Suggérer / comparer / associer

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Suggérer, comparer, associer : comment tout dire, l’air de rien ?

La Soif du mal – 1958 – Orson Welles
Twin Peaks, 1990 – David Lynch
Au cinéma, art du récit, la construction des personnages passe par leurs gestes, leur registre de langue, le grain de leur voix, etc. En bref, ce qui émane du corps de l’acteur et de son jeu. Mais un personnage s’élabore aussi bien sûr par la mise en scène ? mouvement de caméra, échelle des plans, éclairage, couleur… – qui transcende la présence de l’acteur.
Dans ces deux extraits, c’est par la composition du cadre que passe cette caractérisation. Dans La Soif du mal, Quinlan, flic verreux au bout du rouleau, est associé à un élément du cadre, celui d’une tête de taureau de corrida transpercée d’épées. Le montage choisi d’insister sur ce plan en le montrant 3 fois. Son opposant, Vargas le héros droit et impartial du film apparaît, plus furtivement, surcadré par un miroir qui le fait appartenir momentanément aux photos de toréros accrochées sur les murs de la pièce. La métaphore est évidente. Nous sommes à la fin du film, Quinlan n’en a manifestement plus pour longtemps. Nous attendons l’estocade.
David Lynch parodie cette technique dans la série Twin Peaks pour caractériser et ridiculiser Hank Jenning, personnage dont la femme est secrètement amoureuse d’un autre homme : il lui fais littéralement porter des cornes.

M le Maudit, 1931 – Fritz Lang
Dans cet extrait, Fritz Lang mélange deux réunions. Celle de la pègre et celle de la police sont montées selon le principe du montage alterné afin de créer un effet de similarité entre ces deux groupes sociaux. Le montage alterné se définit par le tricotage de deux séquences ayant lieu en même temps. Cette technique favorise les comparaisons entre les deux séquences : les analogies mais aussi les différences se révèlent facilement.
Mais Lang rapproche encore les deux groupes en choisissant de raccorder le mouvement de bras du chef des truands avec celui du chef de la police : le second termine le geste amorcé par le premier dans le plan précédent. Enfin, il réalise ce qu’on peut appeler ici un « raccord ambiance » ou un « raccord objet ». Lang fait fumer presque à outrance tous ses personnages, brouillant ainsi la frontière visuelle entre les deux lieux de réunion.

La Grève, 1925 – Eisenstein
Les Temps modernes, 1936 – Charlie Chaplin
Contrairement au montage alterné utilisé précédemment, les réalisateurs alternent ici des séquences n’ayant pas eu lieu en même temps : c’est la définition du montage parallèle. Cette technique qui consiste à convoquer des images qui n’ont pas de rapport direct dans l’histoire (des images extradiégétiques donc) travaille sur le rapport d’analogie directe entre les figures des deux séquences. Pour Eisenstein, les grévistes sont abattus comme du bétail à l’abattoir, tandis que Chaplin compare la masse des travailleurs se rendant à l’usine à un troupeau de moutons dociles. On remarquera que Chaplin complète sa métaphore par un fondu enchaîné – qui insiste sur l’analogie visuelle ? ainsi que par un thème musical identique pour les deux séquences.

Apocalypse Now, 1979 – Francis Ford Coppola
Un monde parfait, 1993 – Clint Eastwood
Beaucoup plus discret que le montage parallèle, le parti-pris utilisé ici est celui du montage son. Dans Apocalypse Now, le fracas des pales d’hélicoptères qui hante le jeune capitaine Willard jusque dans son sommeil est associé à un plan du ventilateur suspendu au plafond de sa chambre. Cette mise en scène traduit la persistance de ses images traumatisantes sur son quotidien.
Dans Un monde parfait, c’est le bruit d’un serpent à sonnette, qui n’a aucune existence dramatique (un son extradiégétique), qui a été ajouté au montage afin de donner au personnage de Terry Pugh sa dimension malfaisante.

Quai des Orfèvres, 1947 – Henri-Georges Clouzot
La Mort aux trousses, 1958 – Alfred Hitchcock
Enfin, Clouzot et Hichcock utilisent tout simplement un des principes même du montage dans ces deux extraits. Comme l’a montré Lev Koulechov, au cinéma les images n’existent pas indépendamment les uns des autres, elles coexistent entre elles, se contaminent. Ainsi, associé au regard d’un homme sur une femme sexy, le lait qui déborde de la casserole traduit le surplus de désir qui l’envahit soudain. Tandis que ce plan de tunnel dans lequel s’enfonce un train, placé juste après le plan du couple basculant sur son lit, a permit à Hitchcock de se vanter avec humour d’avoir entravé la morale au nez et à la barbe des censeurs du code Hays encore en vigueur au moment de la production du film.


Analyse et montage : Cécile Paturel