Joue-la comme Beckham

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(1h 25’15” à  1h 26’15” = 1 minute environ.)*

*Le minutage peut varier de quelques secondes selon le moyen de visionnement (projecteur) ou de lecture utilisé (lecteur DVD, ordinateur…).

Jess vient d’obtenir de son père l’autorisation de quitter le mariage de sa sœur pour participer au match qui peut la qualifier pour aller jouer aux à‰tats-Unis. Suite à  une faute adverse, elle va tirer un coup franc devant les buts adverses.

Ce pourrait être une description objective, documentaire d’une phase décisive du jeu et de la carrière de Jess, ainsi que du film. Gurinder Chadha a choisi d’en faire un moment purement subjectif, voire onirique. Elle nous fait entrer progressivement dans la tête de Jess.

Dès le premier plan, la caméra saisit les cinq joueuses qui forment le mur devant le but en plongée verticale presque à  180°. Par un mouvement de grue, elle s’abaisse progressivement au niveau du mur de joueuses jusqu’à  être en légère contre-plongée. Dès le départ, le point de vue est extra-terrestre, quasi divin. Une idée de destin pèse sur ce qui va suivre. Nous ne sommes pas dans le quotidien mais dans un monde susceptible de s’affranchir des lois physiques ordinaires.

Le gros plan de Jess concentrée, semblant mesurer son tir après un rapide regard vers le ballon, nous situe lui du cà´té de la réalité de l’action sportive. Mais le gros plan du ballon nous fait accomplir un pas vers l’univers mental, obsessionnel de Jess, avec pour centre le ballon rond.

Le retour sur le visage de Jess se fait dans un cadre moins serré : c’est moins la concentration de Jess qui importe que ce qui l’envahit et que nous ne voyons pas.

Le contrechamp du regard de Jess n’est pas celui que l’on attendait, objectif, réaliste, du mur devant le but, mais la vision subjective, mentale de la jeune fille, son autre obsession qui risque de bloquer son geste et d’anéantir des rêves, les femmes de sa famille qui ont remplacé les joueuses.

Une fois que Jess s’est ressaisie, que le mur a repris sa place, nous voici brusquement transportés dans la fête du mariage de Pinky. Banal montage parallèle informatif correspondant à  un  » pendant que… « . mais la musique a fait le lien entre les deux univers et celui du mariage prolonge l’intrusion de la famille sur le terrain de sport, ramenant Jess à  sa culpabilité de n’être pas à  ce mariage, de transgresser les règles de la famille, même si c’est avec l’assentiment du père.

à€ l’atmosphère joyeuse de la fête succède le gros plan de Jo, attentif, sérieux, inquiet : il nous sert de relais pour revenir à  la réalité de la scène et de son enjeu : le but que doit marquer Jess sans se laisser perturber par la culpabilité.

Relais qui passe de Jo aux spectateurs dans la tribune, image de ce que nous sommes devant l’écran, puis à  Tony. Autant le regard de Jo était sévère, autant celui de Tony reflète bien plus l’angoisse, son tempérament plus sentimental lui faisant ressentir, comme une large part des spectateurs, les angoisses de Jess.

Changement d’axe avec Jules, de profil en enfilade avec les autres joueuses du mur. Elle aussi relaie notre angoisse, mais la dureté et la tension de son visage tranche le dilemme entre la fermeté de Jo et la compassion de Tony : pour Jules, à  l’évidence, seul compte le jeu, le but, gagner !

Aussità´t, nous retrouvons la plongée verticale à  180° plus radicale encore qu’au début. Gurinder Chadha mêle l’intervention possible de la Providence et un léger suspense entretenu par la durée de la course de Jess vers la ballon, le coup de pied décisif. Suspense qui nous fait espérer à  notre tour la réussite de Jess, ce que concrétise cet autre plan qui échappe à  l’esthétique du reportage sportif : le gros plan sur le ballon à  l’instant où le pied de Jess le frappe…

Puisque nous sommes entrés dans la subjectivité de Jess, la réalité importe peu, c’est-à -dire la trajectoire matérielle du ballon, que nous ne voyons pas mais que nous devinons à  travers les regards successifs des filles du mur, de Mel, enfin du gardien qui le reçoit. Nous ne suivons pas le ballon, mais le parcours de la caméra est assimilé à  celui du ballon, qui occupe totalement l’esprit de Jess, comme un objet irréel, ce qu’il est, puisqu’il ne dépend plus désormais de son action matérielle, une fois le coup de pied donné. Il ne réapparaît qu’une fois au fond des filets, une fois le but marqué non plus dans la tête de Jess ou dans la notre, mais sur le stade.

Au lieu de se produire sur ce dernier l’explosion de joie se produit d’abord dans la fête de mariage, avant de rebondir sur le visage de Jules et des autres. En un instant, tout se concilie et ce n’est qu’avec retard que nous comprenons que le tir de Jess a fait parcourir au ballon une trajectoire courbe, spécialité de David Backham, dont la figure implicite n’est plus en contradiction avec l’univers de la communauté sikh…

Photogrammes pour repérage