Biographie
(1928-1999)
Stanley Kubrick est né dans le Bronx, à New York, le 26 juillet 1928 d’une famille juive originaire du centre de l’Europe. Son père, médecin célèbre, l’initie très tôt aux échecs – passion éternelle de Kubrick qui, comme de nombreuses photos de tournage en témoignent, consacrera à ce jeu la plupart des pauses sur ses tournages ( » Quant à George C.Scott dans Docteur Folamour, il voulait toujours faire une partie parce qu’il se prenait pour un bon joueur. Je pense que cela m’91a aidé pour travailler avec lui parce que je le battais régulièrement « , Ciment, Michel, p. 196). àlève peu brillant (sauf en mathématiques et en physique, autres passions du cinéaste), le jeune Stanley veut d »ord être musicien de jazz quand son père lui offre à treize ans son premier appareil photo et déclenche dans l’esprit de son garçon le farouche désir de se consacrer à la photographie.
Après quelques petites expositions durant ses études secondaires, Kubrick, un matin d’avril 1945, photographie un vendeur de journaux annonçant la mort de Roosevelt et la vend au magazine Look. Commence une collaboration avec le magazine américain qui l’envoie aux quatre coins des àtats-Unis. Pendant ces années d’apprentissage, Kubrick approfondit ses connaissances scientifiques en se plongeant dans la lecture d’ouvrages de vulgarisation et fréquente de plus en plus intensément les salles de cinéma new-yorkaises. Il découvre les nouveaux auteurs européens (Fellini, Ophuls, Bergman) et les » marginaux » de l’industrie hollywoodienne (Welles, Huston, Wellman, etc.). A cette époque, Kubrick se passionne aussi pour la théorie du cinéma, principalement celle du montage prônée par Poudvokine ( » La possibilité de montrer, en un bref instant, une action toute simple ’97 un homme fauchant le blé ’97 sous nombre d’angles différents, la possibilité de voir cette action d’une façon spéciale, impossible autrement que par le film, voilà tout ce dont il s’agit » (cité par Norman Kagan, p.14)), dans laquelle il pense lire la quintessence de l’art cinématographique.
Premiers pas dans le documentaire
En 1950, Stanley Kubrick est bien décidé à devenir cinéaste. Tout commence par la rencontre d’un ancien camarade d’école, Alexander Singer, qui travaille pour une maison de production d’actualités cinématographiques. Kubrick tournera trois documentaires (Day of the fight en 1951 sur le boxeur Walter Cartier, Flying Padre, la même année, sur un prêtre du Nouveau-Mexique, et Flying Padre, en 1953, sur un syndicat de marins).
Soutenu et encouragé par Joseph Burstyn, distributeur et exploitant new-yorkais, découvreur de Rossellini en Amérique, Stanley Kubrick quitte Look pour réaliser son premier long-métrage avec de l’argent familial. Fear and Desire, petit film de guerre fauché, est refusé par les grands distributeurs et ruine le cinéaste. Burstyn montre le film qui obtient un accueil plutôt favorable de la critique malgré sa non-sortie. Quelques mois plus tard, grâce à l’argent d’un de ses parents, pharmacien dans le Bronx, Kubrick tourne dans les rues de New York un petit polar somnambulique, Le baiser du tueur (1954). Le film ne marche pas mais attire de nouveau l’attention de la critique.
La révélation d’un cinéaste
Il faudra attendre une nouvelle rencontre, celle de James B. Harris, pour que la carrière de Stanley Kubrick prenne son véritable envol. Fils d’un grand distributeur, Harris est à la recherche d’un cinéaste avec lequel il pourrait s’associer pour fonder sa propre maison de production. Il voit Le baiser du tueur, l’aime, et propose à Kubrick de mettre sur pied la » Harris Kubrick Pictures » et de tourner L’Ultime Razzia, film magnifique d’après un roman noir de Lionel White adapté par Jim Thompson et interprété par Sterling Hayden, l’immortel Johnny Guitar du chef d’œuvres éponyme de Nicholas Ray. Le film, qui restera comme un classique du film noir crépusculaire, est remarqué par Dore Schary, directeur de production à la MGM, qui propose au tandem de choisir un sujet parmi les livres dont les droits appartiennent à la compagnie. Kubrick s’attelle à l’adaptation de Brà»lant Secret d’après Stefan Zweig mais, Schary quittant subitement le studio, le projet avorte. Kubrick propose alors à Harris un roman qu’il avait lu, il y a plusieurs années, Les Sentiers de la gloire. Grâce au soutien de Kirk Douglas, connu pour ses prises de position musclée à Hollywood, le projet se monte et le film se tourne en Allemagne, la France ayant refusé d’accueillir sur son territoire la production d’un tel sujet (les » fusillés pour l’exemple « , durant la Première Guerre mondiale). Les Sentiers de la gloire (1957) démontre l »surdité et l’inhumanité d’un tel conflit en s’attaquant au sommet de la hiérarchie militaire dont il peint les manigances et les ambitions démesurées. Le film triomphe et laisse appara’eetre les premiers signes du style baroque du cinéaste qui, loin d’enlever la force de la réalité montrée, l’accentue en lui donnant les aspects d’un cauchemar hallucinatoire. Ce qui surnage, déjà , est le thème du meurtre sur lequel se bâtit la cohésion sociale : Kubrick sera un cinéaste critique.
Du succès à l’indépendance
Les bénéfices du film et l’argent gagné par le cinéaste en collaborant au script de La Vengeance aux deux visages (1961) de Marlon Brando qui le renvoie du tournage en arguant de son incompétence pour réaliser lui-même le film, permettent au couple Kubrick-Harris d’acquérir les droits du célèbre roman de Vladimir Nabokov, Lolita . Avant de mettre en scène l’œuvre de l’écrivain, Kubrick, à la demande de Kirk Douglas, remplace Anthony Mann, le grand réalisateur de westerns tombé dans les superproductions sans âme, sur le tournage de Spartacus (1960). Superproduction de 12 millions de dollars, bénéficiant d’une distribution brillante (A douglas s’ajoutent Laughton, Peter Ustinov, Laurence Olivier, Tony Curtis, Woody Strode et Jean Simmons) Kubrick reniera toujours ce film dont il ne put changer le scénario qu’il trouvait idiot (en effet, l’incohérence majeure tenait au fait qu’on y occultait un moment de la vie de l’esclave révolté, durant lequel il préféra continuer à piller que d’être véritablement libre : Kubrick n’a jamais été un apôtre de l’héroà¯sme) mais dont la mise en scène reste remarquable. Il revient à Lolita en 1962 qu’il prépare avec Harris (ce dernier dira qu’encouragé par ce travail, il passa ensuite à la réalisation). Le projet déclenchant la fureur des ligues morales et des associations de familles américaines, le cinéaste part tourner le film en Angleterre où il s’installe définitivement.
Une carrière anglaise
Il y tourne l’année suivante Docteur Folamour (1963). Fort de la réussite commerciale de Lolita, le film est produit par Kubrick lui-même et fait un triomphe mondial, assurant ainsi au cinéaste les moyens financiers d’une indépendance totale : on ne présente plus cette version cynique et terrible de la fin du monde où, dans trois rôles différents, Peter Sellers, l’inoubliable inspecteur Clouseau de la série des Panthère rose, déjà vu dans Lolita, est extraordinaire. En 1968, Kubrick poursuit sa réflexion sur les machines de l’intelligence humaine avec le mythique 2001 : l’Odyssée de l’espace. Ce « film sur les formes ultimes de l’intelligence », selon ses propres mots, donne à Kubrick la place unique d’un cinéaste démiurge et visionnaire dont l’œuvre fait l’étude des rapports entre l’Homme et la Machine qui l’avale et le transforme en une pièce d’une mécanique infernale. Ce sera aussi le sujet du » film-culte » qu’il tourne d’après l’œuvre d’Anthony Burgess, en 1971, Orange Mécanique. Récit circulaire en deux parties, Orange Mécanique fait l’étude d’un cerveau totalement libéré, peu à peu dressé et apprivoisé par l’àtat et des méthodes qui s’avèrent plus violentes et terrifiantes que la sauvagerie du jeune homme. Ces deux œuvres qui sont aussi et surtout des réflexions philosophiques, voire des expériences, continuent de développer une vision extrêmement critique de l’homme, évoluant par la destruction systématique de l’autre et ne parvenant jamais qu’à la reconduire sous d’autres moyens.
Tourné en 1975, Barry Lyndon articule sa construction d’une façon proche de celle d’Orange Mécanique : le film nous montre d »ord l’ascension puis la chute de Redmond Barry, jeune et pauvre Irlandais ambitieux devenu Barry Lyndon, seigneur respecté puis humilié, dont l’existence se perdra dans le jeu et la déchéance. La machine démontée ici est l’aristocratie dont les rouages accueillent et rejettent avec la même précipitation les éléments extérieurs qui tentent de la pénétrer. Le soin apporté aux lumières du film (éclairé à la bougie en de nombreuses scènes) est remarquable.
Retour à une inspiration américaine
Peu après le tournage de Barry Lyndon, Stanley Kubrick lit le roman de Stephen King, The Shining, que la Warner lui a envoyé. Immédiatement emballé, Kubrick en préparera, avec la plus grande minutie et durant quatre années, l’adaptation. Shining (1980) explore de nouveau les mécanismes d’un cerveau qui transforme un hôtel retiré en labyrinthe mental aliénant et hanté. Il faudra ensuite attendre sept ans pour voir le terrible Full Metal Jacket (1987) et ses images implacables de l »surde banalité de la guerre ordinaire. Ses personnages ne sont plus les hauts gradés des Sentiers de la gloire mais les simples petits soldats dont on ne conna’eetra ni le passé ni l’avenir. Le Viêt-nam de Full Metal Jacket n’est plus cette grande scène où les shows se succèdent de plus en plus spectaculairement, comme dans le superbe Apocalypse Now (1979) de Francis Ford Coppola, mais un no man’s land triste qui dépouille lentement chaque individu de son identité. La partie du film traitant de l’entra’eenement des Marines rejoint, par la sécheresse de son découpage, la violence des Sentiers de la gloire.
Kubrick reste douze ans sans tourner, puis adapte une nouvelle d’Arthur Schnitzler, Traumnovelle : ce sera Eyes Wide Shut que sa mort, le 7 mars 1999 à Harpenden (Hertfordshire en Angleterre), ne lui permettra pas d’achever. Film posthume, donc, qui est aussi le dernier film du couple mythique Tom Cruise-Nicole Kidman dont il dissèque l’image autant qu’il la sublime, l’œuvre fait parfois songer à Shining dans son goà»t de l’étrangeté. Après la mort du cinéaste, Steven Spelberg réalisera en A.I., son dernier projet, une forme d’hommage.
On ne peut résumer une œuvre si importante qui a donné lieu à tant d’ouvrages, d’articles et de travaux universitaires : Kubrick a été un de ceux qui, avec Fellini, Bergman et Lynch, ont le plus développé un cinéma de l’intériorité, explorant le cerveau humain comme un réservoir d’images. D’où une œuvre émaillée de superproductions qui sont aussi de véritables essais philosophiques spectaculaires. Par ailleurs, le perfectionnisme du metteur en scène quant à la préparation de ses films, le caractère secret qui entourait leur mise en place, et sa réputation tyrannique en font une des figures (presque mythiques) majeures du cinéma d’auteur.
Filmographie
- 1951 Day of the fight (cm)
- 1951 Flying Padre (cm)
- 1952 The Seafarers (cm)
- 1953 Fear and Desire
- 1955 Le baiser du tueur (Killer's Kiss)
- 1956 L'Ultime Razzia (The Killing)
- 1957 Les Sentiers de la gloire (Paths of Glory)
- 1960 Spartacus
- 1962 Lolita
- 1964 Docteur Folamour (Dr. Strangelove, ou How I Learned to Stop Worrying and Love the Bomb)
- 1968 2001 : l'Odyssée de l'espace (2001 : A Space Odyssey)
- 1971 Orange Mécanique (A Clockwork Orange)
- 1975 Barry Lindon (id.)
- 1980 Shining (The Shining)
- 1987 Full Metal Jacket
- 1999 Eyes Wide Shut
Mise à jour le 13 mai 2009
Outils
Bibliographie
Kubrick, Ciment Michel, Calmann-Levy, 1987 (première édition : 1980)
(une somme émaillée d'analyses pertinentes et de longs entretiens)
Le cinéma de Stanley Kubrick, Kagan Norman, Ramsay-Poche Cinéma, 1987 (première édition française : 1979, L'Age d'Homme)
(Un travail remarquable de synthèse sur les approches anglosaxonnes de l'œuvre)
Stanley Kubrick, Giulinai Pierre, Rivages, 1989
(Etude thématique et filmographie commentée).
Le regard esthétique ou la visibilité selon Kubrick, Bernardi Sandro, Presses universitaires de Vincennes, 1994
(essai sur l'esthétique de Kubrick).
2001, le Futur selon Kubrick, Bizony Piers, Edition des Cahiers du cinéma, 2000 (première édition : 1984)
(un essai qui part du choc provoqué par 2001, l'odyssée de l'espace chez le critique).
Deux ans avec Kubrick, Raphael Frederic Plon, 2002
(récit des rapports que l'auteur, co-scénariste de Eyes Wide Shut entretenait avec Kubick).
Stanley Kubrick, une vie en instantanés, Kubrick Christiane, Editions des Cahiers du cinéma, 2002
(bel album de photos commentées avec une préface de Spielberg)
Stanley Kubrick, l'humain ni plus ni moins, Chion Michel, Cahiers du cinéma
Traité du combat moderne, films et fictions de Stanley Kubrick , Vidal Jordi Allia
The Stanley Kubrick Archives, Castle Alison, Taschen