Une année polaire

France (2018)

Genre : Aventure, Comédie, Drame

Écriture cinématographique : Fiction

École et cinéma 2023-2024

Synopsis

Pour son premier poste d’instituteur, Anders choisit l’aventure et les grands espaces : il part enseigner au Groenland, à Tiniteqilaaq, un hameau inuit de 80 habitants.
Dans ce village isolé du reste du monde, la vie est rude, plus rude que ce qu’Anders imaginait.
Pour s’intégrer, loin des repères de son Danemark natal, il va devoir apprendre à connaître cette communauté et ses coutumes.

Distribution

Anders Hvidegaard
Asser Boassen
Thomasine Jonathansen
Gert Jonathansen
Julius B. Nielsen
Tobias Ignatiussen

… Et les habitants de Tiniteqilaaq, Groënland

Générique

Réalisation : Samuel Collardey
Scénario : Catherine Paillé et Samuel Collardey
Producteur : Grégoire Debailly, Geko Films.
Directeur de la photographie : Samuel Collardey
Assistant caméra : Charles Wilhelem
Lumière : Benoit Jolivet
Pilote de drône : Charles Wilhelem
Ingénieur du son : Vincent Verdoux
Son : Valérie Deloof
Mixage : Julien Roig
Montage : Julien Lacheray
Assistants montage : Juliette Kempf, Emma Augier, Julie Duclaux
Musique originale : Erwann Chandon
Directrice de Production : Leonie Schmidtmer
Régie : Lucie Bouilleret
Distributeur France : Ad Vitam
Coproducteur France : France 3 Cinéma

Autour du film

Fidèle à son approche singulière, mêlant intimement le documentaire et la fiction, Samuel Collardey (L’Apprenti, Comme un lion, Tempête) nous emmène cette fois au Groenland, sur les pas d’Anders, jeune instituteur danois qui pour son premier poste hérite de l’école du petit village inuit de Tiniteqilaaq, 80 habitants. Récit d’apprentissage, Une année polaire raconte la difficile intégration du jeune professeur à une communauté qui vit mal la dépendance au Danemark, et l’évolution de ses méthodes d’enseignement au contact du terrain. C’est aussi un hommage à cette région âpre et sauvage, qui emprunte à la fois au cinéma ethnographique et aux grands films d’aventure.

Pistes de travail

Un récit d’apprentissage

Anders, le héros d’Une année polaire est un jeune homme avide de découvrir le monde et d’échapper à un destin tout tracé. Pour son premier poste, il recherche le dépaysement et l’aventure, puisqu’il refuse les deux postes un peu plus « faciles » qu’on lui propose (l’un dans la capitale du Groenland, Nuuk, où il pourrait vivre dans des conditions proches de celles du Danemark, l’autre dans une petite ville) pour choisir le plus « exotique » : celui de Tiniteqilaaq, un village de 80 habitants perdu sur la côte est de l’île, accessible uniquement en canot à moteur. La réalité s’avèrera évidemment plus âpre que les rêves d’évasion du jeune instituteur, quand il rêvait de grands espaces en contemplant une photo satellite du Groenland. Il va découvrir les difficultés d’une vie dans cette région rude et inhospitalière. Il va aussi faire l’expérience de la solitude, en tant que seul danois au sein de cette micro-communauté inuite de 80 habitants.

On peut lire le film comme un véritable récit d’apprentissage ou d’initiation : Anders devra passer une série d’épreuves, certaines très physiques (à commencer par le froid) et d’autres plus symboliques (gagner l’estime des autochtones, intéresser ses élèves), afin d’être accepté dans la communauté. Ces épreuves vont à leur tour le transformer. Cette année polaire aura donc été celle d’une lente maturation, qui fera d’Anders un être humain (et un pédagogue !) plus accompli.

Une relation ambivalente à la métropole

Cette lecture du personnage se double d’une interprétation plus historique et politique. À travers la relation d’Anders au village c’est aussi l’histoire du Groenland qui se (re)joue. Or cette histoire est une histoire coloniale, dont Anders est malgré lui le dépositaire. Fonctionnaire de l’Etat danois, dont il est l’unique représentant sur place, Anders est pris dans cette relation ambivalente à la métropole (voir « Repères »), faite de dépendance et de ressentiment. Sa méconnaissance (encouragée par sa hiérarchie) des us et coutumes locaux et de la langue, ses préjugés, même inconscients (cf. le jugement de son père sur l’alcoolisme des inuits) sur le Groenland et ses maux le renvoient sans cesse à son extranéité. Par le jeu des sous-titres (qui nous permettent de comprendre ce qu’Anders ne saisit pas), le film nous dévoile dans des scènes savoureuses la manière dont Anders est perçu par les habitants : les enfants qui contestent son autorité en l’insultant dans leur langue maternelle, ou les adultes qui critiquent sa condescendance. Mais il faudra que le personnage de Julius, qui joue le rôle d’interprète auprès de la communauté, explicite les critiques pour qu’Anders entame sa prise de conscience. La bascule se fait symboliquement au tournant de l’année, après qu’Anders a exprimé son ras-le-bol (« Fuck Groenland » !) : plutôt que de rester seul devant sa télé à regarder les voeux de la reine du Danemark (symbole absurde de la domination coloniale du Danemark sur ce territoire lointain), Anders se mêlera aux – plus chaleureuses – célébrations des autochtones. Dès lors, il descendra de son piédestal et s’efforcera à plus d’humilité.

Année polaire, année scolaire

Ces questions sont rendues plus aigües encore par la profession d’instituteur d’Anders. Parce qu’elle édicte des valeurs et des normes, parce qu’elle engage l’avenir de la communauté (en formant ses futurs membres), l’école est au cœur des problèmes et contradictions de la société groenlandaise. Sur le plan le plus anecdotique, le film montre l’absurdité d’un enseignement horssol, maladroitement plaqué sur la réalité : Anders fait travailler ses élèves sur les animaux de la ferme, aussi exotiques pour eux que le sont pour nous les phoques et narvals qui constituent leur quotidien. Il leur enseigne une Histoire (le cours sur Luther et la Réforme) qui n’éclaire que très peu leur réalité quotidienne… Pire, la fonctionnaire qui l’a engagé lui conseille de ne surtout pas apprendre la langue locale, conseil qui rendra l’échange difficile avec des élèves dont le danois n’est pas la langue maternelle.

À travers la relation d’Anders au village, c’est l’histoire coloniale du Groenland qui se joue, dont il est malgré lui le dépositaire.

Mais la question de l’éducation porte des enjeux plus profonds : à quoi « servent » les compétences académiques enseignées par Anders si elles n’offrent aucun débouché sur place ? Le système éducatif danois, généreux dans son principe (assurer une égalité de traitement avec les élèves de la métropole), met ces enfants devant un choix impossible : jouer le jeu de l’école « officielle », du programme de la métropole, c’est peut-être s’assurer un avenir, mais c’est aussi devoir partir à plus ou moins long terme (pour aller au collège, au lycée, à l’université, là où il y a du travail). C’est s’insérer dans le « monde moderne » (comme l’exprime la fonctionnaire du ministère) mais au prix d’une rupture avec la communauté et ses traditions. Les grands-parents d’Asser expriment ce rapport ambivalent à l’école, et sa concurrence avec l’éducation traditionnelle : si Asser veut devenir chasseur et vivre comme son grand-père, les savoirs dispensés par Anders ne lui sont que de peu d’utilité. On remarquera que ces problématiques n’ont rien de spécifique au Groenland : elles se posent dans toutes les régions où se joue la confrontation entre société traditionnelle et état moderne. Les enseignants ayant exercé dans les DROM-COM français trouveront dans les tribulations d’Anders des échos à leur propre expérience, le climat mis à part. Mais les sociologues ont aussi démontré l’existence de ce « conflit de loyauté » chez les élèves de métropole, partout où la situation sociale creuse l’écart entre les valeurs promues par l’institution et la réalité vécue par les familles.

Transmissions

Comme dans tous les films de Samuel Collardey on retrouve au cœur d’Une année polaire la question de la transmission, sous toutes ses formes : transmission contrariée d’abord, puisque si Anders part dans le grand Nord, c’est pour échapper à l’héritage familial (la ferme que sa famille possède depuis cinq générations) ; transmission contrariée aussi, car les élèves d’Anders se montrent totalement rétifs aux savoirs qu’il veut leur inculquer.

Le film s’attachera à renouer peu à peu les fils de cette transmission, en orchestrant le rapprochement progressif entre Anders et les villageois. À mesure que celui-ci abandonne ses préjugés et son sentiment de supériorité, à mesure qu’il s’intéresse à la culture inuite, qu’il apprend les rudiments de la langue, il va être progressivement accepté et intégré par les membres du village. Ils partageront avec lui leurs savoirs, leurs croyances, lui apprendront à tanner une peau d’ours, à conduire un traîneau, à construire un igloo. En retour, Anders va aussi modifier peu à peu les méthodes et contenus de son enseignement, s’efforcer de rapprocher celui-ci de la réalité de ses élèves : il fait venir un chasseur en classe pour qu’il parle de son métier, il les fait grimper sur le toit de l’école pour travailler sur le paysage qui les entoure. Dans la seconde partie du film, la narration se resserre sur la relation entre Asser (l’enfant absentéiste), son grand-père et l’instituteur : hors de la structure familiale biologique (Asser ne vit pas avec ses parents, Anders a quitté les siens) s’inventent de nouvelles filiations. Ce qu’Anders comprend, ce que le film montre finalement, c’est qu’il n’y a pas de transmission possible sans relation d’échange et de réciprocité ; soit l’exact opposé de ce que lui avait dit la fonctionnaire du ministère au début du film.

Entre fiction et documentaire

La méthode de tournage de Samuel Collardey défie les catégories cinématographiques établies (et souvent artificielles) : docufiction ? fiction documentaire ? Si le film procède d’une longue imprégnation (Samuel Collardey a passé plusieurs séjours sur place avant de commencer à imaginer la forme que pourrait prendre son récit), s’il n’est tourné qu’avec des non-professionnels, à commencer par Anders (le vrai instituteur qui a vraiment débarqué à Tiniteqilaaq), il ne s’interdit pas la scénarisation et la mise en scène.

À mesure qu’Anders abandonne ses préjugés, à mesure qu’il s’intéresse à la culture inuite et apprend les rudiments de la langue, il va être progressivement accepté et intégré par les membres du village.

L’important ici, plutôt qu’une pseudo-objectivité documentaire (qui fait toujours l’objet d’arrangements plus ou moins assumés), est la prise en compte d’une constante interaction entre le cinéma et le réel : si le film entend rendre compte de la réalité, il ne manque pas de le façonner à son tour. C’est aussi la démarche du cinéaste, qui le conduit à construire le récit en collaboration avec ses acteurs-personnages, et toute la communauté de Tiniteqilaaq. Le chemin qu’accomplit Anders dans le film (s’imprégner avec humilité de la culture locale, faire l’effort d’apprivoiser ses membres) est aussi celui qu’a dû emprunter le cinéaste pour concevoir et mener à bien son film. Loin de la prétention démiurgique du cinéaste de fiction ou, symétriquement, de l’orgueilleux retrait du documentariste, c’est une remarquable éthique cinématographique que met en œuvre Samuel Collardey.

Une invitation au voyage

Cette symbiose entre le cinéaste et son sujet se ressent dans le regard porté sur le Groenland. S’il ne fait pas l’impasse sur les problèmes sociaux (chômage, alcoolisme, fragilité des structures familiales) qui touchent le pays, le film se défend de tout misérabilisme. Il s’efforce au contraire de porter un regard empathique et généreux sur la société inuite, sa culture, ses traditions, son mode de vie.

Par son attention minutieuse aux gestes du quotidien et ce qu’ils révèlent d’une culture ancestrale, Samuel Collardey retrouve les fondamentaux du documentaire ethnographique (on retrouve d’ailleurs, à près de cent ans de distance, les mêmes situations que dans Nanouk l’eskimau de Robert Flaherty, 1922 : la pêche, la chasse, la construction d’un igloo). Mais sa mise en scène, pleine de lyrisme, des paysages grandioses et des conditions climatiques extrêmes du grand Nord renvoie plutôt au langage du cinéma d’aventures, qui s’est plu à mettre en valeur les grands espaces. Une année polaire constitue ainsi une belle invitation au voyage, mais aussi, en filigrane, à la préservation d’une des dernières zones sauvages de la planète. S’il n’aborde la question environnementale que par la bande (à travers le discours de voeux de la reine du Danemark), le film nous invite à réflechir à notre mode de vie aux conséquences destructrices, en miroir de celui, modeste et respectueux de la nature, des Inuits.

Outils

Repères : le Groenland

Deuxième plus grande île de la planète (la première si l’on considère l’Australie comme un continent), d’une superficie équivalente à quatre fois la France, le Groenland est une terre de glace, majoritairement recouverte par un inlandsis (glacier recouvrant la terre ferme). Située dans l’océan Atlantique nord, au large du nord-est du Canada, bien au dessus du cercle polaire, c’est une île géographiquement proche du continent nord-américain mais juridiquement rattachée au Danemark.

Le Groenland a été découvert à la fin du Xe siècle par le navigateur viking norvégien, originaire d’Islande, Eric le Rouge. Colonie danoise dès 1721, elle devient en 1953, une province de la Couronne (aux côtés du territoire métropolitain et des îles Féroé), et acquiert en 1979 un statut de large autonomie politique.

Selon le dernier recensement, le pays est peuplé d’environ 56 000 habitants. Ils occupent les bordures littorales, seules zones libres de glace, et se concentrent principalement sur la côte sudouest (où est située Nuuk, la capitale). Cette population est composée à plus de 88% d’inuits. La majorité des partis groenlandais (les dernières élections législatives ont eu lieu le 24 avril 2018) et l’opinion publique sont favorables à l’indépendance, dont la possibilité est reconnue par la constitution danoise. Mais, dépourvu de ressources propres à l’exception de la pêche (dont le produit représente 90% de ses exportations), le Groenland dépend pour plus de la moitié de son budget des transferts d’argent du Danemark. Cela rend l’indépendance hypothétique à court et moyen terme, d’autant que le pays fait face à d’importants problèmes sociaux (il a le taux de suicide par habitant le plus élevé au monde), et qu’avec le réchauffement climatique les régions polaires attisent la convoitise des grandes puissances.