigue et une matière fictionnelle réduites au strict minimum pour un film au classicisme parfait où chaque mouvement de caméra semble réduit à sa pure nécessité, épousant le rythme de son personnage principal, le petit Bila, de ses jeux et de ses rencontres. Il y a, dans cette insistance à faire surgir la fiction du paysage (au sens large), mais plus généralement dans la sérénité des rapports qu’il entretient avec le temps et l’espace, comme la marque de fabrique du cinéma africain.
Comme l’écrit l’universitaire Kwame Gyekye dans son ouvrage African Philosophical Thought (Temple University Press, Philadelphia) en tentant de définir la nature des liens qui unissent l’être humain à son environnement : “Les divinités sont supposées résider dans la nature, arbres, plantes, rochers, montagne et collines, rivières et ruisseaux. […] Il découle de l’essence de ces objets et de ces lieux d’être actifs, de posséder des pouvoirs. C’est pourquoi l’attitude de respect manifesté vis-à-vis de ces objets est directement reliée aux divinités qui les habitent. Il s’agit juste du respect accordé à l’existence d’être spirituels supérieurs à l’homme.” C’est sans doute là, et non dans une supposée naïveté ou désinvolture (ce fameux cliché des films africains où “il ne se passe jamais rien”, etc.) qu’il faut chercher la méfiance que le cinéma africain entretient envers l’ellipse (spatiale ou temporelle), cette foncière incapacité à envisager le monde autrement que comme un tout, assemblage certes non homogène mais dont les divers éléments qui le fondent peuvent, à tout moment, entrer en contact.
Plus que tout autre, le cinéma de Ouedraogo privilégie l’observation sur l’énonciation. Sa caméra reste toujours très peu “invasive”, se contentant d’observer à distance. Le lien social (comment vivre ensemble : comment l’individu parvient à s’arrimer au groupe) et ses implications, tragiques (comme dans Tilaï, son film suivant) ou non, sont au cœur du cinéma de son cinéma. Le gros plan est la figure récurrente de ce motif. Pour Ouedraogo, le visage vaut essentiellement comme surface d’inscription des actions, paroles, gestes ou comportement d’un personnage sur un autre, tel ce gros plan sur la face radieuse de Sana lorsque Bila, pour la première fois, la nomme « Yaaba » (soit : grand-mère en mooré). Ce qui fascine Ouedraogo : comment la parole de l’Autre s’imprime sur nous.
Élisabeth Lequeret
Une vraie mère-grand
“Dans Yaaba, Idrissa Ouedraogo va plus loin encore, fidèle à son désir d’utiliser le moins possible les dialogues, mais de tout exprimer, en regards, en larmes ou en sourires. Bien sûr, la grand-mère dit parfois quelques paroles énigmatiques. Bien sûr, Nopoko défie Bila à la course (même si elle sait très bien que le vainqueur sera toujours le garçon). Et tout ce conte de ma mère-grand est fait de vent, d’horizon, de pluies soudaines, de nuits étouffantes, avec des murmures adultes ou des fous rires enfantins, et le regard tendre d’une vieille maman.”
Jean Rouch, Libération, 23 août 1989
Une comédie tendre qui vient du Burkina Faso
“Par moments, on se croirait en pleine France profonde : le dur travail en prise directe sur la nature, sans aide ni intermédiaire, suscite sous n’importe quel climat les mêmes comportements. À d’autres moments, on est projeté dans un autre temps, dans un tout autre monde, surtout quand est montrée la façon de vivre sans intimité, perpétuellement sous les regards et les commentaires de la communauté. Idrissa Ouedraogo n’insiste pas sur le pittoresque de l’exotisme ni sur le coté sociologique. Il donne l’émotion d’une comédie sensible qui se passe là-bas.”
Colette Godard, Le Monde, 15 mai 1989
L’innocence, la vraie
“ Yaaba est aussi un récit d’apprentissage du regard. Ouedraogo met en scène deux enfants qui découvrent la communauté, ses lois et ses préjugés, et qui comprennent peu à peu qu’il faut voir les choses et les êtres avant de pouvoir les juger. Yaaba est un film renoirien dans l’esprit puisque chaque personnage peut y avoir sa chance à un moment ou à un autre. Après Le Choix, Idrissa Ouedraogo s’impose comme un véritable metteur en scène avec son sens de l’espace, en bannissant presque totalement les gros plans. […] Yaaba est l’un des rares films vus à Cannes qui m’aient donné le sentiment de redécouvrir le monde sans médiation, dans l’évidence de son regard. L’innocence, la vraie.”
Thierry Jousse, Cahiers du cinéma, n° 421, juin 1989.
En quête de sagesse et d’humour partagés
“Pour Idrissa Ouedraogo, la construction d’un récit est une nécessité, mais pas par l’ampleur des moyens techniques ou l’emphase de la mise en scène. Ce qui semble compter pour lui, c’est avant tout la compréhension d’un milieu, retranscrite en histoire, et le regard porté sur des êtres issus de ce milieu. […] Le dépouillement extrême de la bande sonore, bienvenu pour l’oreille saturée du cinéphile, celui de l’image où les silhouettes se profilent, très verticales, dans un espace horizontal, le grand calme qui préside à la succession des plans et des scènes, sont indissociables d’un mode de vie et d’une philosophie auxquels tient le réalisateur.”
Pascal Pernod, Positif, n° 341-342, juillet-août 1989
Pistes de travail
Montrer que tout le film repose sur les allers-retours de Bila (et accessoirement de son amie Nopoko) entre le village et la brousse. Insister sur le fait que la brousse n’est pas seulement le lieu où Bila va rencontrer Yaaba, mais celui où il peut échapper aux regards et aux injonctions des adultes, aux punitions de son père : la brousse est l’endroit rêvé pour échapper aux contraintes de sa condition d’enfant. À rebours, faire décrire aux élèves ce qui se passe au village : il est prisonnier de cet espace confiné où il ne peut pas courir (impossible d’échapper à son père), où les faits et gestes de chacun sont épiés par les voisins. Comparer ses comportements dans la brousse (il court, il rit, il est heureux) et au village (impossibilité de courir, obligations domestiques : un espace de contraintes, physiques et morales).
Souligner l’évolution du personnage de Bila. Au début du film, il est un spectateur ordinaire de la vie du village. Il n’a pas de point de vue sur ce qui s’y passe. Son premier acte de “bravoure” est de refuser de jeter des pierres à Yaaba comme le font tous les autres garçons (il se bat contre eux). Plus tard, il volera un poulet pour l’apporter à Yaaba.
L’apprentissage de Bila passe par deux pôles indissociables :
– ses discussions avec Yaaba (quand il insulte les deux amants, et qu’elle le reprend : “Ne les juge pas ”, parole de tolérance qu’il ressortira à l’identique quelques jours plus tard à Nopoko),
– la rupture avec le clan.
Car aller vers Yaaba, quitter le groupe pour passer du temps avec elle, c’est se mettre en porte-à-faux par rapport aux autres garçons du village (cf. les deux bagarres qui s’ensuivent), à Nopoko (jalouse, elle le dénonce) et surtout, encourir la colère de ses parents : autant d’actes de résistance, à l’échelle d’un petit garçon, qui trouveront leur point culminant, lorsque défiant son père, et pour sauver Nopoko, il court demander à Yaaba d’aller chercher le guérisseur.
Insister sur ses relations de Bila avec ses parents. Le père : pas de discussion ni de dialogue possible, Bila n’a pas son mot à dire. Quand il va voir Yaaba malgré l’interdiction de son père, celui-ci le punit durement, sans pitié. Le père est l’incarnation stricte de la Loi, il dit le Bien et le Mal, et châtie quiconque ose défier sa parole.
La relation avec la mère est plus complexe : sévère et peu affectueuse, mais capable de pitié, lorsqu’elle estime que la réprimande est disproportionnée par rapport à la faute (cf. quand elle interrompt la punition de Bila).
Sa marge de manœuvre avec le père n’est pas aussi grande qu’on pourrait le croire :
- Son mari la répudie, elle et ses enfants, au début du film.
- Elle doit se cacher et avoir recours à la ruse pour donner son médicament à Nopoko à la fin du film.
On voit que la seule personne adulte avec qui Bila peut vraiment parler, partager émotions et sentiments, la seule à qui il peut poser des questions, est la vieille Yaaba. On peut imaginer qu’il n’a jamais eu cette possibilité avec les gens du village. Pour eux, un enfant n’a pas à poser des questions, mais à obéir.
Mise à jour: 20-06-04
Expériences
Les voies étroites du cinéma africain
Toujours difficile, la production d’un long métrage africain passe depuis plusieurs dizaines d’années par les mêmes guichets. Tous, ou presque, sont occidentaux : Fonds européen de développement, ministère des Affaires étrangères, Fonds Sud (un fonds bipartite, “co-géré” par le Quai d’Orsay et le CNC), le CNC lui-même pour les films d’expression originale française, Agence de la francophonie, fondations privées comme le Fonds Hubert Bals (du nom du fondateur du Festival de Rotterdam), COE (Centro de orientamento educativo, Milan), Fondation Montecinemaverità (Locarno). À ces aides publiques s’ajoutaient jusqu’au début des années 90 les préachats et coproductions de certaines chaînes de télévision : ZDF allemande, Télévision Suisse Romande, Channel Four en Grande-Bretagne, Arte et, en France, l’incontournable Canal Plus, ainsi que, dans une moindre mesure, France 2 et France 3. Liées aux quelques succès en salles de films africains ( Yeelen de Souleymane Cissé, Yaaba et Tilaï d’Idrissa Ouedraogo, Bal Poussière d’Henri Duparc…), ces interventions permirent dans les années 80 que se mènent à bien nombre de projets. Mais la désaffection du public leur donna un coup d’arrêt.
Figure du cinéaste-chef d’orchestre
Fragile, le cinéma africain l’est à tous égards. Parce qu’il s’inscrit dans un désert d’images (la culture africaine serait plutôt une culture du verbe). Parce que les télévisions nationales qui devraient jouer un rôle majeur dans l’initiation des projets souffrent des mêmes maux que lui (à commencer par l’impécuniosité). Parce que le manque de professionnels a fait surgir et banalisé la figure du cinéaste-chef d’orchestre : scénariste, producteur, distributeur, et le cas échéant, exploitant de salles. Certains vont même jusqu’à organiser eux-mêmes la circulation de leur film, comme ce fut le cas voici deux ans de Sembene Ousmane, parti au travers du Sénégal projeter son film Faat Kiné.
Un espoir sans lendemain
Célébré par la critique, connu du public africain et européen, récompensé à Cannes, Idrissa Ouedraogo a pu, à une époque, laisser croire que le cinéma africain allait enfin sortir du ghetto du petit-film-mal-ficelé-mais-si-sympathique, faire passer le cinéma africain à la vitesse supérieure, celle qui lui vaudrait, libéré de tout paternalisme, les éloges critiques et le succès public.
Avec Yaaba, sélectionné au Festival de Cannes, il semble réunir les deux, et surtout, réconcilier public du Nord et public du Sud. Son deuxième long métrage fait en effet l’objet d’un engouement (200 000 spectateurs France) qui, aux yeux de beaucoup, symbolisera l’ébauche d’une nouvelle mode autour du cinéma africain. Un an plus tard, Tilaï semble confirmer le mouvement qui trouve son point culminant au milieu des années 90 : après le magnifique Samba Traoré, toutes les portes semblent s’ouvrir devant Ouedraogo. Son long métrage suivant, Kini et Adams est produit et distribué par une major. Après l’échec du film, en panne de financement sur son grand projet d’épopée (Boukary Koutou), ce cinéaste dont le talent n’est plus à prouver s’est replié sur son pays, où il produit et co-réalise pour la télévision locale une sitcom, Kadi Jolie. Il vient de terminer le tournage de la Colère des Dieux, présenté au Fespaco 2003.
Outils
Bibliographie
Les cinémas d'Afrique noire, le regard en question, Olivier Barlet, L'Harmattan, coll. "Images plurielles", 2001.
Cinémas d'Afrique noire francophone et du Maghreb, Denise Brahimi, , Ed. Nathan, 1997.
Cinéma d'Afriqoe noire francophone : l'espace-miroir, André Gardies, L'Harmattan, 1989.
Le cinéma africain de A à Z, Férid Boughedir, Ed. OCIC, coll. Cinémédia, 1987.
Le cinéma africain : des origines à 1973, Soumanou Vieyra, Ed. Présence africaine, 1975.
Les cinémas africains en 1972, Guy Hennebelle, Ed. Société africaine, 1972.