Catégorie : Extraits
1h23’16” à 1h 25’07” (= 1’51”)*
* Le minutage peut varier de quelques secopndes selon le mode de visionnement choisi : projecteur, lecteur de DVD, ordinateur.
Antonia et Peppino ont gagné 224 millions. Le jeu continue. Le bidonville tout entier est tourné vers la villa de la Vieille. Mais la fatigue commence à se faire sentir.
Le plan-séquence débute par un plan composé de Peppino en amorce, de sa main tenant les cartes, du cendrier de cristal que la Vieille a envoyé précédemment au visage de George, et, en arrière-plan, d’un paquet de liasses de billets : angoisse de Peppino, jeu, violence, argent… Le point est fait sur les liasses de la Vieille, rappelant implicitement l’injonction que vient de lancer Richetto : « Elle peut se payer le luxe de jouer à l’infini. »
La mise au point opère à la façon d’un travelling-arrière : les billets deviennent flous tandis que le point se fait sur un insert (très gros plan) la main de Peppino tenant les cartes. Du but, nous voici amenés aux moyens : le jeu. Piquer l’argent de la Vieille, comme on dit au bidonville, démontrer que l’état actuel de la société peut être renversé par le jeu.
Un rapide travelling-arrière vient cadrer un instant, net, un autre tas de billets : ceux que Peppino et Antonia ont déjà gagnés. Ce plan, quasi identique au premier, opère une sorte d’équivalence visuelle entre les deux fortunes, la masse des billets semblant égale. Nous savons combien cette impression est illusoire, mais nous ne pouvons qu’espérer avec Peppino et Antonia.
La caméra remonte sur le visage de Peppino. Il semble mal à l’aise, incommodé. Sans doute la chaleur y est-elle pour quelque chose, mais sans doute également l’importance de l’enjeu et la conscience de sa faiblesse comme joueur… Rappelé à l’ordre par Antonia, il semble chercher avant tout un prétexte pour rejeter la faute sur une cause extérieur ou attendre l’intervention d’un deus ex machina improbable.
Cause d’un ordre supérieure, le soleil est pour Peppino le prétexte à sortir un instant de sa condition sociale, à jouer au maître et appeler la majordome pour qu’il fixe le rideau.
Indifférent au dérivatif utilisé par Peppino, le plan-séquence se poursuit, comme la partie, la caméra remontant vers le visage de la Vieille. Celle-ci lève les yeux de son jeu et regarde à droite en direction de George. Ce mouvement relance le jeu (à la fois celui des cartes et celui du drame) : le résultat dépend des partenaires, de leurs capacités et de leur soutien, de la façon dont la Vieille domine son domestique et ancien amant…
Le plan-séquence se poursuit impitoyablement jusqu’à un gros plan d’Antonia, qui regarde à son tour George. Malgré le passage de la position face au profil, le visage de la jeune femme remplace celui de la Vieille, marquant leur situation identique de dépendance à l’égard d’un partenaire dont la réaction les inquiète. Toutes deux sont également tendues dans l’attente de ce que va jouer George, même si c’est pour des raisons inverses. La situation, les liens entre les personnages posés, le plan-squence peut s’interrompre.
Contrechamp du regard d’Antonia, un gros plan de profil montre le chauffeur, traits tirés, aussi tendu que Peppino, coincé entre les deux regards féminins. À chaque pli, George joue son droit à la passion, même réduite celle d’un esclave en adoration muette.
Un mouvement de caméra vers le bas accompagne le point de vue d’Antonia, avec un insert sur la carte que pose George. Elle ne suscite de réaction ni d’Antonia ni de la Vieille, ce que confirme la remontée de la caméra vers le visage impassible de cette dernière qui ramasse le pli, semble-t-il, et joue. La caméra suit ces gestes d’un mouvement coulé et rapide qui accompagne, simple enchaînement des phases du jeu, et se prolonge, suivant l’avancée du corps de la Vieille qui pose une carte, vers le visage de Peppino inquiet et hésitant un instant. Un faible grognement d’Antonia et il se reprend, affirmant son coup (« scopa ») comme s’il l’avait prévu de toute éternité. La musique a repris, douce, calme, hollywoodienne comme le dit Comencini, un peu doucereuse et allègre en même temps, illustrant l’état d’esprit de Peppino.
Ce second plan-séquence s’achève sur les mains de Peppino ramassant le pli : on a entrevu son air satisfait. Il est convaincu de maîtriser le jeu et que la chance leur sourit enfin.
Quatre plans montrent quelques personnages du bidonville, collés derrière le grillage qui les séparent de la villa. La musique continue, mais les visages expriment une inquiétude et un scepticisme qui contrastent avec cette tonalite, donnant à la satisfaction de Peppino un aspect un peu dérisoire.
Le plan de la villa superbe, blanche, avec ses jardins réguliers, pourrait être le contrechamp de ces regards. Mais nous savons que la vue est bouchée par une palissade et il ne peut s’agir que d’une vision imaginaire et collective.
Retour au réel dans la villa : une servante, puis deux viennent relayer les « voyeurs » du bidonville. Les splendeurs gastronomiques étalées au premier plan sont vite abandonnées par le travelling-avant qui resserre le cadre vers le véritable objet de tous ces regards : la table de jeu et ses joueurs au bord de l’épuisement.
Presque au terme de son trajet, la caméra saisit le regard de Peppino vers la Vieille, qui semble dans l’incapacité de jouer lucidement, au bord du malaise. En arrière-plan, le tas de billets, qui met en péril la vie, physique ou mentale, des quatre joueurs. Le regard de Peppino n’a plus la bienveillance des effusions après l’agression de celle-ci. Il guette la faiblesse de l’adversaire, ne fonctionnant plus que sur le souci du gain. Mais la vieille est-elle bien hors d’état ou est-ce une ruse dans un moment où la partie lui échappe ?
Le travelling s’achève sur un gros plan de la Vieille, de profil, la tête légèrement penchée en avant, les yeux ouverts, mais au bord de l’inconscience. La musique, banale pourtant, qui accompagne toujours la scène, prend un aspect pleinement ambigu. Souligne-t-elle plaisamment un probable triomphe de Peppino et Antonia, ou nous prépare-t-elle ironiquement à leur échec annoncé ?
Plutôt que la réaction de Peppino ou d’Antonia, Comencini choisit la répercussion sur le bidonville de l’événement que nous ne voyons pas (le malaise de la Vieille), transmis sans doute par Pasqualina. Le premier à demander des précisions est celui que ne concerne nullement cette victoire toute matérialiste, le curé. Nous n’avons pu voir le vrai malaise de la Vieille, mais la description qu’en fait Cleopatra par mots et par gestes devient vérité, à laquelle répond, par la voix de l’homme à la minerve, rendu brutalement porte-parole du groupe par un violent zoom-avant : « Il était temps ! » Oui, mais très vite les affaires vont reprendre, pour le prêtre, les pompes funèbres et les autres…
Photogrammes pour repérage