Biographie
Née en avril 1946 à Paris, Claire Denis ne restera pas longtemps en France, puisque c’est à Djibouti que, tout enfant, elle part vivre pendant treize années. C’est à propos de cette époque qu’elle parle, en guise de résumé, d’ » expérience du colon « , de » déception, [du] sentiment (…) qu’on s’est fait avoir » (1).
Un chemin d’assistante-réalisatrice
Quand elle rentre à Paris où elle réussit, après l’avoir intégrée, l’Idhec en 1969, Claire Denis se sent très attirée par la photographie (principalement Nan Goldin), penchant qui expliquera, par la suite, le rigoureux travail de composition des cadres (principalement grâce au travail de sa complice, Agnès Godard) qui caractérisera son cinéma. Pour l’heure, elle apprend son art sous l’angle de sa rigoureuse organisation technico-artistique en devenant, de 1970 à 1988, assistant-réalisateur, d »ord comme Seconde (notamment avec Rivette), puis comme Première avec des metteurs en scène prestigieux. Peut-on tracer, sur la base de ces collaborations, des correspondances ? Il est tentant de lire chez les exilés wendersiens (Les ailes du désir, Paris, Texas), les errances de Jarmush (Down by Law), les singuliers itinéraires d’Adam (Retour à la bien-aimée) ou de Van Effenterre (Mais où est donc Ornicar) , voire les peintures de héros murés dans un mystère qui conditionne leurs actes (les 5 films avec Robert Enrico, principalement, Le vieux fusil, Le secret et Un neveu silencieux), des signes d’un univers de corps déracinés qui s’expriment par leurs mouvements plutôt que par leurs paroles.
Filmer des corps en lutte
Claire Denis, n’en déplaise à ceux qui pensent qu’une féministe sommeille derrière chaque cinéaste-femme (ce qui l’exaspère : ( » [on me pose souvent des questions du type] » Puisque vous êtes une femme, pourquoi n’êtes pas plus solidaire des femmes dans vos films ? » je réponds toujours que c’est une question limitée qui sous-entend qu’il faudrait que j’aie un discours féministe. Or, ça ne m’intéresse pas » (2).), s’orientera sur un cinéma d’acteurs, plutôt physique que cérébral, ce qui la classe à part dans un cinéma français souvent préoccupé de joutes oratoires ou de monologues concernés (Anthony Cordier, avec son récent Douches froides appara’eet comme un des rares réalisateurs à suivre cette voie qui est celle, par exemple, du cinéma asiatique d’un Wonk Kar Wa’ef ou d’un Hou Hsiao Hsien). Pour autant, cette recherche d’un langage du physique va de pair avec un souci constant de l’écriture : Claire Denis a signé (ou cosigné avec Fargeau) les scénarios de l’ensemble de ses œuvres qui ne se conçoivent pas, hors d’un solide fondement narratif. C’est là aussi l’originalité de ses huit long-métrages (deux documentaires et six fictions) et trois courts destinés à des collectifs thématiques que de se présenter aussi comme des histoires. Nénette et Boni le démontre brillamment avec son récit d’harmonie à reconquérir, ses seconds rôles pittoresques, et ses climax tendus.
C’est par l’esthétique des corps à la recherche de leur langage propre (fut-il trivial, comme dans Nénette et Boni où la réalisatrice filme la peau d’un Grégoire Colin surpris dans des activités intimes (il urine, se masturbe, sent fortement les objets)) que se déploie, ici, toute la dynamique des œuvres. Devenue donc cinéaste depuis 1988, Claire Denis privilégie un monde du » faire » plutôt que de l' » être « , se présentant comme la plus hawksienne des réalisateurs français dans ses portraits de héros qui, organisateurs de combats de coq (S’en fout la mort), tueur fragile (J’ai pas sommeil) légionnaires (Beau travail, adapté du Billy Budd de Melville, récompensé par le César 2001 de la meilleure photo et élu Meilleur film de l’année par l’hebdomadaire new-yorkais Village Voice), ou pizza’efolo sensuel (Nénette et Boni), sont sculptés par la lumière d’Agnès Godard dans la beauté de leurs gestes et de leurs réactions.
C’est en filmant le cannibalisme que la cinéaste passera de la peinture des surfaces à celle des entrailles : Trouble every day (séance spéciale à Cannes en 2001) est un poème parfois gore mais toujours attentif à la convulsive beauté qui se dégage des formes en mouvement. Sa peinture d’une brève liaison charnelle dans Vendredi soir en proposait le versant apaisé, ce que semble confirmer l’aspect méditatif de L’intrus. Il n’empêche que la singularité de ce regard qui donne à voir plutôt qu’à comprendre n’a pas fini de détonner dans un paysage souvent aseptisé.
» La Claire Denis en vedette « ,L’événement du jeudi 19-25 mai 1988, entretien par Michel Boujut, p. 131.
» Nénette et beaux mecs « , Les inrockuptibles, 31/07/01, entretien par Serge Kaganski et Arnaud Viviant, p. 26.
Filmographie
Assistante
Scénariste (hors ses films)
Actrice
Mise à jour le 4 mai 2009
Outils
Nénette et beaux mecs , Kagansky Serge et Viviant Arnaud, Les Inrockuptibles, 31 juillet 2001.
Claire Denis : Je me reconnais dans un cinéma qui fait confiance à la narration plastique , Lalanne Jean-Marc et Larcher Jérôme, Les cahiers du cinéma, avril 2000.
La Claire Denis en vedette ", Boujut Michel, L'événement du jeudi 19-25 mai 1988
(entretien à l'occasion de la sortie du premier long-métrage, Chocolat).
Les trois références sont des entretiens avec la réalisatrice réalisés au moment du film.
Le jeune cinéma français, René Prédal, Nathan-Université, 2002
(panorama documenté sur le contexte artistique dans lequel s'insère Claire Denis).
Films dans catalogue Images de la culture
Jacques Rivette, le veilleur de Claire Denis
Claire Denis la vagabonde de Sébastien Lifshitz