Sidewalk Stories

États-Unis (1989)

Genre : Burlesque

Écriture cinématographique : Fiction

École et cinéma 2004-2005

Synopsis

En marge du quartier des affaires et des foules pressées, vivait en ce temps-là à New York un jeune artiste, qui tentait de gagner sa vie en croquant sur le trottoir le portrait des passants. Vivant de peu, même au cœur de l’hiver, il avait élu domicile dans un immeuble abandonné. Un soir, au détour d’une ruelle, il recueille une fillette, dont le père vient d’être assassiné. Il l’adopte et se débrouille tant bien que mal pour la nourrir, la vêtir et la loger. Leurs aventures, souvent cocasses, parfois un peu amères, mais toujours empreintes de tendresse, leur font arpenter les trottoirs, les asiles de nuit, les bibliothèques et les jardins publics, mais également l’appartement luxueux dune riche jeune femme. Lorsque la fillette retrouve enfin sa mère, l’artiste s’efface : il ne lui reste rien, pas même l’immeuble en ruine qui l’abritait. Et, le conte achevé, il réalise que le trottoir a l’odeur, le goût d’acier de la réalité.

Distribution

Les personnages du film relèvent de l’esthétique du cinéma muet. Ce cinéma ne produisait pas d’emblée des personnages, mais construisait des « types », avec une propension étonnante à la proverbialité : l’Artiste, la Petite Fille ne manquent pas d’individualité, mais échappent – pour un temps du moins – à l’identité, à la détermination historique. Ils génèrent dans Sidewalk Stories un temps raréfié, une sorte d’éternel présent. La musique, qui soutient chacun de leurs gestes, chacun de leurs mouvements, instaure une durée imaginaire, où chaque geste, chaque mouvement semble dégagé des pesanteurs terrestres. Le temps entier du film est construit d’une succession d’instants : chaque scène apporte sa couleur affective, à l’écart d’une trop raide logique narrative. Si bien que, lorsque le type se change en personnage, lorsque la dernière séquence inscrit l’Artiste dans le déterminisme de la durée historique – et au sein d’une réalité quasi documentaire –, avec l’apparition du son, le synchronisme, qui brutalement s’opère entre les images et les sons, prend à la lettre valeur d’asservissement.

Générique

Titre original : Sidewalk stories
Réalisation, scénario : Charles Lane.
Assistantes-réalisation : Jody O’Neil, Cassie Donovan.
Image : Bill Dill.
Montage : Anne Stein, Charles Lane.
Musique : Marc Marder.
Son : Paul Cote.
Production : Island Pictures, avec Howard M. Brickner, Vicki Lebenbaum et Jeff Pullman, Christopher Quinn
Sortie française : 25 avril 1990.
Durée : 1 h 37
Noir et blanc
Interprétation :
L’Artiste / Charles Lane
La Petite Fille / Nicole Alysia
La Jeune Femme / Sandye Wilson
Le Père / Darnell Williams
Le Danseur / George Riddick
Le portraitiste / Tom Hoover
Les gangsters de la ruelle / Robert Clohessy, Franklin Godon, Bobby Howard
La Mère de Bully / Angel Cappellino
Bully / Paul James Levin
Les kidnappeurs / Luis Ramos, John Trezza
Le Portier / Michael Baskin
Le Directeur de l’asile de nuit / Gerald Lane
La Bibliothécaire / Olivia Sklar
Le Cocher / Robert Tuftee
Chris Kapp, Jeffrey Carpentier, Bobby Johnson, Ben Schneeberg, Luis Garcia (Les sans-abri).

Prix de la Quinzaine des réalisateurs, Cannes, 1989.
Grand Prix et Prix du Public au Festival de l’Humour à Chamrousse, 1990.
D’autres prix viendront consacrer le succès du film, parmi lesquels on peut remarquer le Prix Spécial Guggenheim, couronnant Sidewalk Stories comme meilleure « source d’inspiration pour les enfants ».

Autour du film

Sidewalk Stories (Histoires de trottoir) est une comédie qui, sous couvert de faire revivre le personnage mythique du petit Vagabond créé par Charlie Chaplin – celui qui, dans Le Kid entreprenait d’adopter un enfant –, réserve cependant pour ses spectateurs quelques surprises. Certes, le film est en noir et blanc, mais les choses ne sont pas si simples qu’on puisse le dire « muet ». La montée sonore de la dernière séquence est là pour attester, non pas de l’absence du son dans toutes celles qui l’ont précédée, mais de son retrait. Et c’est bien de silence qu’il faut parler ici.
Nous avons rencontré Charles Lane dans l’hiver glacé de New York, celui-là même où il fit vivre, quatorze ans auparavant, son personnage de l’Artiste. « C’est en sortant d’un championnat de boxe, dit-il, que m’est venue l’idée du film. Je me hâtais de rentrer chez moi, c’était l’hiver, lorsqu’un clochard m’a abordé. J’ai d’abord eu un mouvement de recul, croyant qu’il voulait me taper de quelques cents. Mais j’ai été estomaqué quand il m’a demandé qui de Ray Sugar Leonard ou de Don Lalonde avait gagné le match. Alors j’ai reconnu en lui mon semblable, quelqu’un qui avait une vie, des passions. Tous mes films sont des comédies, seulement ils ont toujours plusieurs niveaux. C’est-à-dire que je ne travaille pas uniquement pour le niveau superficiel. Tous mes films sont politiques en un sens – je n’aime pas l’admettre, mais c’est vrai : ce sont avant tout des satires sociales. Avec le personnage de la fillette dans Sidewalk Stories, je voulais introduire la possibilité que mon personnage, l’Artiste, soit amené à s’occuper de quelqu’un d’autre. Sois le gardien de ton frère : c’était là le moteur de l’histoire. Mais cette histoire, universelle, je n’ai entrepris de la raconter qu’à seule fin de donner un visage et une voix à ceux qui traversent notre société comme des hommes invisibles : tous les sans-abri. »
Avec la légèreté, l’élégance souriante d’un danseur, Charles Lane, dans ce film se fait peintre portraitiste, et inscrit sur la toile le visage et la voix de ceux qui n’en ont pas.

Pistes de travail

  • L’effet de réalitéCe n’est qu’à la dernière séquence, autour du brasero, que l’on commence à ressentir le froid dans ce film. La revue O de conduite n°33 relate une partie des entretiens de l’UFFEJ et du Ministère de la Jeunesse et des Sports, qui se sont tenus en décembre 1998, et notamment l’intervention d’Anne-Sophie Zuber sur le regard des jeunes spectateurs. Après la vision de Sidewalk Stories, un nombre impressionnant d’enfants, affirme-t-elle, ont vu la dernière séquence en couleurs. Peut-être pas toutes les images de cette séquence, mais ils ont clairement perçu le rouge du feu. La montée du son, l’arrêt de l’histoire construisent un monde de pures sensations : l’effet de réalité est aussi affaire de construction.
  • La villeLe film découvre des aspects de New York bien différents des clichés habituels. Si New York est LA ville moderne par excellence, comment, plus généralement, se structure une ville ? Comment peut-on « lire » sa propre ville ?

    Fiche réalisée par Rose-Marie Godier
    24 septembre 2004

Expériences

Le Kid (Charlie Chaplin, 1921) revisité

C’est à la mort de Charlot que nous convia en 1952, dans Les feux de la rampe, Charlie Chaplin : Charlot meurt, non pas sur scène, mais en coulisse et face au spectacle de la beauté du monde, face au corps en mouvement d’une ballerine, qui prolonge encore le souvenir du petit Vagabond. Mais Charlot jamais ne fut un personnage ; comme Arlequin, et sous l’effet d’un curieux évhémérisme, il fut d’emblée un mythe. Chaplin le sait bien. Les mythes ne meurent pas, point n’est besoin de les ressusciter. Et si on les convoque, ce n’est pas à la manière dont on convoque les spectres, les doubles ou les fantômes, mais à seule fin de révéler dans le tissu de notre modernité d’anciennes forces oubliées.

Jean Renoir s’enthousiasmait pour les tragiques grecs, que le recours aux mythes, c’est-à-dire à des histoires que tout le monde connaissait, préservait de tout racontage d’histoires : « Dans une structure qui est toujours la même, on est libre d’améliorer ce qui est seul valable, le détail de l’expression humaine ». Ainsi, en recourant au mythe du petit Vagabond, Charles Lane n’entreprend pas un film nostalgique, encore moins archaïsant ; si l’on ne peut s’empêcher de voir, derrière la silhouette de l’Artiste, celle de l’homme à la canne, c’est que dans Sidewalk Stories le présent se fait réminiscent.

Dans ce film, que le spectateur ne peut envisager d’un regard innocent, une évidence s’impose : dès la rencontre entre l’Artiste et la fillette, dès l’adoption, est nécessairement inscrite pour nous leur finale séparation. Car, semblables aux spectateurs du théâtre grec, nous connaissons la fin. Et, de même que cette fin pesait sur la perception de la tragédie attique dès son commencement, de même la fin de la fable pèse-t-elle sur les images légères de Sidewalk Stories – non pas l’épilogue, qui reste une totale surprise, mais la fin de l’histoire d’amour entre les deux personnages.

Sidewalk Stories se joue dans l’éphémère, dans un temps précieux, fragile : dans un temps orienté. Aussi le film échappe-t-il au burlesque, au temps accéléré et au présent du ressenti, perpétuellement renouvelé, qui dans les films du genre autorise tout juste une lecture à court terme et provoque le rire. Dans Sidewalk Stories le réel n’est jamais loin, celui des rues, des commissariats, des asiles de nuit : le film, loin d’abstraire ses personnages de la réalité, entreprend de construire autour d’eux l’impalpable enclave du rêve et de la liberté. Assez loin du réel pour éviter l’émotion, et de l’irréel pour écarter le rire, la comédie progresse sur une ligne de crête – du moins jusqu’à sa toute fin.

Outils

Bibliographie

New York : chronique d’une ville sauvage, Jérôme Charyn, Découvertes Gallimard, Mémoire des lieux, 1994.
New York , New York : espace, pouvoir, citoyenneté dans une ville-monde, Catherine Pouzoulet, Belin, 2000.
Histoire de la ville, Leonardo Benevolo, Parenthèses, 2000.
Une histoire de la ville : pour repenser la société, Paul Blanquart, La Découverte, 1998.
Collage City, Colin Rowe et Fred Koetter, folio, 2002.

Les Naufragés, Patrick Declerck, Plon coll. Terre Humaine, 2001.
Les SDF et la ville : géographie du savoir-survivre, Djemila Zeneidi-Henry, Bréal, 2002.