Catégorie : Extraits
Notre analyse commence à la 6ème minute et 16 secondes du film et se conclut deux minutes plus tard : 6 plans seront analysés. Nous sommes dans le château de Sir Guy de Gisbourne, à Nottigham. Le Prince Jean va annoncer à ses convives qu’il est désormais le régent et il va tenter de favoriser une alliance entre Lady Marian et son hôte.
– Après un carton précisant le lieu où va se dérouler la première séquence, le premier plan apparaît dans un fondu enchaîné. Le point de vue est surélevé, la caméra effectue un panoramique de droite à gauche, nous présentant une fête en l’honneur du Prince Jean. Le premier cadre nous fait sentir que nous sommes dans l’antre du mal par la présence du feu qui enserre l’image : en haut, une torche qui brûle, en bas une cheminée où rôtit un chevreuil. L’atmosphère n’est plus au ciel dégagé et à la verdure comme dans le monde de Robin mais aux voûtes et à l’horizon cloîtré du château de Nottingham. Une lecture sémiologique, un peu académique, ajouterait que l’atmosphère négative est renforcée par le mouvement de caméra allant de la droite vers la gauche, soit prenant à rebours notre sens de lecture : une direction qui indique bien souvent que nous prenons le chemin du mal. Les motifs qui se déclinent dans ce plan vont appuyer le châtiment prochain du Prince Jean.
– Le deuxième plan semble tautologique : il démarre du même axe que le premier mais son mouvement diffère et souligne à nouveau que la mise en scène condamne les personnages présents dans ce lieu. L’essayiste René Noizet parle de «cynisme anthropomorphique »1 à propos de ce plan qui nous montre trois aigles apprivoisés et totalement soumis au premier plan de l’image avant de nous dévoiler le banquet où se trouvent les trois sbires du Prince Jean. La métaphore est explicite, d’autant que le plan se termine sur un chien rongeant des os alors qu’en fond sonore, on proclame la gloire du Prince Jean.
1/ René Noizet, Tous les chemins mènent à Hollywood, l’Harmattan, 1997, p 201.
La mise en scène affiche clairement ses affinités avec Robin en créant des rapprochements entre le bestiaire de la salle et la bande du Prince Jean.
Une autre connotation négative est donnée par le mouvement descendant de la caméra, comme un présage de la chute prochaine.
– Le troisième plan décline la même proposition. Le Prince Jean a rapté le trône mais l’œil de la caméra n’est pas dupe : à peine sur lui, elle se déplace en travelling arrière. Cela permet de donner des indications au niveau de la narration, le spectateur peut situer rapidement les différents personnages. Mais ce travelling contribue surtout à travailler l’opposition symbolique entre le Prince Jean et Robin des bois. Le premier n’arrive pas à occuper le cadre quand Robin s’y impose sans battage.
– Le quatrième plan montre le Prince Jean avec Marian. La finesse de la mise en scène de Curtiz se fait sentir. Aucun cadre sur le Prince Jean ne sera franc : ni de face, ni de profil, ni de ¾, comme si Curtiz illustrait littéralement la perversion de Jean, en faisant de lui un être déviant l’image. Un réalisateur œuvre également sur les détails et sur toute une série de rappels picturaux qui contribue à l’atmosphère du film. Par exemple, on remarque que Lady Marian porte deux broches avec des diamants verts alors que Sir Guy de Gisbourne, son promis dans l’esprit du Prince Jean, a des broches avec des diamants de couleurs rouges. Séparation picturale et symbolique : le rouge renvoyant à l’univers du Prince Jean alors que le vert à celui de Robin des bois.
– Le quatrième plan cloître Marian dans l’univers du Prince Jean, chaque partie du cadre, de l’amorce à l’arrière plan, est occupé par un de ses acolytes.
– Au cinquième plan, nous retrouvons le même cadre qu’au plan 4. Nous avons vu que le réalisateur a chargé de sens les éléments du décor (les animaux), les costumes (la couleur des diamants des broches), et l’organisation de l’espace : ces symboles construisent l’ambiance du film ; tracent le rôle et la moralité des personnages (le caractère d’un personnage n’existe au cinéma que dans la matérialité d’un espace et de ses composants). Dans ce plan, la mise en scène va se servir d’un accessoire pour annoncer la relation ultérieure entre Robin et Lady Marian.
Au moment où le Prince Jean va évoquer l’intérêt qu’il aurait à voir Lady Marian unie avec Sir Guy de Gisbourne, son riche allié ; Prince Jean joue avec une petite branche d’arbre. L’attention de Lady Marian naviguera entre le discours de Jean et ce qu’il tient dans sa main. Cet accessoire, sans grande utilité narrative, permet de comprendre que Lady Marian est le seul personnage double : son corps est à cette table mais son cœur va bientôt répondre aux appels de la forêt, de la nature et de l’impétueux collant vert de Robin des bois. La mise en scène glisse des indices, par des motifs, de son futur choix qui sera au antipode des plans du Prince Jean.
Il est intéressant de relever que le Prince Jean est un roi nu car il ne sait pas lire les signes que le destin lui envoie. A plusieurs reprises, il interprète à son avantage ce qui paraît être l’auspice d’une déconvenue. Lors de sa première séquence (2 minutes 34), il renverse une carafe de vin rouge, le vin s’écoule ainsi par terre sous ses yeux émerveillés d’y voir l’augure de l’application de ses volontés (faire couler le sang des Saxons). Seulement ce signe pouvait aussi signifier sa maladresse et son incapacité à être à la hauteur de la place qu’il convoite : un signe que cet ordre donné le conduira à sa chute. De même lorsqu’il joue avec la petite branche d’arbre en parlant de mariage à Lady Marian, sans le vouloir, il propose à la filleule de Richard Cœur de Lion un ailleurs, une capacité à ne plus porter attention à ses propres propos. Il est donc pervers, littéralement : celui qui met les signes sans dessus dessous.
– D’ailleurs le sixième plan, verra une première contrariété affichée au projet du Prince Jean. Après que Jean ait évoqué une possible liaison entre Guy de Gisbourne et Lady Marian, le plan 4 avait fait un panoramique entre les deux personnages : ce mouvement les avait quasiment rassemblés dans le même plan, à l’image du dessein du Prince. Cependant le 6ème plan, va trancher le lien symbolique qu’avait créé le plan 4. Car après avoir évoqué une deuxième fois Sir Guy de Gisbourne auprès de Marian, la caméra ne les lie plus ensemble (il n’y a pas de deuxième mouvement allant de l’un à l’autre). Sir Guy est donc isolé par un montage cut où le cadre le renvoie à sa solitude.
La mise en scène anticipe le choix de Marian en rompant la liaison effectuée par le mouvement de caméra du plan 4. Désormais, l’espace entre Marian et son prétendant aux yeux du Prince Jean, est définitivement clos.