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27‘23” à 29’33” (= 2’10” env.)*
*Le minutage peut varier en fonction du matériel de lecture ou de visionnement utilisé.
Cette séquence se situe juste après la première entrevue de jeffords avec Cochise dans la tente de ce dernier. La sortie des deux hommes s’accompagne d’un fondu enchaîné [27’23”] après la phrase de Cochise : « Si on nous voit ensemble, tu seras en sécurité. » Ce fondu est une figure de style banale, mais son utilisation, ici à la place d’un simple montage montrant l’intérieur puis l’extérieur de la tente en champ-contrechamp par exemple, suggère que l’on passe d’une discussion théorique à une application concrète : l’immersion de Jeffords, guidé par Cochise, dans le monde et la culture des Indiens apaches. Ce qu’a vécu le réalisateur lui-même durant la préparation et le tournage de La Flèche brisée et à quoi il veut également initier le spectateur.
Au plan suivant, on ne retrouve pas les deux hommes devant la tente comme on pouvait s’y attendre, ni en premier plan, mais en arrière-plan devant la foule des Indiens. Cochise a eu le temps de changer de tunique (c’est la nuit et nous sommes entrés dans la tente de jour). Nous sommes donc plongés dans une danse rituelle en cours, au cœur de l’événement. La place des deux hommes, à peine visibles en arrière-plan [27’27”], ne donne pas le sentiment d’un spectacle spécialement organisé pour eux ou pour nous, même si nous n’oublions pas que nous sommes au cinéma et que le film nous est destiné.
La caméra, après s’être rapprochée des danseurs, suit leur mouvement vers la gauche, puis revient vers la droite. Contrairement à nombre de danses indiennes traditionnelles montrées dans les westerns depuis les débuts du genre, les danseurs ne sont jamais seuls. On distingue sans cesse des « figurants » en arrière-plan des images des danseurs. Il n’est pas nécessaire de savoir que le réalisateur a utilisé de vrais Apaches ni d’avoir une connaissance des danses indiennes pour ressentir au moyen de ces images l’idée d’une communauté et non de figurants anonymes venus d’autres horizons pour faire de la figuration.
Au cœur de ces mouvemnts, un plan de coupe montre Cochise et Jeffords en spectateurs (mais toujours immergés dans l’événement avec ces mêmes figurants-participants derrière eux). Ils sont nos représentants à l’écran. Une part de nous-mêmes est quasi naturellement impliquée dans la situation, comme Cochise parmi les siens, vivant et appréciant une cérémonie connue. L’autre part adopte partage le sentiment exprimé par une des attitudes favorites de James Stewart à l’écran, l’étonnement, voire l’ébahissement. Il éprouve la même stupeur devant la la nouveauté et la beauté de la civilisation indienne que ses avatars devant le monde impitoyable et incompréhensible décrit par Capra dans Mr Smith au Sénat ou La Vie est belle. Mais ici, ce n’est pas l’horreur qui fige Jeffords mais l’approche du sacré qu’il commence à partager, sans le savoir encore, avec Cochise. Ils étaient face à face dans la tente, les voici côte à côte.
Le regard de Delmer Daves s’attarde quelques instants sur le spectacle qui s’offre à leurs yeux et aux nôtres. Un spectacle parfaitement chorégraphié que le cinéaste filme avec autant se soin qu’un ballet de Busby Berkeley que les alignements de danseuses en diagonales mouvantes rappellent parfois. Impossible au spectateur quelque peu sensible au rythme, à la musique, à la composition des images, aux couleurs chatoyantes et chaudes des costumes, d’y voir une quelconque « danse de sauvages », même s’il n’en perçoit pas la signification.
C’est Cochise qui rompt la fascination de Tom et le fait sortir de cet espace sacré en franchissant une barrière humaine. Dehors, ils peuvent passer à la réflexion. La question du Blanc indique un intérêt autre que touristique à l’égard d’une manifestation folklorique ou exotique. Cela doit bien avoir un sens et ne pas concerner que les Apaches. En effet, la réponse de Cochise nous ramène à la problématique de La Flèche brisée, le documentaire à la fiction : la lutte du Bien et du Mal. Cette danse doit équilibrer les deux en harmonie parfaite pour ne pas fâcher les dieux, ce qui pourrait qualifier le déroulement d’une bonne intrigue de western. La caméra a accompagné en travelling latéral les deux hommes, comme pour maintenir l’harmonie, encore fragile, qui vient de se créer entre eux. Le mouvement se stabilise pour les cadrer de nouveau ensemble, presque de face, mais à égalité. Une différence pourtant : Jeffords regarde un instant en arrière vers la danse, comme l’abandonnant à regret, tandis que Cochise regarde vers le Blanc, étonné de son intérêt et de ce qu’il permet d’espérer pour l’avenie.
C’est toujours Cochise qui entraîne Tom dans le mouvement continu du plan-séquence. Vers où ? À l’instant même où l’homme blanc prononce la phrase-clé (« Il faut comprendre les autres »), apparaît dans le fond, entre les deux hommes, dans sa tente, installée et parée comme une déesse, Sonseeahray. La tente n’est plus une simple habitation, mais une sorte de temple sacré. L’homme qui était venu pour régler des affaires importantes mais qui demeuraient du domaine du profane, s’est approché du sacré en participant au cercle de la danse liturgique. Il touche ici à des valeurs qui transcendent les échanges diplomatiques de la discussion sous la tente. La phrase de Jefford, « je respecte les tiens » (28’48”), réaffirme ce qui de l’ordre des valeurs : le respect mutuel.
La série de champs-contrechamps qui suit décrit alors un échange réellement à égalité. Comme le rappelle Cochise, ils sont toujours adversaires, mais ils ont des valeurs en commun que n’ont pas les autres. Jeffords devient une sorte d’élu et Cochise peut désormais (29’02”) lui faire franchir un pas de plus en lui révélant ce qui devrait n’être connu que des Apaches et en lui offrant de bénéficier de pouvoirs magiques de la vierge, réservés aux initiés. Après un face à face où ils sont à nouveau à égalité autour de l’entrée, Jeffords peut pénétrer au cœur du lieu sacré de cette cérémonie « unique ». (29’33”).