Grand voyage (Le)

Catégorie :

1h 00’ 32” à 1h 02’ 42” (= 2’12”)*

* Le minutage peut varier de quelques secondes selon le mode de lecture : projecteur ciné, lecteur DVD, ordinateur…).

Sur la route vers Damas, le père a puisé dans ses réserves financières pour payer essence et nourriture après le vol attribué à Mustafa. Une surchauffe du moteur les oblige à s’arrêter. Reda ouvre le capot de la voiture, prend un jerrican et va le remplir à une fontaine toute proche pendant que son père va également à la fontaine. Les femmes ont fui l’arrivée des deux hommes…

Reda est en train de remplir le radiateur de la voiture quant une femme vêtue de noir, bas du visage voilé, accompagnée d’une fillette, s’approche de lui et lui tend la main, demandant l’aumône. Elle accompagne da demande de prières rituelles. Reda se tourne à deux reprises vers elle, irrité avant qu’elle ne passe son chemin. Il se retourne vers elle… En contrechamp, la femme qui s’éloigne dont le vêtement masquait la totalité du champ dévoile le père en train de se désaltérer à la fontaine. Ce mouvement du vêtement fait office de rideau de scène ou de volet ouvrant sur une scène assez large composée d’éléments simples : la fontaine, l’homme, sa bouilloire posée au sol, un seul arbre… En arrière-plan, des lignes géométriques élémentaires formées par les murs, le bâtiment et la fontaine elle-même. Le tout compose un tableau allégorique du type : le vieil homme et la mendiante.

Un bref retour à Reda le montre attentif à la réaction de son père, somme un test. L’enjeu est posé du point de vue de Reda pour qui importe seulement la réalité matérielle : ils manquent d’argent et la situation de la femme ne le concerne pas.

Le retour au père et à la mendiante à l’enfant peut se faire plus serré, devenant un enjeu dramatique. L’homme sort de l’argent de sa poche et hésite. À l’évidence il fait d’abord un cheminement proche de celui de son fils : ils ont besoin de cet agent et cette femme a dss besoins : veuve, un enfant à charge… Dans un second temps, il se décide sans hésitation.

Retour sur Reda qui bondit littéralement comme s’il n’attendait que cela. Il passe de l’espace qu’il occupait autour de la voiture à celui qu’occupent son père, la mendiante et la fillette. De l’espace occidentalisé dominé par le calcul et la technique et le rendement à l’espace traditionnel de la fontaine où l’on se déplace à pieds. Son entrée dans le cadre (environnement) à l’ancienne se fait en balayant l’espace du cadre (filmique) comme l’avait fait la mendiante. Ce qu’il représente vient remplacer ce que représentait la femme en noir. Reda se place en outre visuellement entre son père et la mendiante, comme s’il boulait casser le lien qui les unit, signifié par l’aumone.

Le contrechamp serre Reda à la taille puis à la poitrine, renforçant la violence des reproches qu’il adresse à son père, dont on devine qu’ils déborde cette simple question d’argent. La caméra suit son déplacement vers la gauche lorsqu’il arrache le billet des mains de la mendiante. Mais il se trouve alors face à face avec elle, obligé d’affronter son regard accusateur : elle ne peut comprendre la réaction du jeune homme, n’étant pas du même monde, même s’il est lui aussi arabe. Ignore-t-il que la charité faite aux pauvres fait partie des préceptes du Coran ?

Un raccord sur le geste sacrilège de Reda, qui non seulement empêche le don mais reprend ce qu’il n’a même pas donné lui-même, nous fait passer à un contrechamp où Reda est de dos, le père de face, visage empli de ce que l’on peut appeler une sainte colère, fonçant sur son fils en le giflant. Dans ce mouvement, la mendiante est sortie du cadre : elle n’est que le prétexte à une lutte qui se circonscrit entre les deux hommes.

À l’instant où le père frappe le fils et lui reprend le billet qu’il va rendre à la mendiante, on retrouve le plan de la fontaine où Reda tentait de s’interposer entre le vieil homme et la femme. Cette fois, c’est lui qui, par la force de la gifle, est presque expulsé de l’espace dans lequel il s’est immiscé. Monté sur la margelle de la fontaine, le père domine légèrement le fils, comme animé d’un principe supérieur.

Conséquence directe : voici Reda seul en contrechamp, dans un espace quasiment vide, sans références ni signification. Un monde sans lois ni principes moraux et religieux où le jeune homme ne sait d’abord quelle attitude avoir avant d’en tirer les conséquences : il se moque du pèlerinage comme de la règle de l’aumône (en un mot, du Coran et de la Foi), et, puisque son père l’a repoussé, s’effondre le seul principe qui l’a conduit jusque-là, le respect de règles purement formelles comme l’obéissance au père de famille.

Un jeu de champ-contrechamp fait monter le ton entre l’étonnement du père de voir son autorité non pas bafouée, mais déniée et la vigueur avec laquelle Ralph réclame son passeport, symbole de la liberté à l’occidentale.

Lorsque le père rabaisse sa manche et se détourne, il signifie qu’il prend acte de leur rupture et de leur incompréhension totale, à quoi répond le contrechamp montrant Reda s’éloignant vers la voiture, rejoignant l’espace occidental. Geste de colère, le coup de pied dans le jerrican montre aussi que pour Reda, ce retour à l’occidentalisation ne le satisfait pas totalement et que la situation n’est pas réglée.

Pour le père non plus, puisque, finissant de baisser sa manche, il suit des yeux Reda d’abord hors champ qui apparaît bientôt derrière lui. Un petit muret les sépare, soulignant la distance qui s’est établie entre les deux hommes. Il marche d’un pas décisif, son sac sur le dos, mais dans une direction qui semble surprendre même son père, vers le fond de l’espace dévolu à la tradition et au passé. Le plan suivant, très large, le montre comme une petite silhouette

Le gravissement de cette montagne, sans but précis, a quelque chose d’une nouvelle épreuve que s’impose Reda à lui-même, de la poursuite d’un voyage initiatique obcur. Comme si, malgré tout, le jeune homme n’avait pas tout à fait rompu les liens avec son père et ce qu’il représente.

Le champ-contrechamp sur le père assis dans la voiture (1h 02’08”) et les plans de la montagne que gravit Reda disent son hésitation entre le repli sur soi et l’attente de ce fils dont dépend la réalisation du pèlerinage. Hésitation, mais aussi lien : l’accomplissement des préceptes du Coran et ses relations avec son fils ne peuvent se contredire… Ce n’est pas par hasard qu’il trouve la photo de Lisa, mais bien en cherchant. Elle lui donne la clé : elle fait partie de la vie de Reda et il lui faut l’accepter pour éccomplie son pèlerinage.

Le coucher de soleil qui clot cette séquence (1h 02’ 42”) avant le geste de conciliation du père inscrit lette conclusion dans une idée d’absolu et d’éternité : la solution, semble-t-il, n’appartient ni au père ni à Reda…

Images pour le repérage