Synopsis
Un écrivain sans inspiration ni travail, Jack Torrance, accepte le poste de gardien d’un hôtel fermé l’hiver, l’Overlook, isolé de toute civilisation, et ce malgré le fait que son prédécesseur, Grady y a massacré, lors d’une crise de démence, toute sa famille. Avec sa femme, Wendy, et son fils, Danny, qui possède un don de médium appelé le » Shining » à cause duquel il dit être effrayé par le lieu, l’auteur prend ses fonctions. Après leur avoir fait visiter l’endroit, le propriétaire, Ullmann, et le cuisinier-chef, Halloran, qui possède le même pouvoir que le petit garçon, laissent les Torrance entamer des mois de solitude.
Rapidement, la situation se détériore entre Jack, assailli par des cauchemars, son épouse et leur rejeton sujet à des visions terrifiantes liées à la chambre 237 qui abritait les Grady : Torrance ne tarde pas, lui aussi, à être victime de vues étranges, tandis que son exaspération face à son épouse augmente.
De violentes tempêtes de neige coupent toute communication dans la région d’Overlook : prévenu d’un événement par les pensées de Danny qu’il intercepte, Halloran, rentré chez lui, décide de braver la tempête pour le rejoindre.
Pendant ce temps, Jack rencontre des fantômes dans le bar de l’hôtel : lors d’une soirée, il fait la connaissance de Grady qui lui donne l’ordre de tuer sa famille, principalement son fils à cause de ses capacités extrasensorielles. L’écrivain se décide à agir : il attaque Wendy à la hache mais cette dernière parvient à le maîtriser et l’enferme dans le cellier d’où Grady le délivre, le laissant abattre Halloran, enfin arrivé sur les lieux. Il se lance à la poursuite de son épouse qui arrive à faire quitter l’hôtel à son fils. Réfugié dans le labyrinthe enneigé proche de l’établissement, il y affronte alors son père et il faudra toute son ingéniosité pour le vaincre. Torrance meurt, gelé, au petit matin.
Générique
Titre original : The Shining
Réalisation : Stanley Kubrick
Scénario : Stanley Kubrick, Diane Johnson, d’après le roman de Stephen King The Shining
Image : John Alcott
Son : Ivan Sharrock
Montage : Ray Lovejoy
Musique : Bartok (Musique pour cordes, percussion et célesta), Penderecki (Utrenja, Le réveil de Jacob et De Natura Sonoris) , Ligeti (Lontano), Wendy Carlos et Rachel Elkind
Décor : Roy Walker
Directeur artistique : Les Tomkins
Costume : Milena Canonero
Maquillage : Tom Smith
Coiffure : Leonard
Production : Hawk Film / Peregrine / Warner/ Stanley Kubrick, avec Roy Walker, Jan Harlan
Distribution : Warner-Columbla
Durée : 2 h, (durée originale : 2h26 mn)
Interprétation
Jack Torrance / Jack Nicholson
Wendy Torrance / Shelley Duvall
Danny Torrance / Danny Lloyd
Dick Hallorann / Scatman Crothers
Stuart Ullman / Barry Nelson
Charles Grady / Philip Stone
Lloyd, Le Barman / Joe Turkel
Bill Watson / Barry Dennen
Jeune femme dans la baignoire / Lia Beldam
Vieille femme dans la baignoire / Billie Gibson
Client blessé / Norman Gay
Hôtesse / Jana Sheldon
Rangers / David Baxt et Manning Redwood
Secrétaire / Aison Coleridge
Les filles de Grady / Lisa et Louise Burns
Sortie en France : novembre 1980
N.B: Dans la version française, Jack Nicholson est doublé par Jean-Louis Trintignant.
Autour du film
On s’en voudrait de subordonner une œuvre aussi riche que celle-ci à un seul paramètre technique : pourtant, à bien des égards, Shining est le film de la Steadicam, cette caméra inventée et maniée par Garrett Brown qui grâce à un harnais et à un moniteur incorporé à sa machinerie portative, permet de réussir ce à quoi aucun rail de travelling, ni aucune épaule ne parvient : parcourir les espaces les plus exigus, sans qu’un tremblement ou un tressautement ne vienne suggérer le support humain qui en programme les directives. La machine est, ici, plus qu’un adjuvant. L’emploi de son objectif, à la fois mobile et stable, se manifeste par des travellings avant et arrière d’une fluidité incroyable : ainsi, le final dans le labyrinthe doit son intensité à la mobilité des prises de vue qui, devant et derrière Jack et Danny, joue sur l’alternance de positions au sein d’une même course, empêchant de se retrouver dans la position, si rebattue aujourd’hui, de la caméra épousant les seuls déplacements de la force maléfique et donne véritablement l’impression que l’en-deçà de son objectif est un pur esprit, surveillant le père et le fils dans leur ultime combat.
Le surnaturel que Kubrick prend ici à bras-le-corps pour la seule fois de sa carrière n’a qu’une densité, celle de l’invisible : qu’on l’identifie parfois à travers des visions très brèves sous forme de plans fixes (les petites filles, les invités grotesques et terrifiants de la fin, la belle tentatrice devenant l’immonde aïeule pourrissante) ne doit pas nous faire oublier que, s’il produit des images, s’il peut même leur conférer la même apparence sensible que celle revêtue par les corps de la fiction (car Kubrick ne joue que très peu la carte du monstrueux traditionnel, exception faite de la vague sanglante, à notre sens, la seule faute de goût du film), il n’en demeure pas moins le souffle qui parcourt les lieux et ce, qu’il suive Danny sur son tricycle, Wendy dans la cour, ou Jack vers le comptoir du bar fantôme.
Cette question de l’autonomie du lieu n’est pas pour rien dans la création d’une atmosphère d’effroi, puisqu’on a ainsi l’impression que c’est l’âme de la maison que l’on découvre. Le fait de ne pas pouvoir l’identifier précisément nous pousse à aller dans la direction du fantastique pur : Kubrick étend les principes de cette inquiétude à son décor reproduisant des motifs symétriques (les losanges du tapis, les lampes de chevet et les posters d’Halloran disposés symétriquement autour de lui, les portes des couloirs) dont il prolonge l’étouffant pouvoir sur la figure-clef du labyrinthe. Du reste, l’impression que nous donne le réalisateur quant à sa manière de filmer et de monter son décor, où les escaliers, les portes, et les couloirs finissent par tous se ressembler, est une absence de repères constitutive du mythe du labyrinthe.
Que ce dernier soit convoqué n’est pas étonnant pour une œuvre qui s’enracine à ce point dans les peurs élémentaires (voir rubrique Pistes de travail) : Danny est Thésée ayant raison du minotaure auquel ressemble son père, et l’énergie qui se dégage du décor où ils s’affrontent peut aussi être vu comme l’extériorisation de la puissance dévastatrice de Jack, contrepoint de son impuissance créatrice. A son image (traduite par l’intensité lumineuse de Nicholson), Shining est le récit d’une involution, celle d’un homme littéralement aspiré par une matrice toute-puissante qui le réinstalle dans le temps primordial des premières fois et, en retour, lui demande le sacrifice de tout ce qui le rattache au temps linéaire. Si Jack meurt (gelé, c’est-à-dire aussi vaincu de l’intérieur, puis pétrifié dans le noir et blanc de la photo finale), c’est vaincu par celui qui connaît l’avenir, alors que lui n’est que le voyageur d’un éternel commencement. En cela, le labyrinthe et son souffle ne sont que des incarnations d’une temporalité lovée sur elle-même.
On s’en voudrait de figer un film sur une seule interprétation : rien, du reste, ne permet de clôturer Shining et son énigmatique photographie finale sur une signification définitive (Wendy voit bien des fantômes et la vague sanglante, preuves, in fine, qu’ils ne font pas partie du seul imaginaire de Jack et de Danny). Comme Lost Highway de Lynch ou L’heure du loup de Bergman, le film de Kubrick joue sur les pouvoirs du cinéma pour brouiller la frontière subjectif/objectif quant aux images qu’il nous propose. A chacun de le nourrir pour habiter ses béances.
Vidéos
Le travelling
Catégorie : Clefs pour le cinéma
Analyse et montage : Cécile Paturel
Pistes de travail
Devant un public qui, souvent dès le plus jeune âge, est familiarisé avec l’épouvante (les séries sur des enfants ou des adolescents-sorciers abondent), il peut être pertinent de travailler sur les notions de genre qu’implique Shining. On pourra, sitôt après avoir constaté l’apparition dans le film de phénomènes surnaturels, estimer leur statut suivant un critère simple : sont-ils donnés comme existant objectivement ou bien relativisés à la subjectivité d’un personnage ? Plus l’écart est maintenu entre les deux, plus le genre fantastique, qui est celui de l’évanescence, s’installe : lorsque l’une ou l’autre des options est clairement tranchée, on se situe soit du côté de l’étrange, soit du côté du merveilleux et de son versant terrifiant, l’épouvante. L’intérêt n’est, bien sûr, pas d’établir une simple taxinomie (d’ailleurs contestable, comme toute taxinomie), mais de voir combien le film de Kubrick joue jusqu’à la fin la carte du doute en référant ses visions défiant les lois naturelles (métamorphoses, apparition/disparition) à deux personnages largement soupçonnables de dérèglement mental, puisque l’un est donné comme installé dans la dépression, puis la démence, et l’autre doté d’un don de médium attribué à un mystérieux double qui peut aussi être interprété comme un cas de schizophrénie. On tient, avec ces exemples, la possibilité d’illustrer un des pouvoirs principaux du cinéma, celui de proposer des images qui puissent être comprises comme émanation du mental de ses protagonistes, et/ou comme apparences sensibles d’un monde autonome, parce que son mode d’intervention — la représentation analogique — nous pousse immédiatement à croire ce que nous voyons.
On s’aperçoit, de fait, que c’est lorsque le film fait partager les hallucinations de Jack et de Danny à Wendy qu’il choisit la voie du merveilleux et que le surnaturel peut apparaître comme élément vraisemblable de sa cohésion interne. Cette scène a un prolongement pour le moins obscur que les élèves ne manqueront pas de relever : ce sont les plans finals montrant Jack posant dans la photographie du bar de l’hôtel en 1921. En l’absence de toute explication rationnelle, on pourra arguer du mythe de l’Eternel Retour, que le film illustre, si on interprète le parcours de Jack comme celui d’un être migrant vers son origine, en admettant une conception du temps cyclique et non linéaire. Il sera, nous pensons, difficile de ne pas prendre en compte ce type d’interprétation tant elles sont voulues par le réalisateur lui-même (« De cette histoire, je ne veux donner aucune explication rationalisante. Je préfère utiliser des termes musicaux et parler de motifs, de variations et de résonances » ( rapportés par Ciment, Michel, p. 192). Cela n’empêche pas, bien sûr, de proposer des significations possibles : on constatera le nombre de références que le film entretient, parfois par allusion directe, parfois par reprise de motifs avec l’univers classique du merveilleux, conte (Les trois petits cochons, Barbe Bleue, Le petit poucet) ou récit mythologique (Thésée et le Minotaure sont convoqués à la fin, comme, du reste, Œdipe). On pourra observer, en parallèle combien, au fur et à mesure que le récit progresse, en réduisant ses intervalles (voir la succession des cartons indicatifs qui, au départ, marquent des périodes pour finir par indiquer des heures), sa matrice universelle se précise : le film opère alors une véritable plongée vers l’époque des histoires primitives, celles qui mettent en scène les peurs les plus ancestrales, comme si son enjeu tenait à retrouver, sous l’écorce d’une certaine civilisation contemporaine, le terreau des images primales et terrifiantes qui la constituent. On se souviendra alors que l’hôtel est bâti sur un cimetière indien dans une région où un épisode de la conquête de l’Ouest mettant en scène des actes de cannibalisme s’est déroulé, et que les fantômes y sont racistes et patriarcaux : s’il y a des figures du père primitif freudien ici, elles sont particulièrement terrifiantes et l’on comprend alors ce que la victoire de Danny a de symbolique.
Par ailleurs, et dans une autre optique, Shining est l’adaptation d’un roman de Stephen King qui est loin d’être négligeable et peut être envisagé dans un travail sur la comparaison entre le traitement cinématographique et littéraire de la terreur.
Fiche réalisée par Philippe Ortoli
28 septembre 2005
Expériences
Passionné par les phénomènes extrasensoriels et parapsychologiques, Kubrick, lorsqu’il reçoit le roman de Stephen King, envoyé par la Warner, The Shining, vient de terminer Barry Lyndon. Il est immédiatement intéressé par le projet (« Il y a quelque chose de fondamentalement mauvais dans la nature humaine. Un aspect diabolique. L’un des aspect des histoires d’horreur, c’est de montrer les archétypes de l’inconscient : de nous donner à voir cette zone d’ombre sans que nous ayons à y être directement confrontés » (cité dans Norman, Kagan, p.230) sur lequel, après avoir acheté les droits, il décide de s’atteler durant de longs mois de réflexion et d’écriture avec la romancière américain, Diane Johnson, par ailleurs enseignante à Berkeley et spécialiste du roman gothique. Ces longues discussions émaillées de lectures d’ouvrages théoriques (Bruno Bettelheim et sa Psychanalyse des contes de fée, Freud et son Inquiétante étrangeté), de canevas créés puis abandonnés, de coupes et découpes du (remarquable) travail de King, et de visionnage intensif de films d’horreur, sont coutumiers pour Kubrick qui prépare toujours très longuement ses films en amont. Madame Johnson raconte notamment (dans le livre de Kagan) comment la question de l’optique à choisir quant à la nature des créatures surnaturelles (esprits, corps, hallucinations) occupait leurs esprits. Il faut dire aussi que l’enjeu est important pour un cinéaste que l’on considère, à juste raison, comme un auteur à part dans le cinéma américain : King est un écrivain très populaire dont les adaptations cinématographiques commencent à pulluler (Christine de John Carpenter, Carrie de Brian de Palma, Les vampires de Salem de Tobe Hooper datent tous de la fin des années 70) et le genre du film d’épouvante, particulièrement avec des enfants, est fécond depuis le succès de L’exorciste de William Friedkin. De là à penser qu’en se lançant dans un tel projet, Kubrick tient à tout prix à ne rien imiter et à retourner aux fondements du genre, il n y a qu’un pas que certains choix du film (le fait qu’il se déroule presque toujours le jour ou que son hôtel ressemble à grand hôtel au confort moderne) confirment. L’œuvre sera donc ambitieuse et pour cela, a besoin de temps pour s’ébaucher.
Dans le même état d’esprit, le choix de Nicholson s’impose puisqu’il est pour le metteur en scène, pourtant coutumier des grands comédiens, « le plus grand comédien d’Hollywood aujourd’hui, l’égal des plus grands acteurs de composition du passé, comme Spencer Tracy et James Cagney » (Ciment, p.188), tout comme celui de Shelley Duvall qu’il admire chez Altman (dans Trois femmes, notamment). L’ambition de Kubrick se manifeste aussi par la décision de construire lui-même l’hôtel du film : le décorateur, Roy Walker et Kubrick se lancent, là encore, dans un travail très long et impressionnant, parcourant bon nombre d’hôtels américain en effectuant des photos de chacun d’eux afin de parvenir à composer le décor, pièce par pièce, en l’ajustant avec la plus grande minutie sur le réel : quand on souhaite, comme le réalisateur, éviter le poncif de la maison expressionniste, cet ancrage est primordial.
Le choix le plus spectaculaire de Kubrick demeure, néanmoins, celui d’employer, pour la première fois au cinéma, la Steadicam (cf rubrique Mise en scène), dont la maniabilité et la précision permettent de filmer des déplacements dans les espaces les plus inconfortables (escalier ou le labyrinthe final). Le tournage qui, comme toujours, est très long, est vécu comme éprouvant pour les comédiens à qui le réalisateur demande énormément de prises : Nicholson résume assez bien cette direction parfois brutale : « Stanley est tellement exigeant. Il est capable de recommencer une scène cinquante fois et vous avez intérêt à être à la hauteur. Il y a tellement de façons de marcher dans une pièce, de commander un petit déjeune ou d’avoir une trouille bleue dans un placard. L’idée de Stanley, c’est : comment arriver à faire comme ça n’a jamais été fait auparavant » (Kagan, p.233). L’intensité est telle qu’après le tournage, Shelley Duvall tombe dans une sévère dépression nerveuse.
Toujours dans le souci d’innover, le réalisateur refuse une bande-son originale et choisit d’exprimer la peur et l’effroi par des compositeurs contemporains (Bartok, Legeti et surtout Penderecki) qui se manifestent tous par l’utilisation de la dissonance, en particulier celle des violons, au sein de formes classiques. Le résultat, là encore, est saisissant, la folie du personnage étant sans cesse compétée, annoncée ou résumé par l’impression de disharmonie de la musique. Le résultat, commercialement, est un succès (47 millions de dollars de recette brute sur le marché Nord-Américain, un record pour le cinéaste après l’échec de Barry Lyndon), mais les critiques jugent le film décevant, surtout aux Etats-Unis où on le trouve trop flou quant à ses partis pris narratifs. En France, il n’est pas reconnu comme un grand Kubrick et certains y voient même de l’esbroufe (à l’exception notable de Michel Ciment et de Jean-Loup Bourget). Quelques années après, il est devenu une référence incontournable : Lynch s’en souvient dans Lost Highway, 1997, quand il filme ses héros évoluer dans des corridors très étroits, et l’ensemble des cinéastes asiatiques qui ont réinventé le cinéma d’horreur dans les années 90 (Nakata, ou Kurosawa ) doivent tous quelque chose à la manière qu’a le cinéaste de filmer ainsi la peur par le simple fait de suggérer que sa caméra est signe d’une présence dans un lieu où tout semble dire qu’il n’y a personne. Quant à Nicholson, après Vol au-dessus d’un nid de coucou de Forman (1974), il impose la démence comme élément incontournable de la figure actorielle qu’il représente.
Outils
Bibliographie
The Shining, l’enfant-lumière, King Stephen, Alta, Paris, 1979 (le roman qui a inspiré le film
Le territoire du Colorado, Bourget Jean-Loup, dans Positif n°234, septembre 1980
Critique du film, Lenne Gérard, La revue du cinéma n°355, novembre 1980
Les inconnus dans la maison, Oudard Jean-Pierre, dans Les Cahiers du cinéma n°317, novembre 1980
Kubrick, Ciment Michel, Calmann-Levy, 1987 (première édition : 1980) (interview très intéressante, pp180-197)
Le cinéma de Stanley Kubrick, Kagan Norman, Ramsay-Poche Cinéma, 1987 (première édition française : 1979, L’Age d’Homme) (analyse en forme de synthèse des divers articles de la presse anglo-saxonne, pp. 229-243).