Catégorie : Extraits
[00ââ33â37 â 00 »36’10] â Des mains qui fabriquent, des mains qui créent.
La séquence qui nous intéresse est travaillée par le triple discours de la création envisagée et mise à nu, à la fois du cà´té » ouvrier » comme du cà´té » artistique « . Le montage, par les effets d’associations qu’il permet, favorise l’exposition d’une pensée à la fois politique et artistique, poétique et sensible du cinéma dans le cinéma, du cinéma par le cinéma.
– Tout d’abord, Dziga Vertov, favorise les liens entre les plans qui se succèdent par la circulation du poétique plus que du narratif (on ne raconte rien ; on met en correspondance des plans qui n’ont pas de liens discursifs les uns avec les autres ; ils trouvent leur raison d’exister au sein du film en rapport avec ceux qui les précèdent ou qui les succèdent). Au plan des cheveux que l’on lavent généreusement, c’est le plan d’un drap que l’on essore vigoureusement qui lui succède. Au rasoir qui parcourt la joue du barbu, succède le plan d’une hachette que l’on aiguise minutieusement sur une meule. Et entre les chaussures que l’on astique, les cheveux que l’on sèche et que l’on coupe, c’est la main (vive, énergique) qui fait le lien, qui rapproche ces images qui ont en commun une certaine poésie du geste.
– Puis un second niveau discursif s’impose. Celui du travail derrière la table de montage où apparaît la pellicule (à 35 minutes et 09 secondes). Toujours la main’¦ avec plutà´t les doigts, les ongles de la monteuse au travail qui permettent le raccord avec les ongles de la femme que l’on embellit chez la manucure. Le vernis trouve un écho indirect avec la colle (on utilise un pinceau dans les deux cas) qui unit les images dans sa colleuse
– Enfin, c’est à 35 minutes et 21 secondes que le lien avec le cinéma (et sa « fabrication ») se fait le plus visible.
Une femme coud à la main. Puis une autre la machine, faisant défiler rapidement le morceau de tissu piqué. Le rapprochement visuel permis par le montage qui rend l’association poétique possible, favorise la métaphore : coudre, c’est coller des éléments entre eux, comme le font les ouvrières-couturières et les ouvrières-monteuses. Fil et colle : on assemble. Bobine de fil et bobine de film : on déroule. Trous dans le tissus ou perforations dans la pellicule : on fait défiler. Le travail des ouvrières devient la métaphore de celui de la monteuse. A certains égards, par le geste, elles font le même métier.
Cette séquence, plus que toutes les autres au sein du film, permet le rapprochement des plans, et favorise une poétique (celle du geste avant toute chose). Et c’est bien la politique des images qui est privilégiée à travers un montage qui juxtapose la pratique prolétarienne et artistique. Du tissu à la pellicule, de la table à couture à la table de montage : l’atelier est le lieu où s’exprimer le corps et les idées, le poétique et le politique.