Synopsis
À Caxton, petite ville du sud des États-Unis, une loi vient de passer autorisant un quota d’élèves noirs à intégrer un lycée fréquenté par des Blancs. Un homme nommé Adam Cramer arrive alors sur place pour enquêter auprès des habitants et savoir ce qu’ils pensent de cette réforme. Cet homme charismatique et beau parleur va rapidement semer le trouble dans la ville…
Distribution
William Shatner : Adam Cramer
Frank Maxwell : Tom McDaniel
Beverly Lunsford : Ella McDaniel
Robert Emhardt : Verne Shipman
Leo Gordon : Sam Griffin
Charles Barnes : Joey Greene
Charles Beaumont : Mr. Paton
Katherine Smith : Ruth McDaniel
George Clayton Johnson : Phil West
William F. Nolan : Bart Carey
Jeanne Cooper : Vi Griffin
Générique
Titre original : The Intruder
Réalisation : Roger Corman
Scénario : Charles Beaumont, d’après son roman
Production : Roger Corman et Gene Corman, pour Roger Corman Productions
Musique : Herman Stein
Photographie : Taylor Byars
Autour du film
Réalisateur connu pour ses nombreux films de genre, parmi lesquels les célèbres adaptations d’Edgar Allan Poe avec l’acteur Vincent Price, Roger Corman est également l’auteur d’un chef-d’œuvre du film noir, The Intruder, tourné en 1962. L’écrivain et scénariste de télévision Charles Beaumont adapte ici son propre roman, écrit deux ans auparavant.
C’est l’acteur William Shatner, futur capitaine Kirk dans Star Trek, qui incarne Adam Cramer : sous ses airs de gendre idéal se cache un prêcheur redoutable et un fauteur de troubles hautement dangereux. Roger Corman le filme sous tous les angles, avec une prédilection pour la contre-plongée lors des scènes où il harangue la foule, illustrant l’autorité et le pouvoir que détient ce personnage. Car Cramer est un manipulateur-né qui dit à la foule ce qu’elle veut entendre, attisant les pulsions les plus malsaines de tout un chacun, qui déborderont inexorablement vers la violence.
Le tournage du film s’est déroulé en décors naturels, Corman et son équipe se rendant dans différentes villes du Missouri, recrutant les gens du coin pour faire de la figuration. Peu d’entre eux goûtaient à l’ironie du propos et prenaient les discours d’Adam Cramer au sérieux, acclamant le personnage lors de ses violentes diatribes. Lorsque les habitants se rendaient compte de la supercherie, l’équipe devait partir au plus vite, escortée par la police locale.
Véritable brûlot politique, The Intruder rappelle les grandes heures du néoréalisme italien à travers ce témoignage d’un temps où la haine, la peur de l’autre et l’intolérance étaient encore la norme d’une certaine Amérique.
Malgré un accueil critique dithyrambique, The Intruder ne bénéficiera pas du même succès public – ce qui poussera Corman à ne plus tourner que des films de divertissement par la suite. Le cinéaste tentera toutefois de le ressortir sous deux autres titres, I Hate Your Guts et Shame, qu’il estimait plus accrocheurs et provocants. Ironiquement, The Intruder est aujourd’hui considéré comme son meilleur film. Cinquante ans plus tard, force est de constater que cette œuvre n’a pas pris une seule ride : sa description de la montée du populisme et de la manipulation des foules reste d’une troublante actualité.
Pistes de travail
Analyse de séquence
Chef-d’œuvre du film noir, ce long métrage a été tourné deux ans avant l’adoption du Civil Right Act, la loi qui interdit toute discrimination raciale aux États-Unis. Cet extrait montre comment Roger Corman réussi à représenter la haine et la violence du groupe extrémiste du Ku Klux Klan à travers l’usage d’un long plan fixe riche en symboles.
Roger Corman à propos de The Intruder et du livre Un intrus de Charles Beaumont
« Quand j’ai lu Un intrus, j’ai tout de suite vu que Chuck [a.k.a. Charles Beaumont] avait réussi quelque chose de remarquable. Il avait écrit un roman « politique » doté d’une conscience sociale sans tomber dans les écueils qui accompagnent habituellement ce genre de récits. Dans la plupart des romans que l’on pourrait qualifier d’engagés, l’intrigue a tendance à virer au sermon ; le lecteur referme en général le livre dans un grand bâillement, pour ne plus jamais le rouvrir. Chuck, lui, avait créé des personnages qui vous tiraient par la manche et vous forçaient à vivre l’intrigue à leurs côtés.
Au cours des années 1950, dans le sud des États-Unis, ouvrir les écoles aux enfants de couleur était une idée nouvelle, particulièrement subversive. Cela attisait tant de haines et de préjugés qu’il était extrêmement délicat de trouver une manière de traiter le sujet sans dresser un mur de controverse entre le lecteur et l’histoire. Pourtant, de la même façon que Harper Lee avait su toucher un large public avec un texte « politique » en laissant son personnage Atticus Finch nous guider dans Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur, Chuck a imaginé Adam Cramer : un type brillant, charmant, attentionné, et dangereusement séducteur. Un homme charismatique qui nourrit à notre insu de sombres desseins. Un personnage si complexe, si riche, si fascinant qu’il m’a été impossible de ne pas le suivre, où qu’il aille.
Je fus impressionné par Un intrus au point d’annoncer à Chuck que je comptais en acquérir les droits pour l’adapter au cinéma. Mais le sujet du livre était si sensible que malgré le succès de mes précédents films, personne n’accepta de le financer. Mon frère et moi avons donc été obligés d’hypothéquer nos maisons.
J’avais choisi de tourner dans le Missouri, un État assez éloigné du Sud profond, pensant pouvoir travailler tranquillement. Je me trompais. Il n’y avait pas besoin de pousser jusqu’en Alabama ou au Mississippi pour voir affleurer le racisme qui couvait à l’époque dans le pays. Nous avons dû adopter la technique du shoot and run : tourner la scène le plus vite possible, et prendre nos jambes à notre cou avant que les gens du coin ne comprennent ce qu’on était en train de filmer. La menace était réelle. Le dernier jour de tournage, je me rappelle avoir demandé à l’équipe et aux acteurs (y compris à Chuck, qui jouait le principal du lycée) de tout remballer en avance. Je voulais être prêt à décamper sitôt que la scène serait dans la boîte : il s’agissait de filmer un défilé du Ku Klux Klan à travers les rues d’une petite ville. Les habitants ont bientôt commencé à nous poser des questions vraiment embarrassantes. À la fin de la dernière prise, au moment où j’ai crié « Coupez ! », tout le monde s’est précipité dans les véhicules et on a conduit d’une seule traite jusqu’à Saint-Louis !
Le film s’est avéré être en avance sur son temps. Ce fut un succès d’estime – il a récolté d’excellentes critiques dans tout le pays – mais pas un succès commercial. Nous nous sommes tous rendu compte combien il pouvait être périlleux de tenir le miroir dans lequel se reflètent les démons de notre identité américaine.
Quoi qu’il en soit, malgré le revers financier, je reste particulièrement fier de ce film. Nous sommes parvenus à coller au plus près de la structure et des personnages du roman, et le film fonctionne aussi bien que je l’espérais. »
Extrait de la préface du livre Un intrus de Charles Beaumont
(Belfond, 2018 pour la réédition)