Catégorie : Extraits
Un extrait de Méfie-toi fillette (Little Rural Riding Hood), situé 2â54â après le début du cartoon, jusque 4â59â, ou 38â37â après le début du programme jusque 40â42â, soit une durée de 2â05â).
Abandonnant son Petit Chaperon Rouge rural prête à céder à ses avances pressantes, le Loup des champs est venu à la ville sur proposition de son cousin afin de rencontrer une vraie «  pin-up « …
Avec une certaine solennité, le Loup des villes tient par la main le Loup des champs pour entrer dans le temple du spectacle et des désirs que son cousin bave d’envie d’assouvir. à l’affectation du premier, poitrine bombée à l’excès, fleur à la boutonnière, haut-de-forme et canne à la main, les yeux clos, s’oppose l’agitation du second, regards tous azimuts, tête tournant sur elle-même à plus de 180°, haut-de-forme sautant sur le crâne, corps bondissant en apesanteur, remarques vulgaires à la bouche. Seul le cartoon peut faire accepter une telle représentation, réaliste dans le reflet de la psychologie des deux cousins mais totalement fantaisiste dans la représentation, en particulier la démarche animale du loup des champs, à quatre pattes.
La séquence progresse d’abord par fondu, nous entraînant en douceur dans le ce lieu de perdition. à table se poursuit l’opposition entre la dignité du loup des villes et la vulgarité du rural, incapable de dominer son langage et ses gestes que renforce l’irréalisme du cartoon : sauts sur la chaise, équilibre sur deux mains au bord de la table, les jambes nouées maintenant les pieds en l’air.
Dans la représentation de la scène de spectacle, Tex Avery joue pleinement sur la représentation réaliste convenue, respectant proportions, distances, directions de regard. Pourtant, l’angle de prise de vues, très bas, rappelle de façon totalement invraisemblable le point de vue «  mal élevé » du cousin toujours quadrupède !
Le rideau, le rond de lumière créent une attente du spectateur répondant à celle du Loup des champs (renforcée par un allongement de la perspective naturelle puis un rapide travelling avant), et le raccord cut sur l’ouverture du rideau, accomplissant les désirs conjoints du Loup des champs et du spectateur.
Ce jeu du regard et du désir se poursuit tout au long de la séquence avec une alternance entre ce qui se passe dans la salle, centré sur le regard concupiscent du loup rural, et la pin-up dansant et chantant sur scène avec des gestes de plus en plus aguicheurs.
Câest en même temps un jeu entre l’humanité et l’animalité. On notera que l’objet qu’offre le Loup des villes à son cousin campagnard a toutes les caractéristiques humaines (rondeur des seins, des cuisses, volume de la chevelure, finesse des attaches), comme si seul un tel objet pouvait satisfaire son appétit bestial de façon civilisée (et civilisatrice). à l’opposé, on se souvient du pauvre Chaperon rural délaissé, au physique moins sexy, affublée d’une dentition de lapin…
Progressivement s’introduit visuellement le thème de l’identité entre les deux loups, entre celui qui répond à ses instincts, ses pulsions, et celui qui les bride. «  Visuellement « , dans la mesure où Tex Avery utilise des éléments purement visuels renvoyant à des transformations psychologiques. La plus connue et qui intervient ici en premier consiste en ces yeux qui sortent réellement des orbites du Loup rural à la vue de la danseuse, comme pour se précipiter vers elle et la toucher (pas seulement du regard !). Il est difficile d’imaginer une illustration plus littérale et plus juste de la célèbre «  pulsion scopique » chère à Freud et Lacan. (Plan 9 de la séquence).
Tentant de réfréner l’agitation de son cousin, le Loup urbain ressent à l’évidence une gêne devant ces globes occulaires qui n’en sont plus et se dressent ainsi sans pudeur.
Lorsque le Loup rural se met à siffler vulgairement, le cousin de la ville tente, par le moyen physique le plus simple d’arrêter ce sifflement comme il le ferait d’un simple tuyau, à quoi est ainsi réduit le mâle surexcité. Mais les voici tous deux réduits à une tuyauterie â honte pour celui qui se veut au-dessus du vulgaire â, par un système de vases communicants que seul le cartoon peut faire admettre, rire aidant : le souffle traverse les corps, ressortant par les lèvres du loup-gentleman.
Chaque tentative de ce dernier pour cacher les manifestations du désir incontrà´lé de son cousin se heurtent à un mouvement mécanique qui fait ressurgir ce qui jaillit hors du corps animal du paysan qu’il juge si mal dégrossi : tête sortant du plastron de la chemise, museau consumé par le feu (du désir ?), mains jaillissant des oreilles… Surtout le corps du rural se mêle de plus en plus à celui de l’urbain, sa tête jaillissant une nouvelle fois, mais de la chemise du civilisé ! (Plan 19).
Dans un dernier élan, avec un dédain de plus en plus marqué, le Loup des villes tente d’arrêter, du bout des doigts, mais avec un maillet improbable fruit de ses propres instincts (meurtriers ?) refoulés, la course de tout le corps du cousin indigne. En réussissant à régler physiquement et non par les moyens de la civilisation (la persuasion, la parole…) la situation, le représentant du monde supérieur ne s’est-il pas abaissé, révélant son manque de maîtrise ? Sâil rapatrie son cousin transformé en brouette, cela n’ouvre-t-il pas sur le retournement de situation qui va clore bientà´t le film, égalisant les deux cousins devant la puissance du désir et du monde physique ? Ce triomphe du physique, Tex Avery le fait sentir et comprendre merveilleusement par les moyens du cartoon, les moins matériels, réalistes et physiques qui soient !