Elephant Man

États-Unis (1981)

Genre : Drame

Écriture cinématographique : Fiction

Archives CAC, Archives LAAC, Collège au cinéma 1996-1997, Lycéens et apprentis au cinéma 2022-2023

Synopsis

Dans le Londres victorien, 1884. Un chirurgien découvre un monstre dans un cirque : un homme éléphant affligé de difformités repoussantes. Il le présente à une assemblée de savants mais l’affection dont est atteint John Merrick est incurable, et le London Hospital ne reçoit pas ce genre de malades. Le docteur Treves renvoie donc le malheureux à celui qui prétend être son “ propriétaire ”, Bytes, qui, en représailles, le roue de coups. Alerté, Treves accueille alors clandestinement John. Un esclandre revendicatif de Bytes alerte le directeur de l’hôpital qui veut rencontrer le malade. Treves essaie vite de lui faire répéter quelques mots. Le directeur qui repère ce psittacisme décide d’appliquer le règlement. Mais, resté seul, John récite en entier un psaume dont Treves ne lui avait appris que les premiers versets. Il s’avère donc doué de parole, de sensibilité !

À partir de là, l’existence de John change. Même si quelque résistance se fait jour à l’intérieur du Comité de direction de l’hôpital, le soutien du public, alerté par Carr Gomm, et plus tard celui de la famille royale, auront raison de cette opposition. John Merrick est donc chez lui dans sa petite chambre où il reçoit des visites, dont celle d’une actrice célèbre, Mrs Kendal. Mais, pendant la nuit, le gardien fait venir des gens ivres qui le torturent moralement. Bytes en profite : il récupère “ son bien ” pour le placer dans un cirque en Belgique. L’état de John y suscite la compassion de ses compagnons de misère qui se cotisent pour payer son billet de retour. À Londres, c’est à nouveau l’hôpital : l’état de John s’est considérablement aggravé. Mrs Kendal l’emmène au théâtre où il est fêté par le public. De retour dans sa chambre, il salue son ami Treves, termine et signe sa maquette de la cathédrale et, pour la première fois de sa vie, s’allonge comme les autres hommes pour dormir, tout en sachant qu’il mourra étouffé par le poids de sa tête.

Thème : Drame psychologique

A Londres, en 1884, le Dr Treves découvre dans un cirque un monstre dénommé John qui présente de très graves difformités crâniennes. La neurofibromatose dont il est atteint étant réputé incurable, le Dr Treves le soustrait des mauvais traitements que lui inflige “ son propriétaire ”, Bytes, en le recueillant clandestinement.

Mais Bytes voudra récupérer son bien par tous les moyens, tandis que le Dr Treves tente de prouver auprès des institutions médicales le caractère humain de John et de l’empêcher de finir ses jours comme un animal de cirque.

Distribution

John Merrick : John Hurt
Frederick Peves : Anthony Hopkins
Carr Gomm : John Gielgud
Madge Kendal : Anne Bancroft
Bytes : Freddie Jones
Nora : Lesley Dunlop
Mrs Treves : Hannah Gordon
Le portier de nuit : Michael Elphick
L’infirmière-major : Wendy Hiller
Le fils de Bytes : Dexter Fletcher
Alix : Helen Ryan
Le jeune portier : Tony London
La mère de Merrick : Phoebe Nicholls

Générique

Production : Mel Brooks
Réalisation : David Lynch
Scénario : Christopher De Vore, Eric Bergen et David Lynch, d’après les livres de sir Frederick Treves “ The Elephant man and Other Reminiscences ”, et d’Ashley Montaigu “ The Elephant Man, a Study in Human ”. Dignity ”.
Photo : Freddie Francis
Décors : Stuart Craig, Bob Cartwright
Maquillages : Christopher Tucker
Musique : John Morris
Montage : Anne V. Coates

Autour du film

Un miroir tendu à nous-mêmes

John Merrick a existé, on a des témoignages, des écrits sur lui. Ainsi, le générique de début précise bien que le film est fondé sur “ Elephant Man et autres souvenirs ” de Sir Frederick Treves et, en partie, sur “ Elephant Man, une étude de la dignité humaine ” d’Ashley Montagu. Le générique de fin, lui, installe des distances avec les traitements fictionnels qui ont été tirés de la vie de John Merrick, en particulier avec la pièce de théâtre jouée à Broadway, qu’interpréta David Bowie. Ce distinguo permet de bien situer le travail de réappropriation opéré par Lynch : il s’agit de partir d’un cas de tératologie répertorié scientifiquement et de traiter d’un monstre en bénéficiant de la caution du réel.

Il est donc important, pour s’essayer à comprendre la signification de ce film, d’apprécier les distances prises par Lynch avec les données historiques.

John Merrick vécut à Londres, de 1864 à 1890. Le docteur Treves le découvre dans des circonstances similaires à celles relatées par le film. Ses propos étaient, selon les écrits de Treves, incohérents, et son attitude, celle “ d’un être à l’esprit dénué de toute vie émotive et de tout souci ”. Treves espère que John ne soit pas conscient de son état mais découvre progressivement qu’ “ il possédait une sensibilité aiguë, et, pis encore, une imagination romantique ”. La neurofibromatose généralisée n’avait pas atteint ses capacités intellectuelles. Les autorités britanniques, en décidant d’interdire l’exhibition d’un “ monstre ” dont “ les difformités physiques outrepassaient les limites de la décence ”, séparent John du docteur : en effet, pour continuer à exploiter son “ attraction ”, le forain passe sur le continent, emmenant John avec lui. Deux ans plus tard, la police de Bruxelles interdit elle aussi un spectacle qualifié de “ brutal, indécent et immoral ”. De retour à Londres, John est ramené à l’hôpital. Lynch a utilisé assez précisément les réticences de l’institution et les mesures prises par le directeur pour sauver John et le garder au London Hospital ainsi que l’engouement de la famille royale et de la bonne société pour John. La fin de la vie de John Merrick correspond factuellement à ce qu’a filmé Lynch.

Ce qui est instructif est le relevé – rapide – des points effacés ou mis en avant par Lynch : autant il a conservé la description d’une société victorienne qui songe surtout à se préserver plutôt qu’à protéger les êtres faibles, autant il a atténué le rôle de répression des diverses polices. Cela lui permet de mettre l’accent sur les responsabilités individuelles, ce qui correspond davantage au système d’une narration classique et à l’univers propre à Lynch. Par ailleurs, il a évidemment “ fictionné ” le personnage de Bytes mais surtout, il semble bien avoir rajouté un bourreau dans le personnage du portier de nuit.

Enfin, il est intéressant de constater que Lynch ne se sert que très peu des informations dont on dispose sur le père de John, sur sa deuxième femme qui, à la mort de la mère se comporta en véritable marâtre et surtout sur Jane Merrick. On sait qu’elle était institutrice et que, jusqu’à sa mort, survenue quand John avait douze ans, elle aima beaucoup son fils. Elle aurait été abandonnée par le père. Lynch a conservé l’image d’une femme belle et douce, enfermée dans une miniature et qui apparaît dans les très belles séquences qui ouvrent et ferment le film : il privilégie ainsi une tonalité onirique qui permet au spectateur d’entrer dans le roman familial que se construit John.

La présence rêvée de la mère qui encadre le récit rend d’autant plus contrastée la réalité qui pèse, sur le film : réalité sociale (l’Angleterre victorienne), réalité psychologique dans toutes ses contradictions (cf. les rôles). En effet, Lynch montre à la fois comment cette histoire très humaine s’inscrit dans les codes de la bourgeoise et de l’aristocratie, de l’opéra au thé de cinq heures, et comment les sentiments portés à John Merrick par ceux qui s’occupent de lui sont ambivalents : charité, désir égoïste de profit mais aussi fascination plus ou moins sexuelle pour le monstre comme le montre la terrible scène de viol, viol nocturne de la chambre, viol de John lui-même et viol de la femme que l’on force à embrasser le monstre : dans cette scène, Lynch filme avec une grande science cinématographique la brutalité et la complexité du désir humain, affirmant sans ambiguïté la nature de la “ curiosité ” qui pousse les êtres dits normaux vers John. En particulier, il l’accompagne de cette terrible valse dont on dirait qu’elle est à la fois influencée par le talent terrorisant de Bernard Hermann (qui a composé la musique de Psychose) et le génie morbide de Richard Strauss dont Lynch utilisera un des derniers lieders à la fin de Sailor et Lula. D’ailleurs, dans ce même film de 1990, il a repris ce thème du viol pervers et non abouti dans la scène qui oppose Lula au monstrueux Bobby Pérou.

Elephant Man compte parmi les grands films de voyeurisme, de Fenêtre sur cour d’Hitchcock à Peeping Tom (Le Voyeur) de Michael Powell : à mettre en scène des voyeurs, le “ propriétaire ”, des médecins, des spectateurs à la foire ou le docteur, dans différents cadres, de la fête foraine à l’opéra en passant par les amphithéâtres de médecine ou le cadre privé de la chambre d’hôpital, Lynch nous conduit à nous interroger sur nous-mêmes, spectateurs de cinéma.

À centrer la signification de l’œuvre sur cette face obscure de l’être humain, on n’oublie pas que dans Elephant Man l’apparente victoire de l’esprit sur le corps malade se solde tout de même, in fine, par une défaite, et que, si le film apporte clairement un message de tolérance, il est très pessimiste sur les possibilités de mettre cette leçon en œuvre : l’univers de la pauvreté est, en particulier, traité avec une grande dureté, réduisant les classes populaires à montrer ouvertement et sans fard la brutalité que la bourgeoisie autour de Treves sait dissimuler. “ Le personnage m’a fasciné, dit Lynch à propos de John Merrick. Au-delà de la fresque sociale, j’ai voulu montrer comment il réagissait au contact de différentes situations. Il passe de l’univers de la pauvreté à celui de la richesse. Les deux mondes s’ignorent et se veulent différents mais leur curiosité vis-à-vis du “ monstre ” est la même. Je ne porte aucun jugement moral… ” (in Entretien avec Gilles Gressart, paru dans “ Combat socialiste ” du 15 avril 1981). (Carole Desbarats)

Autres points de vue

Une parabole sur l’innocence
“ Le réalisateur n’a joué ni le fantastique ni l’épouvante. Non, il dévoile d’emblée le songe utérin d’un être qui, naissant à la vie, constate qu’il fait éclore chez ceux qui le contemplent le dégoût, l’incompréhension et aussi la cruauté. Le film tout entier est une parabole sur l’innocence. Et aussi, peut-être, sur la rédemption d’un monde industriel qui se découvre avec horreur et s’accroche, pour oublier, à la merveille.

Elephant Man nous ramène au temps où le cinéma s’enthousiasmait pour King Kong, “ la huitième merveille du monde ”. C’est un moment de joie que de découvrir un cinéaste majeur qui, outre sa maîtrise technique, possède une sorte de grâce unique. » Robert Benayoun, in “ Le Point ”, 6 avril 1981.

Des choix esthétiques qui font sens
“ Le choix du noir et blanc permet de ne pas tomber dans le folklore, d’atteindre à la simplification esthétique et dramatique de la tragédie.

Le CinémaScope est employé pour échapper à tout effet grand-guignolesque sur le “ monstre ”, en situant toujours le personnage de John Merrick dans l’espace. Pas de gros plans horrifiques et racoleurs. Le format Scope convient aussi admirablement aux espaces urbains, usines, gares, hôpitaux de l’Angleterre victorienne, en pleine révolution industrielle. Impossible de ne pas signaler l’utilisation du son, traité ici à égalité avec l’image. Lynch nous fait redécouvrir le pouvoir d’émotion d’un son “ mis en scène ”. On n’est pas près d’oublier les halètements de John Merrick au terme de sa vie. ” — Francis Girod, Dossier de presse du film

Le silence du monstre
“ Si la négation de la parole – la non-parole –, c’est le silence, le non-silence n’est pas automatiquement, ni nécessairement la parole. Ce non-silence, c’est un silence plus silencieux que le silence.

Silence de silence
Pour nous faire une idée du silence qui parle, évoquons le silence que fait entendre la musique : l’instant où elle s’interrompt parle de quelque chose de si essentiel qu’un mélomane a su dire, avec élégance, que, lorsque s’interrompait un concerto de Mozart, c’était Mozart tout entier qu’on entendait alors. En vérité, ce silence qui parle fait beaucoup plus que perpétuer la parole qui l’a précédé, il ne fait pas seulement résonner la remémoration de la parole éteinte, il fait surtout entendre le support silencieux – véritable feuille blanche – sur lequel la parole s’est inscrite et, par là, nous instruit que le silence peut être bruissant de la parole déjà venue. […]

C’est parce qu’il est habité que le silence s’entend ; c’est parce qu’elle nous parle silencieusement que la nature nous transmet une interprétation pacifiante du sens de son silence. C’est à ce silence qui s’entend que nous avons opposé le silence qui, n’étant pas induit par un acte de création mais par la forclusion structurale, est silence qui ne s’entend pas, silence de silence. […] Nous pouvons nous faire une idée du silence absolu dont nous venons de parler en évoquant la signification de ce que, pour nous, la tradition mythologique et folklorique appelle un monstre : même si nous n’avons jamais rencontré une créature semblable, nous sommes capables de concevoir, sans même aller voir de film d’épouvante, l’horreur causée par la rencontre d’un monstre, car chacun d’entre nous garde, en tant que sujet créé ex nihilo, un rapport intime avec la part du réel qui, de ne pas accéder à la nomination qui fait exister le monde, persiste comme immonde, comme ce silence absolu qu’est le silence de silence. […] Confrontés à la rencontre d’un réel qui “ est ” silencieusement, sans pour autant exister, nous sommes soudain renvoyés à ce réel qui, en nous, n’existe pas puisqu’il a été soustrait au pouvoir de la parole.

Le hurlement pour faire entendre le silence
Comment se traduit, phénoménologiquement, l’emprise qu’a, sur le sujet, le silence absolu auquel il est renvoyé par le monstre ? Par le fait que, à l’instant du face-à-face avec lui, le sujet ne se conduit pas – ou pas encore – comme le fait la Belle avec la Bête : si, en effet, il pouvait parler à cette Bête, elle cesserait – comme le raconte d’ailleurs le conte – d’être Bête pour retrouver aussitôt sa forme humaine. Ce qui traduit peut-être le plus éloquemment le fait que, devant le silence absolu du monstre, le sujet ne dispose plus de la parole est qu’il se manifeste dans le seul acte vocal qui reste à sa disposition : le hurlement.

Le hurlement est, en effet, cette vibration sonore la plus simple qui tente, non pas de rompre le silence, mais précisément de le faire entendre ; il est ce par quoi l’on entend que c’est ce silence qui hurle de douleur. Cette douleur de ne pas pouvoir sortir de soi-même n’est-elle pas l’effet de la part du signifiant qui, restant inexorablement en souffrance, condamne la part maudite du sujet à demeurer en exil dans un lieu absolument inhospitalier à la parole ? Silence si absolu que, de ce lieu, le sujet ne dispose pas même du pouvoir d’appeler au secours.

La loi comme rempart de l’inhumain
Le sujet est renvoyé au fait qu’il y a, en lui, un point de forclusion où il n’y a pas eu de création de représentation inconsciente : c’est de ce lieu où il ne peut pas avoir de pensée inconsciente qu’il apprend, par la présence même du monstre, que cette présence se donne à lui en tant que dénuée de re-présence : parce que non représenté, non représentable, le monstre se spécifie, en tant que réel, par le fait de transmettre sa présence non par l’intermédiaire d’une pensée inconsciente mais par l’intermédiaire de ce que Freud nomme “ perception interne ”. Par cette “ perception interne ”, le sujet accédant au réel sans médiation signifiante fait l’expérience mortifère du monde d’iniquité qu’est un monde sans loi : la loi est en effet l’introduction d’un signifiant de l’altérité qui, s’interposant entre le sujet et le réel, a pour effet d’interdire au réel de s’offrir à la perception interne du sujet, en ne lui permettant que d’être symbolisé dans un dire. […]

En l’absence d’interdit, s’il y a contact entre le sujet et le réel, une opération complexe se produit, par laquelle il s’avère que le réel, en tant que forclos du symbolique, se spécifie du fait même de ne pas connaître la signification de la limite humaine octroyée par la loi, de n’être pas limité par cette loi. Si la confusion des limites qui est montrée par le monstre, dans la mesure où sa monstruosité est monstration d’une immixtion de l’informe dans la forme humaine, si cette confusion est si menaçante pour le sujet, c’est qu’elle rappelle qu’il y a dans la limite humaine une porosité essentielle, une déficience, par laquelle, à la discontinuité instaurée en lui par la loi symbolique, peut se substituer une mise en continuité et que, par ce biais, l’inhumain peut s’emparer de ce qui, en lui, est humain.

— Alain Didier-Weill, extrait des “ Trois Temps de la Loi, éd. du Seuil, Paris, 1995)

Vidéos

Pistes de travail

Analyse de séquence

Ce deuxième long métrage de David Lynch, devenu un classique du cinéma, a marqué les esprits. Dans cet extrait, l’exhibition scientifique du « monstre » John Merrick /John Hurt par le Dr Frederik Treves/Anthony Hopkins, il est question de regards, d’hors-champ et de champ aveugle par le biais desquels Lynch s’amuse à tendre un miroir au spectateur.

Réfléchir sur notre propre trouble

L’interdit et le désir de transgression
Le film repose en partie sur la dialectique qui dépasse ces deux termes. Pourquoi voir ce qui est horrible ? Qu’est-ce qui en nous excite ce désir trouble ? Le film permet d’observer cela chez les autres, de réfléchir personnellement à ces interrogations qui nous concernent tous différemment, et l’analyse du film offre l’avantage majeur de ne pas passer à la dynamique de groupe : on peut réfléchir à tous les indices qui font affleurer ce thème, les miroirs, les répliques signifiantes, (celles de Mothershead, celles de Bytes à Treves etc.), les passages interdits empruntés au début du film par le policeman et Treves, donc par le spectateur, comme dans Citizen Kane, par exemple…

Les systèmes de symétrie
Le double maléfique (Bytes pour Treves – cf. Les rôles) mais aussi Mlle Kendal pour la mère absente. En effet, John place la photo dédicacée de l’actrice à côté du portrait de sa mère sur sa table de nuit ; c’est aussi avec Mlle Kendal qu’il aura l’occasion de jouer la scène œdipienne à travers la lecture de “ Roméo et Juliette ”… Mais aussi les rimes : par exemple, le fait que John renverse une femme lors de sa fuite dans la gare. Et si elle était enceinte ? Et encore la symétrie inversée entre l’existence heureuse de John le jour à l’hôpital et l’enfer de la nuit, celle qui expose John aux spectateurs (badauds, médecins) puis le met en position de spectateur à l’opéra, ou la symétrie la plus marquée, celle des deux scènes oniriques qui encadrent le film et se détachent esthétiquement du style d’Elephant Man : pourquoi une telle distance ? Qu’est-ce qui se joue du statut du cinéaste dans cette différenciation ?

Le personnage de l’enfant
Dans le générique, il apparaît comme “ Bytes’boy ”, dans le dossier de presse du film, comme le fils de Bytes. Sa présence est étrange, à la fois discrète, active et surtout marquée d’une grande mélancolie : l’assimilation de la situation de cet enfant à celle de l’homme éléphant est manifeste, en particulier dans l’abandon auquel il est laissé, et qui n’est pas sans rappeler les personnages contemporains de Dickens.

Le son
Il est très efficace “ d’entendre ” un film, surtout un film de Lynch. Ainsi, lorsque l’on revoit des extraits en vidéo, en cachant l’écran du moniteur, on peut centrer son attention sur ce que le son apporte comme informations, comme sensations. Chaque fois, par exemple, que, dans Elephant Man, l’agression arrive dans la chambre de l’hôpital, elle est précédée d’un grincement de porte ou d’un son désagréable qui alerte le spectateur. Il y aurait aussi fort à dire sur la manière dont l’omniprésence sonore des machines contribue à décrire la société industrielle anglaise triomphante et angoissante. (Mise à jour: 17-06-04)

Expériences

Les monstres au cinéma

Le cinéma se préoccupe de la monstruosité : le monstre, étymologiquement, c’est ce que l’on montre… Les créatures difformes, anormales ont pullulé, de Freaks (La Monstrueuse Parade de Tod Browning, en 1932) à ET de Spielberg, en 1982, en passant par tous les Dracula, Frankestein, et autres fourmis géantes… Le cinéma fantastique, la science-fiction ont vu proliférer les êtres venus d’ailleurs, morts-vivants, loups-garous ou mutants divers…
Tout ce qui, dans cette galerie, participe de la tératologie (science qui a pour objet l’étude des anomalies et des monstruosités des êtres vivants) tient une place particulière. En effet, le pacte de lecture n’est pas le même selon qu’un film représente des monstres imaginaires ou des êtres humains affectés de caractères de monstruosité : l’identification n’y fonctionne pas de la même manière.

Devant un monstre présenté comme radicalement différent, un animal extraordinaire, un extra-terrestre…, le spectateur se sent certes menacé – ou attendri – mais, dans le même temps, il observe depuis sa position d’humain. À l’inverse, un personnage d’homme, quelle que soit la malformation dont il est atteint, présente toujours des points d’humanité qui sont autant de possibilités d’ancrage pour l’identification du spectateur. D’où le distinguo : on se sent ému devant l’anthropomorphisme de King Kong, attendri devant ET, mais on est troublé devant John Merrick, devant les hommes de Freaks.

En effet, c’est bien l’écart avec la normale qui perturbe le spectateur : les interprètes du film de Browning sont des nains. Mais le réalisme ne suffit pas à expliquer un trouble que l’effet de réel du trucage peut tout aussi bien susciter : l’attirance qu’exerce l’anormal dépasse cette opposition. Le sentiment d’horreur devant un dérèglement de l’ordre de la nature s’y mêle à celui de mise en danger du spectateur, ému par ce à quoi il échappe ou, le cas échéant, qu’il connaît dans son entourage.

S’agissant de représentation artistique, cette fascination pour l’altérité offre l’occasion de développer une vision humaniste du monde. À présenter des monstres et des humains, il arrive que les cinéastes inversent les données : les monstres ne sont pas ceux que l’on croit, et dans le film de Browning comme dans celui de Lynch, souvent comparés, ce sont bien les hommes dits “ normaux ” qui relèvent de la monstruosité, morale, cette fois. C’est ce que cherche Lynch en retardant le moment de révéler la monstruosité physique de l’homme éléphant : “ on ne voit vraiment John Merrick que lorsqu’on a eu le temps de s’attacher à lui. Il fallait arriver à dépasser les apparences, car c’est là le problème de fond, cette distorsion entre l’apparence et la réalité. Et il est à double sens, parce que si l’enveloppe monstrueuse de John Merrick dissimule un cœur magnifique de noblesse et de pureté, l’aspect le plus avenant de ceux qui l’entourent – et de nous tous – ne cache-t-il pas souvent beaucoup de noirceur et de bassesse ? Il y a une fascination du monstre qui est en elle-même une monstruosité ” (David Lynch dans un entretien avec Marie-Noëlle Tranchant pour “ Le Figaro ” du 6 avril 1981).
D’où l’importance du moment où John, acculé dans les toilettes dans la gare crie, “ Je ne suis pas un animal, je suis un être humain, je suis un homme ”. On pense alors à un autre monstre, moral celui-là, qui crie à peu près la même chose : M, le personnage de Fritz Lang.

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