90’s

États-Unis (2018)

Genre : Comédie dramatique

Écriture cinématographique : Fiction

Lycéens et apprentis au cinéma 2024-2025

Synopsis

Dans le Los Angeles des années 90, Stevie, 13 ans, a du mal à trouver sa place entre sa mère
souvent absente et un grand frère caractériel. Quand une bande de skateurs le prend sous son aile, il se prépare à passer l’été de sa vie…

Générique

Scénariste et réalisateur : Jonah Hill
Directeur de la photo : Christopher Blauvelt
Monteur : Nick Houy
Musique originale : Trent Reznor & Atticus Ross

Autour du film

Un bijou de nostalgie pop et de délicatesse

En primo-réalisateur, Jonah Hill convoque sa passion pour le skate et un éventail de madeleines de Proust pop pré-internet. Une réussite, qui effleure avec justesse des émotions adolescentes intemporelles. Un couloir, silencieux. Soudain, au travers d’une porte surgit un petit corps, projeté violemment, et bientôt frappé, à terre, par un adolescent plus âgé. Ellipse. Le petit corps désormais ankylosé, sortant de sous une couette Tortues Ninja, arborant un T-shirt Street Fighter II, pénètre dans la chambre de son grand frère comme les premiers égyptologues dans la crypte de Ramsès II.

Fasciné par les reliques parfaitement ordonnées qu’il y trouve (posters de Mobb Deep et du Wu-Tang Clan, magazines de rap, sneakers, maillots et casquettes, K7 et CD), il sait qu’il faut jouir du trésor sans tarder, et panser avec lui ses blessures, car la brute qui le garde ne tardera pas à revenir.

La façon dont Jonah Hill, dès le début de son premier long métrage, pose son décor, son intrigue (somme toute très simples), mais aussi son regard, un authentique regard de cinéaste, est remarquable. Chaque plan résulte là d’une nécessité vitale, chaque scène semble comme arrachée au sirop mémoriel qui irrigue fatalement un film nommé 90’s (Mid90s, en VO), pour être restituée dans toute l’amertume et la violence de son présent.

Fortement autobiographique, 90’s raconte la découverte, par un kid de L.A. nommé Stevie, du skateboard et de sa culture. C’est un film qui entend se replonger dans une époque bénie –pour celui qui le réalise autant que pour l’auteur de ces lignes–, et célébrer la candeur des derniers feux d’un monde sans internet. Mais c’est surtout un film qui ne se contentera pas d’aligner, pour seul programme, les signes extérieurs de coolitude.

Jonah Hill évite la pornographie nostalgique

Oh bien sûr, ceux-ci sont là, à disposition, et on aurait tort de s’en priver : cette musique omniprésente, hip-hop et rock indé, sélectionnée avec un bon goût jamais démenti ; cette image 16 mm, délicieusement granuleuse et finement ciselée par Christopher Blauvelt (le chef opérateur de Kelly Reichardt et du dernier Gus Van Sant, pendant le tournage duquel Hill l’a sans doute rencontré) ; ces angelots skateurs aux noms mythologiques (Sunny Suljic, Olan Prenatt, Na-Kel Smith), parfaitement castés par la légendaire Allison Jones (qui a découvert presque toute la bande à Apatow et sans qui Hollywood serait un lieu aujourd’hui moins joyeux). Tout est là, dans sa splendeur et son jus vintage, mais l’acteur-cinéaste refuse d’en faire de la pornographie nostalgique.

L’exaltation des premières fois

Plutôt, il procède par retranchement. Et parce qu’il ne raconte presque rien, réussit à tout dire. Assez resserré dans sa durée (1h25), 90’s est composé comme une toile impressionniste, tout à la peinture des sentiments et des sensations, rappelant à certains égards la Linklater’s touch.

On pense ainsi beaucoup à Slacker, Dazed and Confused ou Boyhood, plus encore qu’à Wassup Rockers (Larry Clark) ou Paranoid Park (Gus Van Sant). Mais le sujet de Jonah Hill est autre que celui de ses maîtres et, sans être radicalement original, est traité ici avec une obstination rare. Son tableau à lui ne vise à restituer qu’une émotion, une seule, aussi pure que ténue : l’exaltation des premières fois. Premiers amis vraiment choisis, premières figures de skate réussies, premiers baisers sur du Nirvana, premiers émois culturels ; mais aussi premiers coups durs.

Une infinie délicatesse

Tout le film s’emploie en fait à organiser le transfert d’une violence domestique subie (les baffes du grand frère, Ian, interprété par le renfrogné et bouleversant Lucas Hedges), parfois sourde (l’incommunicabilité avec la mère, jouée par Katherine Waterston), vers une violence choisie (les blessures occasionnées par les chutes), régulée (la rigidité quasi chevaleresque des skateurs), donc tolérable.

Et il le fait avec une infinie délicatesse. Par le choix de ne filmer que la pointe des événements et de maintenir le film dans une pudique pénombre, chaque geste se charge d’une émotion décuplée. Un exemple parmi d’autres : après une énième éruption de colère dirigée contre son petit frère, Ian fond en larmes, sans cause apparente ; et c’est magnifique, précisément parce que toute explication serait ici superflue, redondante –scénaristique. La violence s’en trouve soudain dénudée, rendue à son absurdité, et Jonah Hill montrera que c’est la culture qui permet, à défaut de l’éliminer, de lui donner sens. — Les Inrocks

Expériences

Des pro du skate

Jonah Hill a fait appel à des acteurs débutants pour incarner la bande de skateurs. Il s’agit du premier film de Na-Kel Smith, Olan Prenatt, Gio Galicia et Ryder McLaughlin. Tous évoluent dans le milieu du skate et en font depuis leur plus jeune âge. Seul Sunny Suljic, qui tient le rôle principal, avait une expérience d’acteur. Skateur professionnel, il est apparu dans Mise à mort du cerf sacré, Don’t Worry He Won’t Get Far On Foot et La Prophétie de l’horloge.

Un univers familier

S’il s’agit de sa première réalisation, Jonah Hill ne raconte pas pour autant une histoire autobiographique dans 90’s. En revanche, il s’est inspiré d’un milieu qu’il a beaucoup fréquenté dans son adolescence, le skate : « je passais ma vie au tribunal, que l’on a recréé à l’identique dans le film, avec les graffitis et tout ce qui s’y trouvait à l’époque. Je n’étais pas très bon skateur, mais je cherchais avant tout à trouver une tribu, un groupe d’amis. […] Alors même si le film ne raconte pas mon histoire, la toile de fond du tribunal et de LA est la même que celle dans laquelle j’ai grandi ».

L’intervention de Spike Jonze

En pleine écriture de 90’s, Jonah Hill raconte à Spike Jonze, avec lequel il avait déjà écrit une pièce quelques années plus tôt, l’histoire de son film. Le résultat final est très différent de ce qu’il avait prévu, grâce à l’intervention de Jonze : « Il y avait beaucoup de flashbacks sur l’époque où j’avais 12 ans et où je faisais du skate. Spike m’a dit : ‘Tu as franchement l’air de t’ennuyer quand tu me racontes l’histoire du film, mais tu t’illumines quand tu parles des flashbacks. Il faudrait que tu écrives CETTE histoire’. »

4 ans

Jonah Hill a travaillé durant 4 ans à l’écriture du film : « Dès que j’étais seul ou que j’avais un surplus d’énergie, négative ou positive, je me plongeais dedans. C’était comme mon meilleur ami. Pendant ces 4 ans, j’allais au tribunal la nuit pour écrire. Je m’asseyais sur les marches sur lesquelles les jeunes s’assoient dans mon film, là où ils regardent les pros et leur parlent. Ensuite, je suis rapidement parti à New York où j’ai continué à travailler ».

Un morceau de rap culte

On peut entendre la chanson Liquid Swords du groupe GZA qui sert de transition entre le deuxième et le troisième acte du film. Les paroles, « That was the night everything changed » (« c’est la nuit où tout a changé »), servent de narration. C’était important pour Jonah Hill d’utiliser ce morceau qui a marqué son enfance : « Mon agent ne comprenait pas ce que ça voulait dire, certains n’aimaient pas GZA. J’aurais pu ne pas le mettre, mais ça faisait tellement partie de mon ADN que je devais l’intégrer ». 90’s a d’ailleurs été montré à Raekwon (rappeur et membre du groupe Wu-Tang Clan, qui parle sur la chanson de GZA) qui a pleuré à la fin de la projection.

Playlist 90’s

Jonah Hill n’a pas cherché à plonger à tout prix ses acteurs dans l’ambiance des années 90 car cette histoire est intemporelle selon lui. Il leur a toutefois donné des iPods avec une playlist des années 90, à l’instar de Martin Scorsese sur le tournage du Loup de Wall Street : « il m’avait fait une playlist de la musique de l’époque, c’était super intéressant et ça m’a beaucoup aidé ».