Synopsis
Harry est le fils aîné d’une famille d’intellectuels de Buenos Aires. Son père est avocat, sa mère est professeur à l’université et son petit frère est le complice de toutes ses bêtises. Il mène une vie tout à fait normale pour un enfant de son âge jusqu’à ce jour de 1976 où un coup d’Etat fait basculer son quotidien…
Générique
Réalisation : Marcelo Pineyro
Scénario : Marcelo Figueras, Marcelo Pineyro
Image : Alfredo Mayo
Montage : Juan Carlos Macias
Son : Carlos Abate, Jose Luis Diaz
Production : Patagonik Film Group, Oscar Kraer S.A., Alquimia cinema
Distribution : Colifilms distribution
Format : 35 mm, couleurs
Durée : 1h44
Interprétation
Ricardo Darín / Papa
Cecilia Roth/ Maman
Hector Alterio / Grand-père
Fernanda Mistral / Grand-mère
Tomas Fonzi / Lucas
Matias Del Pozo / Harry
Autour du film
- La menace fantôme
C’est avant tout la relation parents-enfants qui est le sujet du film Kamchatka, non la dictature argentine. En 1 h 40, Marcelo Pineyro filme l’amour à l’œuvre. Il montre la façon dont l’amour qui soude la cellule familiale s’intensifie lorsque son union se trouve menacée. La situation politique en Argentine, elle, constitue une toile de fond. C’est l’élément déclencheur de l’histoire, la force extérieure qui déstabilise le quotidien des personnages en pesant sur leur destin. La junte militaire au pouvoir, les armes et les contrôles dont les argentins ont souffert à la fin des années 70 ne sont montrés qu’une seule fois, dans la troisième séquence du film (la mère et les deux garçons quittent la ville en voiture – 00’03’25). La situation politique est donc pratiquement absente des images, elle est uniquement présente par les dialogues entre les personnages. Il ne s’agit pas là d’une faiblesse du film mais de la conséquence du point de vue adopté. C’est Harry, le personnage principal, qui nous raconte l’histoire. Ce garçon d’une douzaine d’année est lui-même tenu à l’écart des événements dont il entend parler par les adultes qui l’entourent ou qu’il entraperçoit au détour d’un trajet en voiture. Comme notre point de vue de spectateur est restreint au sien pendant toute la durée du film (nous n’en savons pas plus que le personnage) la situation politique nous fera également l’effet d’un orage lointain et menaçant.
Cette connaissance approximative et tronquée de l’extérieur amène Harry à faire des suppositions sur son environnement. La mise en scène fait partager, non sans humour, les doutes et les considérations de Harry sur « l’ennemi ». Prenons par exemple le film à 00’04’50, à la fin de la troisième séquence évoquée ci-dessus (la mère et les deux garçons quittent la ville en voiture). Après que le stress de la mère à l’approche de la barrière de contrôle ait bousculé un instant le montage (le rythme s’accélère : les plans sont plus courts et plus nombreux), un plan moyen nous montre les deux enfants regardant le barrage de militaire par la vitre arrière de la voiture. La bande son est travaillée de façon originale. Une voix et une musique étrangère à la situation (la source de ce son n’est pas dans la séquence) viennent se superposer à l’image. Alors qu’on nous montre les soldats procédant aux contrôles des véhicules, le ton de la voix, indexé sur la musique, se fait mystérieux : « Les envahisseurs. Des êtres étranges dont la planète s’éteint. Leur destination : terre. Leur but : s’en emparer. ». A moins de connaître la série télé citée ici, le spectateur ne comprendra qu’après que ce son provient de la séquence suivante dans laquelle Harry regarde sa série préférée : Les envahisseurs (The Invaders). Le monteur du film a donc procédé à un raccord son : il fait se chevaucher la bande son d’une séquence B sur les derniers plans de la séquence A. Ce type de montage très courant sert généralement à adoucir le passage d’une séquence à une autre de façon à ne pas créer de rupture trop marquée. Mais ici, ce raccord son, nous renseigne aussi et surtout sur le regard de Harry sur l’armée : comme les Envahisseurs sont l’ennemi de David Vincent (le héros des Envahisseurs), la junte est l’ennemie de sa famille (et de son père en particulier qui prendra un pseudonyme inspiré du nom du héros : David Vicente).
- Une mise en scène au service de souvenirs idylliques
Avant l’apparition du titre, Harry nous parle au présent en voix off. Il va nous raconter son histoire personnelle qui, nous le savons dès le début, se finit mal (« la dernière fois que j’ai vu mon père »). Toujours avant l’apparition du titre, une séquence nous montre des images a priori sans rapport entre elles. Les effets de flous, les ralentis, les points de raccords très marqués (par exemple, les nombreux fondus au blanc qui produisent un effet flash) nous renseignent sur la nature de ces images qui se confirmera dans la dernière séquence : ce sont des souvenirs, des restes du moment de séparation entre Harry et ses parents. A la fin, les morceaux du puzzle s’assemblent : la fillette qui joue à la corde, les dès du jeu, la main du grand-père sur la sienne, le tuyau de la pompe à essence, la route, le disque solaire … sont les images ressassées d’un instant traumatisant.
Le film s’affirme donc comme un flash back, un retour dans la mémoire du jeune garçon. Comme chacun sait, la mémoire a tendance à enjoliver les moments de bonheur, notamment lorsqu’il s’agit de souvenirs d’enfance. Et en effet, ces derniers moments passés en famille sont montrés de façon très idyllique par le cinéaste. Marcelo Pineyro filme les derniers jours de la famille réunie et s’attache pour cela à mettre en scène essentiellement des scènes d’intimité familiale. Les racines professionnelles du réalisateur sont évidentes dans ce film (cf. fiche cinéaste) : le cinéaste vient de l’image publicitaire. On retrouve dans Kamtchaka cette habileté à créer des images somptueuses, techniquement irréprochables. La maison où la famille a trouvé refuge baigne dans une douceur paradisiaque tandis que la lumière automnale (rasante et cuivrée) des scènes d’extérieures favorise l’empathie avec le bonheur de Harry.
- Un mélodrame
La totalité du film tend vers la séparation finale qui, comme nous l’a annoncé Harry en voix off, est inéluctable. Pendant tout le film, le cinéaste prépare l’arrivée de cette scène clé afin qu’elle déclenche une émotion assez puissante pour de tirer les larmes du spectateur. En effet, Kamtchaka s’inscrit dans la veine du mélodrame (attention, ce mot parfois employé dans un sens péjoratif définit ici un genre à part entière). Le travail de la lumière rappelle d’ailleurs les films en technicolor de Douglas Sirk, un des maîtres du genre.
Immergé par la projection cinématographique dans la beauté de ces images et bercé par le généreux accompagnement musical, le spectateur se sent bien. Dans Kamchatka, les scènes de vie familiales priment sur l’intrigue. Le réalisateur s’attarde sur les scènes d’étreintes et sur l’expression des visages. Le choix d’un enfant, personnage encore naïf et innocent, pour le personnage principal est particulièrement habile, car il renforce encore (le point de vue restreint va également dans ce sens) l’identification du spectateur. Physiquement et psychologiquement, les personnages secondaires constituent des archétypes : la mère forte et aimante, le père courageux, drôle et complice, le petit frère ingénu, les grands-parents attentionnés… Le choix de situations rassurantes achève leur portrait et les rend particulièrement touchants : le petit frère qui reproduit maladroitement son signe de croix, le père qui coupe du bois en bras de chemise et sert les dents quand verse de l’alcool sur sa plaie, le grand-père qui apprend au garçonnet à conduire un tracteur… Dans sa réalisation, la scène de danse au clair de lune entre les parents (cf. analyse ci-dessus) est emblématique du genre.
Cécile Paturel, le 25 août 2008
Vidéos
Kamchatka
Catégorie : Extraits
La danse des parents au clair de lune (01â06â00 à 01â08â00)
Cette séquence débute sur le gros plan de l’autoradio et dure deux minutes. Elle n’a aucune importance dramatique, c’est-à -dire qu’elle n’apporte rien à l’intrigue. Elle ne fait pas progresser l’histoire et pourrait a priori aisément être supprimée.
Lâaction – les parents se rejoignent pour danser tendrement au clair de lune â pourrait être traitée en deux ou trois plans. Pourtant, le réalisateur lui consacre deux minutes du film et surtout 28 plans ! Ce découpage de l’action donne toute son importance à cette séquence : grâce à la maîtrise de la mise en scène, elle apporte une forte charge émotive. En nous faisant ressentir habillement l’amour et l’admiration du fils pour ses parents (et sa mère en particulier), elle rendra d’autant plus cruelle (et donc plus intense) la dissolution familiale finale.
Le premier plan, un gros plan sur l’autoradio, a une valeur informative : le père cherche une station musicale. Le chant des grillons qui rend la nuit douce et accueillante va totalement disparaître de la bande son pour laisser entièrement la place à une chanson de charme du célèbre crooner Frank Sinatra. Cette chanson va envelopper totalement la séquence et lui donner une partie de son glamour (on remarquera que, par sa clarté sonore, le morceau ne peut vraisemblablement pas » sortir » de l’autoradio).
Dans le plan suivant, on voit le père en plan moyen regarder hors-champ. Le montage répond à notre attente en nous montrant » l’objet » de son regard dans le plan d’après : c’est ce qu’on appelle un contre-champ. Ce contre champ est un plan large dans lequel tous les personnages sont immobiles’¦ à l’exception d’un : notre attention est donc attirée par le mouvement de la mère qui avance dans l’encadrement de la porte fenêtre. Dans une logique de réalisation similaire, les deux plans qui suivent vont focaliser notre regard sur ce personnage. En effet, on nous montre d’abord Harry, puis son père regardant hors champ comme des spectateurs captivés par l’entrée en scène d’une star. Ces deux plans successifs amplifient donc l’importance de celui à venir : un plan américain de la mère qui s’avance souriante vers la caméra.
Si l’on s’arrête un moment sur la composition de ce plan, on remarque qu’elle est encadrée par une paire de rideaux, et que la caméra souligne sa position surplombante (elle se trouve en haut des escaliers) par un léger mouvement de panoramique et une très légère contre plongée. Un plan de Harry puis de sa grand-mère viennent s’insérer dans l’alternance de champ/ contre-champ sur chacun des membres du couple. Comme nous, ils font partie du public.
Le vent dans les cheveux et dans la robe de la mère magnifie son personnage. La caméra de Marcelo Pineyro s’attarde sur l’expression des visages (gros plans) et sur la tendresse des gestes. La faible profondeur de champ (seul le premier plan est net) isole les personnages du reste d’un décor romantique à souhait. Entre les deux visages filmés de profils, un cÅur se découpe sur le coucher de soleil : l’intensité émotive est alors à son comble. Attaché au point de vue de Harry, dont des plans entrecoupent la scène, le spectateur se laisse charmer par ce modèle archétypal d’amour absolu. Ainsi, il pourra prendre, le moment venu, toute la mesure de la séparation du fils et de ses parents.
Cécile Paturel, le 25 aoà»t 2008
Pistes de travail
- Le point de vue
Qu’apprend on sur la dictature ? Comment ces informations sont elles obtenues ? Mettre à jour les notions de point de vue externe et de point de vue restreint. Raconter l’histoire selon le point de vue du petit frère, de la mère … puis raconter l’histoire d’un point de vue externe.
- L’émotion
Repérer puis analyser la mise en scène des scènes de discussion ou d’étreinte entre les membres de la famille (faible profondeur de champ, traitement du son : très ronds, découpage, obscurité, gradation des tailles de plans : du plus large au plus serré …)
- Le titre
A quoi le titre fait il référence ? A quelle valeur le film rend il discrètement hommage ? Kamchatka (zone géographique se situant à l’extrême est de la Russie) est le nom de l’enclave dans laquelle le père de Harry se réfugie lors de leur dernière partie de Risk. Au cours de cette partie, Harry domine son père en nombre de pions mais ne parvient finalement pas à le renverser. Au terme de cette partie et avant leur séparation, le père lui laisse ce mot qu’il érige en symbole de résistance en héritage moral.
- Le mélodrame
Comme tous les films de genre, le mélodrame a été beaucoup parodié. Il faut une réelle maîtrise pour parvenir à toucher le spectateur. Pour vous en rendre compte, repérez ses codes et essayez de réaliser à votre tour une parodie puis une véritable séquence mélodramatique. Quelle est la plus facile à mettre en scène ?
* Echos : la fiction dans la fiction.
Le film Kamchatka en tant que fiction contient plusieurs autres micro récits de fictions. C’est le cas des séries télévisées que regardent Harry et son frère (les Envahisseurs, le Saint) mais aussi du livre sur Houdini et du jeu Risk. Ces éléments jouent un rôle important car, tels des scénaristes en herbe, les enfants les incorporent à leur quotidien pour l’enrichir et se raconter des histoires. Ces micros scénarii intègrent et densifient ainsi l’intrigue du film.
Cécile Paturel, le 25 août 2008
Expériences
- La dictature de la junte militaire en Argentine
En mars 1976, un coup d’État dirigé par une junte de militaires renverse le gouvernement. La junte va immédiatement dissoudre les institutions démocratiques et ordonner la suspension de toute activité politique. Les partis existants, majoritairement de gauche et d’extrême gauche sont condamnés, et leurs membres sont violemment pourchassés, poussent un certain nombre d’entre eux à l’exil. Des milliers d’autres sont enlevés, emprisonnés sans procès, torturés et maintenus dans des camps de concentration. La grande majorité de ces personnes disparaissent sans laisser de trace, leurs corps n’étant que rarement retrouvés.De nombreux enlèvements se font en plein jour et les militaires se déplacent en convoi à travers le pays, véritables escadrons de la mort, pour organiser des kidnappings de masse. De nombreux enfants sont également enlevés avec leurs parents et seront parfois adoptés par la suite. Ces crimes donneront naissance au mouvement baptisé les Grands-Mères de la place de Mai, qui s’efforceront, jusqu’à aujourd’hui encore, de retrouver leurs petits-enfants disparus avec leurs parents. On compte entre dix et trente mille disparus, ainsi que dix mille prisonniers politiques depuis 1976.
Cécile Paturel, le 25 août 2008