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La danse des parents au clair de lune (01’06’00 à  01’08’00)

Cette séquence débute sur le gros plan de l’autoradio et dure deux minutes. Elle n’a aucune importance dramatique, c’est-à -dire qu’elle n’apporte rien à  l’intrigue. Elle ne fait pas progresser l’histoire et pourrait a priori aisément être supprimée.

L’action – les parents se rejoignent pour danser tendrement au clair de lune – pourrait être traitée en deux ou trois plans. Pourtant, le réalisateur lui consacre deux minutes du film et surtout 28 plans ! Ce découpage de l’action donne toute son importance à  cette séquence : grâce à  la maîtrise de la mise en scène, elle apporte une forte charge émotive. En nous faisant ressentir habillement l’amour et l’admiration du fils pour ses parents (et sa mère en particulier), elle rendra d’autant plus cruelle (et donc plus intense) la dissolution familiale finale.

Le premier plan, un gros plan sur l’autoradio, a une valeur informative : le père cherche une station musicale. Le chant des grillons qui rend la nuit douce et accueillante va totalement disparaître de la bande son pour laisser entièrement la place à  une chanson de charme du célèbre crooner Frank Sinatra. Cette chanson va envelopper totalement la séquence et lui donner une partie de son glamour (on remarquera que, par sa clarté sonore, le morceau ne peut vraisemblablement pas  » sortir  » de l’autoradio).

Dans le plan suivant, on voit le père en plan moyen regarder hors-champ. Le montage répond à  notre attente en nous montrant  » l’objet  » de son regard dans le plan d’après : c’est ce qu’on appelle un contre-champ. Ce contre champ est un plan large dans lequel tous les personnages sont immobiles’€¦ à  l’exception d’un : notre attention est donc attirée par le mouvement de la mère qui avance dans l’encadrement de la porte fenêtre. Dans une logique de réalisation similaire, les deux plans qui suivent vont focaliser notre regard sur ce personnage. En effet, on nous montre d’abord Harry, puis son père regardant hors champ comme des spectateurs captivés par l’entrée en scène d’une star. Ces deux plans successifs amplifient donc l’importance de celui à  venir : un plan américain de la mère qui s’avance souriante vers la caméra.

Si l’on s’arrête un moment sur la composition de ce plan, on remarque qu’elle est encadrée par une paire de rideaux, et que la caméra souligne sa position surplombante (elle se trouve en haut des escaliers) par un léger mouvement de panoramique et une très légère contre plongée. Un plan de Harry puis de sa grand-mère viennent s’insérer dans l’alternance de champ/ contre-champ sur chacun des membres du couple. Comme nous, ils font partie du public.

Le vent dans les cheveux et dans la robe de la mère magnifie son personnage. La caméra de Marcelo Pineyro s’attarde sur l’expression des visages (gros plans) et sur la tendresse des gestes. La faible profondeur de champ (seul le premier plan est net) isole les personnages du reste d’un décor romantique à  souhait. Entre les deux visages filmés de profils, un cœur se découpe sur le coucher de soleil : l’intensité émotive est alors à  son comble. Attaché au point de vue de Harry, dont des plans entrecoupent la scène, le spectateur se laisse charmer par ce modèle archétypal d’amour absolu. Ainsi, il pourra prendre, le moment venu, toute la mesure de la séparation du fils et de ses parents.

Cécile Paturel, le 25 aoà»t 2008