Synopsis
I. En 1415, le jeune roi Henry V, petit-fils d’édouard III et descendant d’Isabelle de France, accède au trône d’Angleterre. Les archevêques de Cantorbéry et d’Ely, craignant un projet de loi qui ôterait au clergé la moitié de ses propriétés, l’incitent à faire valoir ses » légitimes » prétentions à la couronne de France.
Henry V, recevant le hérault du roi de France, son cousin, lui fait part de sa décision et de sa détermination. Mais celui-ci offre au jeune roi, en guise de réponse de la part du Dauphin, des balles de tennis !
II. Tandis que dans la taverne d’East-Cheap se meurt le vieux Falstaff, le roi déjoue à Southampton un complot fomenté contre lui et fait exécuter les conjurés.
Dans le palais du roi de France, Charles VI tempère les ardeurs du Dauphin mais ne s’en prépare pas moins à la guerre, d’autant plus qu’un ultimatum vient de lui être adressé par l’intermédiaire du duc d’Exeter ; il en diffère cependant la réponse.
III. Les Anglais ont débarqué en Normandie et font le siège d’Harfleur. Mais des hésitations se manifestent dans leurs rangs. C’est alors qu’Henry V fait la preuve de son talent de chef de guerre et obtient la reddition de la ville.
Dans le palais de Rouen, tandis que sa fille Catherine apprend l’anglais avec sa dame de compagnie, le roi de France ordonne la capture d’Henry V.
Celui-ci campe près d’Azincourt en Picardie, lorsqu’on lui soumet le cas d’une exaction commise par le soldat Bardolphe ; intransigeant, le roi le condamne à la pendaison.
IV. Aussi bien dans le camp français que dans le camp anglais, on se prépare à l’affrontement. Henry V endosse la tenue de l’un de ses hommes et s’en va sonder incognito le moral de ses troupes. Il rejette une dernière fois l’offre de reddition du roi de France. La bataille s’engage, elle est féroce, prisonniers et pages sont exécutés. Les pertes sont considérables et le roi de France capitule.
V. Cinq ans plus tard, les deux rois se rencontrent à Troyes pour négocier le traité de paix. Henry V déclare son amour à Catherine, la fille du roi de France, et fait inclure leur mariage dans les clauses du traité. C’est l’apaisement, avant de nouveaux désastres qu’annonce la voix du choeur.
Distribution
Henry V
Chaque personnage est un faire-valoir de Henry V, la figure centrale et omnipotente. Né à Monmouth en 1387, et mort à Vincennes en 1422, il accède au trône d’Angleterre en 1413 et combat les Lollards (hérétiques anglais qui, au XVIe, participeront au mouvement qui suscitera la Réforme). Vainqueur des Français à Azincourt (1415), il occupe la Normandie et obtient, en 1420, au traité de Troyes, le titre de régent et héritier du royaume de France, et épouse Catherine de Valois, dont il aura, en 1921, un fils, le futur Henry VI » qui perdit la France et ensanglanta son Angleterre « .
Le personnage est complexe et se comprend mieux en se rappelant sa jeunesse, retracée dans » Henry IV « . Car c’est auprès de son père régicide, tenaillé par un sentiment de culpabilité, que le prince Henry prend conscience du dédoublement qui peut s’opérer entre l’homme d’état et l’homme privé, entre la politique et la morale. D’abord truand et prince, il rompt avec son passé comme il rompt avec Falstaff, et devient homme et roi. Roi idéal ? Comme il fut souvent décrit par les exégètes de Shakespeare. Ou un homme qui s’interroge sur sa situation de roi, remettant en cause sa relation avec ses sujets pour développer une problématique moderne ?
Le Choeur
Nulle part ailleurs dans les pièces de Shakespeare, il n’occupe un rôle aussi important. Véritable intercesseur entre le public et la scène, il stimule l’imagination des spectateurs, instaure une distance et participe grandement, de ce fait, à la » mise en représentation » des personnages.
L’archevêque de Cantorbéry et l’évêque d’ély
L’archevêque de Cantorbéry, Henry Chichele, ancien ambassadeur à la cour de France, est surtout chargé de donner une justification juridique et morale à une décision politique déjà arrêtée. Non sans arrière-pensées certes quant aux intérêts de l’église dont il a la charge, il a pour fonction, comme l’évêque d’ély, de nous donner d’emblée une image originale et nouvelle du roi : s’il est celui qui décide, il est aussi celui qui écoute, s’informe et tranche non tant au nom du droit divin mais au nom du droit humain. Les deux prélats assurent donc un parfait contrepoint à la première scène du film où Henry V apparaît tout en majesté.
Ceux de la taverne
A l’autre extrémité de la hiérarchie sociale, dans la taverne de Mistress Quickly, nous trouvons des soldats ou maraudeurs selon l’heure, aux grades approximatifs : Nym est appelé caporal, et Bardolphe, lieutenant (lui qui était caporal dans » Henry IV « , et qui le redeviendra, quelques scènes plus loin). Nym était fiancé à Mistress Quickly, mais c’est finalement Pistolet qui obtînt sa main et qui tient aujourd’hui l’auberge avec elle. Soudards trop humains, ils représentent les classes les plus populaires. Bardolphe sera condamné » pour l’exemple » et servira d’exutoire à un roi qui, de son côté, ne se privera pas de faire exécuter les prisonniers ! Quant à Pistolet, Branagh lui assigne un rôle qu’il n’avait pas dans la pièce : apprenant au soir de la bataille, la mort de sa femme, il incarne la » grande pitié » de la guerre et éclaire d’un jour lugubre les scènes finales. Enfin, l’âme de l’auberge, c’est le beau personnage de Quickly, femme de cœur, qui retrace avec une rare émotion les derniers instants de Falstaff, matamore extravagant issu de » Henry IV » que Branagh fait revivre le temps d’un bref et flamboyant flash-back.
Les trois conjurés
Richard, comte de Cambridge, second fils d’Edmond de Langley, duc d’York, par Isabelle de Castille, et grand-père d’Edouard IV, de Richard III et du duc de Clarence, Henry, lord Scroop de Masham et Sir Thomas Grey, chevalier de Northumberland, s’avèrent coupables d’avoir » pour quelques légers écus juré aux agents de la France de tuer le roi « . Dénoncés par Edmond de Mortimer (pour le compte de qui Cambridge complotait !), ils seront pour Henry V, l’occasion d’affirmer la fermeté de son pouvoir et de conforter ses visées belliqueuses à l’égard de la France : » Maintenant, milords, en France ! »
Les autres » Anglais »
Shakespeare joue admirablement des langues de ses différents personnages. Ainsi profite-t-il du mauvais anglais de Catherine pour glisser quelques plaisanteries grivoises qui, outre le plaisir immédiat du public, procure des respirations dans le développement dramatique. De même, utilise-t-il les accents et les idiotismes pour caractériser les officiers anglais : le Gallois Fluellen (qui s’avère, de plus, traditionaliste et obsédé par les » règles de guerre « ), le très susceptible Irlandais Macmorris et le très » valeureux » écossais Jamy. La conjonction des trois nations est source d’un comique parfaitement exploité.
Le capitaine Fluellen est tenu en grande estime par le duc d’Exeter, oncle du roi Henry V, qui a prononcé la sentence à l’encontre de Bardolphe. Aussi Pistolet plaidera-t-il auprès de Fluellen la grâce de son ami. Mais Fluellen, avec ses mots avalés et ses constantes et comiques références aux règlements militaires, se montrera un redoutable et intraitable procureur.
Charles VI
Le roi de France, le Bien-aimé ou le Fou (1368-1422), a d’abord régné sous la tutelle de ses oncles, les ducs d’Anjou, de Bourgogne, de Berry et de Bourbon. Frappé de démence en 1392, il laissa se développer une guerre civile entre les Armagnacs et les Bourguignons qui suscita la convoitise anglaise (Armagnacs et Bourguignons se retrouvant à Azincourt, les premiers du côté français et les seconds du côté anglais). Shakespeare en a fait un personnage sensé, certes pusillanime et vieilli, mais qui, par une certaine sagesse, parvient à tempérer l’arrogance insolente de son entourage. Il apparaît comme un personnage plein de faiblesses qui soulignent a contrario les qualités viriles du roi d’Angleterre. Ne fallait-il pas, par ailleurs, à la future reine d’Angleterre, la douce et espiègle Catherine de Valois, un père qui fût digne de son futur et illustre gendre !
Les Français
à l’exception du roi et de sa fille, ils sont globalement dépeints avec morgue et prétention. Mais il convient de réserver une place particulière à Montjoie : ambassadeur du roi de France auprès d’Henry V, il devient son véritable interlocuteur et une relation cordiale semble se nouer entre eux. Au contact du grand roi, Montjoie est peu à peu séduit par sa force, son humanité et sa grandeur.
Générique
Production Bruce Sharman, David Parfitt (ass.)
et Stephen Evans (exécutif)
Réalisation Kenneth Branagh
Adaptation Kenneth Branagh, d’après » Henry V » de W. Shakespeare
Directeur de la photo Mike Bradsel
Ingénieur du son David Crozier
Décors Tim Harvey
Costumes Phyllis Dalton (Oscar 1990)
Montage Mike Bradsell
Musique Patrick Doyle
Birmingham Symphony Orchestra
Interprétation :
Le Roi Henry V /Kenneth Branagh
Le choeur/ Derek Jacobi
Le Duc de Glocester, frère du roi /Simon Shepherd
Le Duc de Bedford, frère du roi /James Larkin
Le Duc d’Exeter, oncle du roi /Brian Blessed
Le Duc d’York, cousin du roi/ James Simmons
Le Comte de Westmoreland /Paul Gregory
L’Archevêque de Cantorbéry /Charles Kay
L’Evêque d’Ely /Alec Mac Cowen
Le Comte de Cambridge, conjuré/ Fabian Cartwright
Lord Scroop, conjuré/ Stephen Simms
Sir Thomas Grey, conjuré/ Jay Villiers
Fluellen, officier anglais/ Ian Holm
Sir Thomas Erpingham, officier /Edward Jewesbury
Gower, officier /Daniel Webb
Jamy, officier /Jimmy Yuill
Macmorris, officier /John Sessions
Bates, soldat anglais/ Shaun Prendergast
Court, soldat anglais /Pat Doyle
Williams, soldat anglais/ Michael Williams
Bardolphe /Richard Briers
Nym/ Geoffrey Hutchins
Pistolet /Robert Stephens
Falstaff /Robbie Coltrane
Le page/Christian Bale
Mistress Quickly, hôtesse /Judi Dench
Charles VI, roi de France/ Paul Scofield
Le Dauphin /Louis Michael Maloney
Catherine, fille de Charles VI /Emma Thompson
Montjoie, héraut de France /Christopher Ravenscroft
Film Couleur, 35 mm,
Format Panoramique (1/1,66)
Distribution AFMD
Sortie en France 16 janvier 1991
N° de visa 74 827
Durée 2h18
v
Autour du film
Un héros absurde ?
Rarement montée en Angleterre, Henry V n’avait fait l’objet que d’une seule adaptation cinématographique : tourné entre juin 43 et mai 44, le film de Laurence Olivier, la plus grosse production britannique à cette époque, se caractérisait par une grande fidélité au texte, un traitement esthétique qui s’inspirait des enluminures du Moyen âge et, surtout, un vigoureux panégyrique du vainqueur d’Azincourt. Le film s’inscrivait avec talent et brio dans le cadre de » l’effort de guerre » que l’Angleterre devait déployer au moment où Londres était sous le feu des bombardements allemands.
Pourtant, l’invasion de la France par les troupes d’Henry V était-elle beaucoup plus justifiée que l’occupation de la Pologne par les Allemands, quelque cinq siècles plus tard ? C’est en tout cas sur la question de la légitimité de l’invasion que s’ouvre la pièce et qui fait de » Henry V » une œuvre à part dans les drames historiques de Shakespeare. Car, derrière la construction linéaire de la pièce, se développent de nombreuses interrogations dont Branagh fait une lecture plus contemporaine. Il rompt avec la conception qui, de la Première à la Deuxième Guerre mondiale, fait d’Henry V une sorte de roi idéal, sans pour autant renouer avec une vision beaucoup plus sévère que l’on trouvait aussi bien sous la plume du grand critique littéraire Hazlitt (début XIXe) que chez le poète Swinburne : une brute sanguinaire doublée d’un hypocrite qui se retranche derrière l’église pour s’assurer une bonne conscience à bon compte !
Branagh semble davantage partager une conception qui s’est fait jour après guerre et que certains exégètes, tel Derek Traversi ( » Shakespeare, from Richard II to Henry V « , 1957), ont pu développer. Tenant d’une sorte de » real politik « , le roi parvient à faire la part à ce qui est de l’ordre de la réflexion, voire du doute, et ce qui requiert décision et action. » Nous ne sommes pas un tyran, mais un roi chrétien, chez qui la grâce tient la passion aussi étroitement enchaînée que le misérable chargé de fers dans nos prisons » (I, 2). Chrétien, il punira de mort celui qui aura volé une patène dans une église, quitte à renier ses engagements de jeunesse, cette part rebelle qu’il aura héritée d’une enfance bouleversée. Chef de guerre, il n’hésitera pas plus à faire exécuter les prisonniers – pour éviter que les Français ne soient tenter de les récupérer. Il aura cherché à faire du mieux possible son métier de roi, fût-ce au prix d’un terrible combat intérieur l’amenant à racheter à la fois une adolescence dépravée et le crime d’un père régicide.
C’est un esprit tourmenté, une conscience déchirée qui donnent à Henry V une modernité qui évoque le héros absurde de Camus ( » Non, dit le conquérant, ne croyez pas que, pour aimer l’action, il m’ait fallu désapprendre à penser » A. Camus, La Conquête in Le Mythe de Sisyphe). La fermeté de ses décisions ne l’empêche pas de mener une réflexion sur la légitimé de sa fonction : de quel droit (divin ?) puis-je disposer pour imposer la mort à celui » pour qui la violette a la même odeur que pour moi » ? Ainsi s’interrogera-t-il, incognito, face à un Williams qui lui rétorquera : » Mais si sa cause n’est pas juste, le roi en personne aura alors de fameux comptes à régler le jour où tous ces bras, ces jambes, ces têtes, fauchés dans la bataille, se recolleront au Jugement dernier… »
Branagh aura tenté de réinterroger le personnage à travers les représentations que nous nous en sommes faites, nous, lecteurs, cinéphiles ou spectateurs de théâtre d’aujourd’hui, conscients que par rapport aux mythes, ce sont davantage nos préoccupations qui se donnent à voir.
Jacques Petat, in Dossier » Collège au cinéma » n° 81, éd. CNC/Films de l’Estran
Autres points de vue
Le roi qui voulait être un homme
La guerre selon Kenneth Branagh n’est ni fraîche ni joyeuse. Elle est sale et puante, elle attaque les curs les plus purs aussi sûrement que le plus délétère des acides.
Branagh est en adoration devant son personnage, devant sa jeunesse et sa sagesse, son courage et sa tristesse. Il a tourné son film en gros plans, se dépêtrant tant bien (les scènes de bataille) que mal (les scènes galantes entre Henry et la princesse Catherine) de tout ce qui n’était pas pour lui l’essentiel : l’exercice de la royauté par un homme jeune, exactement semblable au commun des mortels et pourtant irréductiblement différent. Et il s’exerce à faire entendre le plus fort possible le contre-chant de la bande de soudards – les anciens compagnons de Falstaff – qui suivent l’armée d’Angleterre. Avec quelques retours en arrière extraits de » Henry IV « , Nym, Pistolet et Bardolphe redisent sans cesse l’humanité du roi, et Henry leur répond en affirmant sans cesse sa royauté. »
Thomas Sotinel, in Le Monde, 17 janvier 1991
Le roi Branagh
Branagh jouit, si l’on peut dire, d’une double intelligence. Acteur, il a compris un aspect essentiel du personnage de Henry V : mal à l’aise dans son rôle de souverain, il ne cesse de tenter d’approcher le peuple (d’où ses conversations avec les simples soldats, la nuit précédant la bataille). à l’inverse, le même homme est capable de tout (y compris l’exécution de ses propres amis) pour défendre le symbole du pouvoir qu’il incarne : la couronne du royaume de ses ancêtres.
Branagh, avec un aplomb remarquable, prend tout sur les épaules. Vous le voulez roi ? à l’image, il est roi. Vous le voulez soucieux, soldat défait, amoureux transi ? C’est le même ! Une grâce inouïe. Un charme magnétique. Une force bouleversante.
Bernard Géniès, in Le Nouvel Observateur, 31 janvier 1991
Vrai cinéma et véritable théâtre
Les Anglais ont le secret de Shakespeare et ce secret, nul à part Kurosawa n’est jamais parvenu vraiment à leur voler. C’est enfin, un peu dans la manière de Cyrano de Bergerac (on voit là l’intérêt de Depardieu), le bonheur d’un vrai moment de cinéma populaire, qui lie un travail d’image et de décor d’essence cinématographique à un refus de la profondeur de champ et du contrechamp qui est de nature théâtrale.
(Jean Roy, in L’Humanité, 23 janvier 1991)
Pistes de travail
Le film participe de nombreux » genres « , faisant appel à des » codes » de représentation volontairement divers – ce fut aussi pour Branagh une manière de retrouver ce mélange des genres propre au grand dralaturge. Il y a du pur film d’action, comme il y a de la pure comédie (cf. la leçon d’anglais ou la scène finale), mais il y a aussi du drame tantôt joué théâtralement, tantôt traité cinématographiquement, et il y a aussi des morceaux de bravoure et des scènes de totale émotion, etc.
Autant de moyens de dire son » envie » du film, la manière avec laquelle on veut y pénétrer.
Les réactions nationalistes ne manqueront pas. Et quoi de plus naturel dans la mesure où le nationalisme est précisément l’un des sujets majeurs de la pièce. Excellente façon d’aborder les données historiques nécessaires à la pleine compréhension du film.
Mais il est souhaitable – car nous sommes au cinéma, dans une branche relevant de l’art du spectacle – de bien ramener ces connaissances à celles des spectateurs. Spectateurs de Shakespeare vers 1600 (ce qu’ils savaient de cette histoire, quelle histoire vivaient-ils à cette époque-là) ; spectateurs d’aujourd’hui (notre connaissance de l’histoire anglaise, passée et récente, mais aussi notre propre histoire contemporaine qui connaît une étonnante résurgence des nationalismes). Le spectacle est toujours une relation vivante, en train de se faire, de se jouer entre ce que nous sommes, notre manière de voir les choses, et ce que l’on nous présente et qui nous amène à réagir. C’est le principe des trois boules de billard – le spectateur et les deux personnages : Que sait chacun d’eux des autres à chaque moment de l’évolution dramaturgique ? Particulièrement, nous savons, nous psectateurs, ce qui va se passer, mais eux (les personnages) savent » comment » ça s’est passé ! C’est leur regard que Branagh nous invite à partager.
Les jeux de regards – le regard n’est-il pas l’expression la plus évidente du pouvoir au cinéma – méritent d’être suivis attentivement. Pour y découvrir les enjeux de pouvoir, les subtilités stratégiques, mais aussi les articulations d’une écriture cinématographique qui se tisse à la manière d’un labyrinthe.
Alors , mieux que d’en trouver la sortie et l’improbable signification, souhaitons d’éprouver le plaisir de s’y perdre, seule chance d’entr’apercevoir la fulgurance d’une parole poétique.
Mise à jour: 17-06-04
Expériences
Civilisation et histoire
Théâtre et cinéma : une histoire de famille
Le cinéma est le dernier né des enfants des arts du spectacle. Il avait de plus cet handicap, à la naissance,d’être une curiosité scientifique bien vite reléguée dans les foires. Aussi dut-il bien vite retrouver sa famille d’origine et son cousin le plus proche, le théâtre, pour gagner un minimum d’honorabilité.
C’est ainsi que l’on fit appel aux célébrités du théâtre et que l’on puisa dans son immense répertoire. Shakespeare, bien sûr, parce qu’il est l’un des plus grands créateurs du théâtre occidental moderne, et qu’il participe, de plus, d’une culture anglo-saxonne. La grande Sarah Bernhardt joue dès 1900 le rôle titre d’Hamlet. Et quelques années plus tard Méliès en France ou Griffith aux Etats-Unis mettent en scène des pièces de Shakespeare. Rappelons, d’autre part, que c’est un film de théâtre, L’Assassinat du Duc de Guise, réalisé en 1908 par deux sociétaires de la Comédie-Française, qui participa grandement à la reconnaissance du cinéma comme un art à part entière.
Mais était-ce le théâtre qui conférait au cinéma ses lettres de noblesse, ou le cinéma qui les avait acquises par ses seules vertus ? Cette question va en fait occuper une grande partie du champ théorique du cinéma une bonne quarantaine d’années. Et ce n’était pas seulement une affaire théorique. Le cinéma se devait en effet d’affirmer son originalité, et pour ce faire, de s’opposer au théâtre.
Ecoutons l’un des premiers théoriciens du cinéma : » Il n’y a aucune analogie entre l’irréel fixe de l’écran et le réel changeant de la Scène… Le cinéma est né pour être la « Représentation totale d’Ame et de Corps », un conte visuel fait avec des images, peint avec des pinceaux de lumière. » Il s’agissait, pour lui, comme pour tous ceux qui vont constituer, en France, les Avant-gardes, de définir la photogénie du cinématographe : une musique de la lumière, plus proche des arts plastiques que de l’art dramatique. Et ces tendances vont tout naturellement aboutir, en 1924, à la conception du » cinéma pur » de l’abbé Brémond, illustrée par les films expérimentaux de Henri Chomette.
Si l’arrivée du parlant permit bien sûr un retour en force du théâtre et de bien belles réussites (Guitry), il faudra attendre les années 40 pour commencer à déculpabiliser les rapports théâtre/cinéma. Ainsi peut-on lire, en 1948/49, sous la plume de Jouvet – l’un des tout premiers à avoir perçu le génie de Welles, durant la guerre : » Le cinéma n’est qu’un mode nouveau, une branche nouvelle, une moderne activité de l’art dramatique, du théâtre… Pour porter Shakespeare à l’écran, il ne s’agit pas de l’envelopper dans une atmosphère ou de le recouvrir d’images, de lui donner du mouvement et du faste, de faire appel au pouvoir illimité de la caméra . Il s’agit de mettre en évidence les qualités essentielle de la poésie dramatique… d’arriver à ce que l’enregistrement et l’émission du texte aient pour le comédien comme pour le spectateur la même puissance, la même variété, la même humanité qu’il a eues au théâtre depuis trois cents ans. »
Et c’est bien ce qu’un cinéaste comme Orson Welles a réussi avec un dramaturge pour qui le théâtre était avant tout une pensée en action. » Il y a plus de cinéma, et du meilleur, dans un plan fixe de Macbeth d’Orson Welles que dans tous les travellings en extérieurs… Il y a plus de cinéma, et du grand, dans le seul Henry V [de Laurence Olivier] que dans 90% des films tirés de scénarios. La poésie pure n’est nullement celle qui ne veut rien dire… ; tous les exemples de l’abbé Brémond sont une illustration du contraire… Plus le cinéma se proposera d’être fidèle au texte, et à ses exigences théâtrales, plus nécessairement il devra approfondir son propre langage. »
(André Bazin, in » Qu’est-ce que le cinéma ? » Tome II).